Martin Hirsch: vers une santé au mérite?
La morgue d’un pompier pyromane
Le Covid-19 drague derrière lui des questionnements inédits sur notre solidarité nationale. En voulant lutter contre l’individualisme dans une tribune du Monde, le patron de l’Assistance publique – Hôpitaux de Paris entend ainsi « associer la responsabilité à la solidarité dans les systèmes de protection sociale » et se questionne: « est-il logique de bénéficier des soins gratuits, quand on a refusé pour soi la vaccination gratuite ? » Certains, comme Martin Blachier ou les opposants au passe sanitaire, réclament à présent son départ. Hirsch se trompe en confondant la santé publique avec un système assurantiel classique.
La fin de l’épidémie semble peut-être en vue. Tandis que des pays comme le Danemark, l’Irlande, et le Royaume-Uni mettent fin aux restrictions sanitaires et claironnent un retour à la vie normale, certains trouvent utile de remettre en question la solidarité nationale.
Martin Hirsch, directeur de l’Assistance publique – hôpitaux de Paris, a rédigé une tribune dans laquelle il remettait en question l’universalité de la gratuité des soins. Plus précisément, il remet en question la gratuité pour les non-vaccinés. Ces derniers seraient privés de soins gratuits pour deux raisons. D’abord, ils risquent d’infecter les autres. Ensuite, en s’exposant inutilement à une infection ils risquent d’occuper des lits qui seraient autrement libérés.
Quand la technocratie déraille
L’argumentaire est non seulement grotesque, mais bâclé. La santé publique n’est ni une récompense ni un système d’assurance au sens classique. Examinons ce raisonnement typique de la technocratie macronienne.
La santé publique est une institution particulière. Tous les citoyens peuvent se faire soigner gratuitement, mais ce droit d’être soigné n’est pas conditionné par le mérite ou la contribution du citoyen individuel. Soyons clairs, les services offerts par le Ministère de la Solidarité et de la Santé sont financés par les contribuables. Cependant, ce financement général ne démontre pas que chaque citoyen doit avoir mérité ses soins ou les avoir payés.
Considérons l’idée du mérite. Les soins récompenseraient les citoyens vertueux qui se seraient rendu dignes de tels services. Néanmoins, les enfants et plus précisément les nouveau-nés bénéficient de soins et parfois de soins très dispendieux alors qu’ils ne peuvent en aucun cas les avoir mérités. Ajoutons que le corollaire du mérite est la sanction. Ceux qui ne sont pas vertueux, qui ne sont pas méritants perdraient leur accès aux soins qui sont la récompense du bon citoyen. Or, si tel était le cas, il faudrait supprimer la gratuité des soins pour une population bien plus large. Si les frères Kouachi avaient été capturés vivants, mériteraient-ils toujours d’être soignés gratuitement? Bertrand Cantat devait-il payer ses soins en prison?
La santé publique n’est pas exactement comparable à une assurance classique
On parle de la santé publique comme d’une assurance puisqu’on y contribue, mais c’est inexact. Stricto sensu, seuls ceux qui payent sont indemnisés par un système d’assurance. Des soins gratuits sont offerts à ceux qui n’ont jamais et ne pourront jamais contribuer au système. Les citoyens qui sont lourdement handicapés et qui ne peuvent travailler ne peuvent contribuer au financement du système. Si la santé publique était gouvernée entièrement par le raisonnement assurantiel, alors il faudrait soit exclure les handicapés ou leurs proches devraient offrir des contributions supplémentaires.
En somme, si les soins prodigués par la santé publique étaient une récompense pour bons citoyens, il faudrait faire payer tous ceux qui n’ont pas mérité ces soins ou qui ont démérité. Si la santé publique n’est rien d’autre qu’un système assurantiel, alors il faudrait exclure tous les non-contributeurs. Comme il n’en est rien, nous ne pouvons concevoir la gratuité des soins comme soit une récompense soit un dédommagement offert par un système assurantiel.
Bien sûr, les soins offerts gratuitement aux citoyens sont une forme de solidarité nationale. Les membres bien portants produisent un système d’entraide au nom de cette appartenance commune : les soins sont offerts aux actifs et aux inactifs, aux valides et aux invalides, aux citoyens vertueux et aux citoyens vicieux.
D’autres groupes que les non-vaccinés font peser des risques sur la collectivité
Qu’en est-il de l’argument de Martin Hirsch qui assène que les non-vaccinés sont des irresponsables, qui font courir des risques inutiles à leurs compatriotes? Faut-il simplement le rejeter parce que les soins ne sont pas offerts en fonction du mérite individuel de chaque citoyen? En théorie, on pourrait le balayer. Si le fait d’imposer des risques à autrui gouvernait la distribution des soins, alors on devrait refuser des soins à énormément de citoyens. Les non-vaccinés ne sont pas une population unique et inédite par le fait qu’ils imposeraient des risques aux autres.
Mais, considérons un instant que l’accès aux soins soit indexé au bon comportement de chaque citoyen. Qu’est-ce que cela entraînerait?
Quoiqu’en dise monsieur Hirsch les non-vaccinés ne sont pas seuls qui puissent transmettre le virus. Il répondra que les vaccinés ont fait un geste pour diminuer le risque qu’ils posent, mais cela n’efface pas le risque. Ainsi, nous sommes face à une différence de degrés. Si l’on est non vacciné, mais que l’on se fait dépister et que l’on respecte la distanciation sociale, devrait-on payer moins cher que les non-vaccinés qui se donnent moins de peine pour protéger leurs compatriotes? Et les vaccinés qui sortent trop, doivent-ils payer?
Autre interrogation: quels sont les risques imposés à la population? On peut aisément accabler les non-vaccinés en affirmant qu’ils occupent inutilement des lits, mais qu’en est-il de l’état de la santé publique? Tous ceux qui fermèrent des milliers de lits d’hôpitaux, qui créèrent ces déserts médicaux, qui sabrèrent soit le recrutement ou les conditions d’emploi du personnel médical, n’ont-ils pas affaibli le système de santé? Et si l’affaiblissement du système de santé impose des risques à la population française, pourquoi ces notables auraient-ils droit à la gratuité des soins? Imaginez que la France soit en train de perdre une guerre. L’armée est affaiblie par un cruel manque de moyens et par une faible quantité de déserteurs. Selon monsieur Hirsch, seuls les déserteurs sont responsables.
Monsieur Hirsch fait semblant de lamenter l’irresponsabilité de certains citoyens, mais il ferait mieux de méditer l’incurie de ceux qui sapèrent et pillèrent le système de solidarité nationale. Mais pour reprendre un langage cher à son patron, ça l’emmerderait.
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