Enfumage
Fiscalité verte: l’«intaxication»
Taxe kérosène, taxe carbone aux frontières, taxe sur les entreprises polluantes… La taxmania française tente de se frayer un chemin en Europe sous couvert de bons sentiments écologiques. Une posture politique motivée par des enjeux nationaux
Les faits :Emmanuel Macron préside ce jeudi le premier « Conseil de défense écologique » avec pas moins de treize ministres et secrétaires d’Etat autour de la table. Mardi, le chef de l’Etat a indiqué qu’il souhaitait relancer les négociations européennes sur différentes taxes vertes et la création d’une banque européenne du climat. Des annonces surtout destinées à répondre aux Gilets jaunes, séduire les écologistes et une partie de l’aile gauche de l’échiquier politique à quelques jours des élections européennes. La fiscalité environnementale est une nouvelle fois présentée sous la seule facette de la répression financière.
Qui a dit : « Je ne veux pas de hausses d’impôts » ? Emmanuel Macron le 25 avril lors de sa
conférence de presse. Qui a dit : « Je veux que l’on avance sur la sur la taxation du kérosène en Europe. […] Il faut taxer en Europe les entreprises les plus polluantes et mettre une taxe carbone aux frontières » ? Le même Emmanuel Macron, un mois plus tard, dans son interview à la presse quotidienne régionale.
La séquence « pouvoir d’achat » entamée il y a six mois avec les 11 milliards d’euros de mesures Gilets jaunes n’est pas encore clôturée – les modalités de la baisse de l’impôt sur le revenu pour 2020 ne sont toujours pas connues – que la taxmania française est repartie de plus belle. Les Gilets jaunes ayant vitrifié toute marge de manœuvre en France, c’est désormais au niveau européen que se joue la partie ! Du chef de l’Etat aux ministres, en passant par les députés ou les candidats aux élections européennes : tous redoublent d’appétit fiscal en ce printemps 2019.
Gâteau fiscal. Comme la taxation des géants numériques (le Sénat a voté dans la soirée de mardi la taxe Gafa de Bruno Le Maire), la transition écologique est un gâteau fiscal lorgné de près par les politiques. Elle présente le double avantage d’être consensuelle dans l’opinion publique (qui peut refuser d’œuvrer en faveur de la transition écologique ?) et peut surtout rapporter gros. Comme l’argument de la « justice fiscale » est devenu le faux nez des hausses d’impôts, la transition écologique est désormais systématiquement appréhendée par le biais d’un recours accru au bâton fiscal. Parfois, les deux concepts cohabitent d’ailleurs joyeusement, comme dans le programme de La République en marche pour les Européennes, dont les premières propositions sont « l’écologie comme priorité numéro 1, mais aussi une meilleure justice sociale et fiscale ».
« Pour faire de l’Europe une puissance verte : taxation du kérosène en Europe, Banque européenne du climat, taxe sur les entreprises les plus polluantes, taxe carbone aux frontières », a tweeté avec enthousiasme la secrétaire d’Etat auprès du ministre de la Transition écologique et solidaire, Brune Poirson, après l’interview d’Emmanuel Macron. Trois taxes et une nouvelle banque européenne qui, faut-il le rappeler, existe déjà. La Banque européenne d’investissement aura financé 100 milliards d’euros de projets en faveur de la transition énergétique entre 2015-2020, conformément aux engagements de la COP21. Un instrument efficace qui, en plus, ne coûte rien au contribuable européen, contrairement aux propositions du président de la République.
« De nouveau, on présente la fiscalité écologique sous le seul visage des augmentations de taxes. Je ne vois aucune baisse pour les comportements vertueux », relève l’expert en fiscalité verte Guillaume Sainteny, professeur à AgroParisTech et auteur du livre Le Climat qui cache la forêt (Editions Rue de l’Echiquier). « Le bâton n’est pas le seul levier pour changer les comportements, la carotte existe aussi », insiste le spécialiste, qui craint que ce biais systématique ne pousse les gens à assimiler de plus en plus fiscalité écologique et hausses d’impôt.
C’est précisément ce qui se passe aujourd’hui. En cause, la pression d’un ministère des Finances devant faire face à un double mur de 100 milliards d’euros de déficit de l’Etat et de 100 % de dette publique cette année. L’Etat a toujours besoin de quelques rentrées supplémentaires. C’est comme cela par exemple que le rapprochement de la fiscalité entre le diesel et le super, engagé sous François Hollande en augmentant les taxes sur le gazole mais en baissant celles sur l’essence, s’est transformé depuis l’arrivée d’Emmanuel Macron au pouvoir en une double hausse, mais plus rapide sur le diesel que sur l’essence. Un exemple parmi tant d’autres.
Poches percées. C’est pourtant cette perception que la fiscalité verte servirait davantage à remplir les poches percées de l’Etat que de financer la transition énergétique qui a favorisé l’émergence du mouvement des Gilets jaunes, dans la foulée du durcissement de la trajectoire carbone à l’été 2017. Les pays ayant réussi leur transition carbone, comme la Suède et le Canada, l’ont fait en accompagnant les ménages avec des mesures de soutien pour qu’ils puissent faire face à l’augmentation du coût de l’énergie. Les infrastructures étaient assez développées pour leur permettre de prendre un autre moyen de transport que leur automobile. La société avait été préparée à l’augmentation de la taxe carbone.
Rien de tout cela en France où la complexité et le manque de cohérence de la fiscalité sont autant d’irritants supplémentaires. « Où est la logique quand il est plus avantageux d’investir dans des sociétés pétrolières au Kazakhstan avec un prélèvement forfaitaire unique de 30 % que d’investir dans une lande ou un site Natura 2000, pour lesquels on peut être taxés jusqu’à 62,2 % sur les plus-values ? », s’interroge Guillaume Sainteny. De fait, les ventes d’espaces protégées sont aujourd’hui plus taxées que les sites productifs. Mais baisser la fiscalité sur les biens verts coûterait aux caisses de l’Etat. Ce dernier préfère donc faire payer la facture de la transition écologique aux contribuables
Une facture d’autant plus douloureuse et mal acceptée que la France, grâce à son parc nucléaire, est le deuxième pays le plus vert de l’Union européenne derrière la Suède en termes d’émissions de CO2. L’Europe étant elle-même la région du monde la plus vertueuse en la matière.