Le renouveau
Après un retour triomphal à Paris le 25 août 1944, le général de Gaulle met toute son énergie dans le redressement du pays. Il obtient en particulier la collaboration des communistes, faisant fi de la désertion de leur chef, Maurice Thorez lors de l'attaque allemande et de leurs compromissions avec l'occupant en 1940.
De Gaulle rétablit la position internationale du pays.
Bien que vaincue dès 1940, la France, qualifiée de « cinquième Grand », obtient grâce à la ténacité du Général une place parmi les vainqueurs lors de la capitulation du IIIe Reich le 8 mai 1945 ainsi qu'au Conseil de sécurité de l'ONU. De Gaulle s'en justifie par le fait que le deuxième conflit mondial (39-45) est indissociable du premier (14-18), durant lequel la contribution de la France fut essentielle. Lui-même qualifie ce drame avec justesse de « nouvelle guerre de Trente Ans » dans un discours à Bar-le-Duc (28 juillet 1946).
En matière économique, le général tourne le dos au libéralisme et affiche des idéaux que n'auraient pas reniés les gouvernants précédents.
C'est ainsi que, dans un discours prononcé à Lille le 1er octobre 1944, il proclame :
« Nous voulons la mise en commun de tout ce que nous possédons sur cette terre et, pour y réussir, il n'y a pas d'autres moyens que ce que l'on appelle l'économie dirigée. Nous voulons que ce soit l'État qui conduise, au profit de tous, l'effort économique de la nation tout entière et fasse en sorte que devienne meilleure la vie de chaque Français et de chaque Française (...). Il faut que la collectivité, c'est-à-dire l'État, prenne la direction des grandes sources de la richesse commune et qu'il contrôle certaines des autres activités, sans bien entendu exclure les grands leviers que sont, dans l'activité des hommes, l'initiative et le juste profit ».
Ce discours et les premiers actes du gouvernement provisoire, parmi lesquels le droit de vote étendu aux femmes, séduisent les communistes ainsi que les intellectuels, pleins de méfiance à l'égard du capitalisme anglo-saxon et de sympathie pour le dirigisme à la manière des dictatures continentales.
Accès de mélancolie
Général de grande taille, à la voix forte et au regard acéré, possédé par le sentiment d'une mission historique au service de la France, Charles de Gaulle paraît aussi solide qu'un roc ou un chêne.
La réalité est sans doute plus nuancée. L'homme a éprouvé la fragilité humaine à travers l'affection pour sa fille trisomique Anne. Plusieurs fois aussi dans sa vie publique, il a connu de pénibles échecs et songé à se retirer. La première fois, ce fut sans doute à l'issue de l'expédition de Dakar, en septembre 1940, après que des Français s'entretuèrent sur son ordre sans résultat. Il y eut ensuite, à la Libération, le difficile atterrissage dans la politique ordinaire, qui aboutit à sa démission de la présidence du gouvernement provisoire en janvier 1946.
De retour au pouvoir, il encaissa très mal la mise en ballotage à l'issue du premier tour des élections présidentielles de 1965. Pris de court par les événements de Mai 68, il alla en secret chercher du réconfort à Baden-Baden, auprès du général Massu. L'accalmie fut de courte durée. Après le référendum de 1969, il démissionna avec panache de la présidence.
Déconvenues et revanche
Inspiré dans la guerre, de Gaulle l'est beaucoup moins dans la paix. Il se montre très attaché à l'héritage de la colonisation comme le montre le discours de Brazzaville (30 janvier 1944) :
« Depuis un demi-siècle, à l'appel d'une vocation civilisatrice vieille de beaucoup de centaines d'années, sous l'impulsion des gouvernements de la République et sous la conduite d'hommes tels que : Gallieni, Brazza, Dodds, Joffre, Binger, Marchand, Gentil, Foureau, Lamy, Borgnis-Desbordes, Archinard, Lyautey, Gouraud, Mangin, Largeau, les Français ont pénétré, pacifié, ouvert au monde, une grande partie de cette Afrique noire, que son étendue, les rigueurs du climat, la puissance des obstacles naturels, la misère et la diversité de ses populations avaient maintenue, depuis l'aurore de l'Histoire, douloureuse et imperméable... »
À la différence des Britanniques, il ne comprend pas le caractère inéluctable de la décolonisation et laisse la France s'embourber dans les conflits d'Indochine et d'Algérie. Il réprime ainsi dans le sang une manifestation d'autonomistes algériens à Sétif et restaure tant bien que mal l'autorité du gouvernement français sur l'Indochine.
Bientôt désavoué par les électeurs et la classe politique, le Général est évincé du pouvoir en janvier 1946. À son grand désappointement, le gouvernement provisoire est remplacé un an plus tard par une IVe République calquée sur la précédente, avec un régime parlementaire conduit par des dirigeants modérés, essentiellement MRP (chrétiens-démocrates), socialistes et radicaux.
Mais Charles de Gaulle ne se résigne pas à la retraite. Dès le 16 juin 1946, à Bayeux, devant la foule de ses fidèles, il formule une alternative constitutionnelle à la IVe République en appelant à une stricte séparation du pouvoir législatif (le Parlement) et du pouvoir exécutif (le gouvernement et le chef de l'État) Mais sa proposition laisse la classe politique et l'opinion indifférentes...
L'année d'après, le Général fonde son propre parti, le Rassemblement du Peuple Français (RPF). De nature protestataire, celui-ci joint les voix de ses élus à celles des communistes pour entraver l'action du gouvernement. Il s'oppose à l'abandon de l'Indochine et des autres colonies ainsi qu'au projet de Communauté Européenne du Charbon et de l'Acier (CECA) ; il fait capoter le projet de Communauté Européenne de Défense (CED)... En 1953 enfin, prenant acte de l'inanité de son action, de Gaulle se met en retrait du RPF et se retire dans sa résidence de Colombey-les-deux-Églises.
Il profite de ses loisirs forcés pour écrire ses Mémoires de guerre. Ce livre de combat apparaît aussi avec le recul du temps comme un chef-d'oeuvre de la littérature française, fruit d'un travail personnel très intense. « Ces Mémoires me donnent énormément de mal pour les écrire et pour en vérifier tous les éléments historiques au détail près. Comprenez-vous, je veux en faire une oeuvre, ce n'est pas ce qu'a fait Churchill qui a mis bout à bout beaucoup de choses », écrit de Gaulle dans une lettre à Louis Terrenoire le 26 décembre 1953, peu après que son vieux rival eut obtenu le Prix Nobel de littérature.
Après une longue « traversée du désert », le Général revient au pouvoir à la faveur du vrai-faux coup d'État du 13 mai 1958 : les Algérois d'origine européenne, craignant d'être lâchés par le gouvernement, en appellent à de Gaulle pour maintenir la souveraineté de la France sur l'Algérie. De sa retraite de Colombey-les-deux-Églises, de Gaulle fait répondre qu'il se tient prêt à « assumer les pouvoirs de la République ». Le 19 mai, il donne une conférence de presse pour dire qu'il refuse de recevoir le pouvoir des factieux d'Alger. Aux journalistes qui s'inquiètent de l'éventualité d'une dictature, il lance : « Croit-on qu'à 67 ans, je vais commencer une carrière de dictateur ? ».
Par crainte d'une subversion militaire, la classe politique lui fait allégeance et le président René Coty demande le 29 juin au « plus illustre des Français » de former le gouvernement. Aussitôt après, le général de Gaulle obtient les pouvoirs spéciaux en Algérie, les pleins pouvoirs en métropole et le droit de procéder à une révision constitutionnelle.
Une Constitution sur mesure
Charles de Gaulle fait appel au fidèle Michel Debré pour écrire une nouvelle Constitution selon ses voeux. Celle-ci établit un régime présidentiel. Un collège électoral relativement large élit pour sept ans un président qui n'est pas responsable devant le Parlement. Approuvé par référendum le 28 septembre 1958, le nouveau texte marque la fin de la IVe République et le début de la Ve.
Le premier président de la République est, cela va de soi, le général de Gaulle lui-même. Sa légitimité est renforcée après le référendum du 28 octobre 1962 qui introduit l'élection au suffrage universel du Président de la République.
Entre temps, le chef de l'État use de son autorité pour opérer les grandes réformes qu'attend le pays. Il met en application le plan de Jacques Rueff pour relancer l'économie. Le populaire ministre de l'Économie Antoine Pinay réussit à convaincre l'opinion publique des bienfaits de ce plan de rigueur qui passe notamment par la création d'une nouvelle monnaie (1 nouveau franc = 100 anciens francs).
Les colonies d'Afrique noire reçoivent une indépendance formelle au cours de l'année 1960 (mise à part la Guinée, dont le principal leader, Sékou Touré, a revendiqué et obtenu l'indépendance dès 1958, dans des conditions d'ailleurs désastreuses). Le général de Gaulle, fort de son prestige, va veiller à conserver des liens étroits avec elles en s'appuyant sur un conseiller de l'ombre, Jacques Foccart, instigateur de la « Françafrique ».
Plus douloureux est le règlement de l'affaire algérienne. Le général de Gaulle doit longtemps louvoyer pour faire admettre aux colons le lâchage de l'Algérie. Le cessez-le-feu du 19 mars 1962, l'indépendance du pays et le départ précipité d'un million de « pieds-noirs » (les Français d'Algérie) vont laisser beaucoup de rancoeurs : jusqu'en 1963, le pays va vivre dans la crainte des attentats de l'OAS (Organisation de l'Armée secrète), dont certains dirigés contre le président lui-même, tel celui du Petit-Clamart, le 22 août 1962.
Pour faire face à ces difficultés, de Gaulle, dont la probité personnelle est incontestable, s'appuie sur des gens sans scrupules qui vont être à l'origine de nombreux scandales politiques et financiers jusque dans les années 1970 : « barbouzes » du SAC (Service d'Action civique), affaire Ben Barka, Garantie foncière etc.
La France n'en retrouve pas moins son rang parmi les grandes nations comme l'attestent les visites officielles du chancelier Adenauer et du président Kennedy...
Enfin la paix et la prospérité
Après l'épreuve algérienne, la France va jouir enfin de quelques belles années de paix et de prospérité, favorisée par une natalité élevée, une jeunesse nombreuse et le dynamisme des rapatriés « pieds-noirs ».
Avec Georges Pompidou, qui remplace Michel Debré le 14 avril 1962 au poste de Premier ministre, l'État s'engage dans une politique industrielle très active qui va hisser la France dans le peloton de tête des grandes puissances : programme ferroviaire à grande vitesse, modernisation du téléphone, construction d'autoroutes, supersonique Concorde et conquête spatiale, programme nucléaire, constitution de groupes industriels majeurs dans l'informatique, l'énergie, la mécanique, la pharmacie etc.
Le général de Gaulle se cantonne plus ou moins dans le « domaine réservé » de la politique étrangère qui lui tient à coeur. Pour garantir l'indépendance de la nation, il développe une force nucléaire de dissuasion : il s'agit que l'armement nucléaire, sans rivaliser avec celui des Américains ou des Soviétiques, soit assez dissuasif pour faire à un ennemi potentiel autant de mal qu'il pourrait en faire à la France.
Il reprend à son compte la construction européenne lancée par le traité de Rome du 25 mars 1957 mais s'oppose à la dilution de la Communauté Économique Européenne (CEE) dans un ensemble atlantique inféodé aux États-Unis et pour cela rejette l'entrée de la Grande-Bretagne dans l'Europe des Six. Il s'oppose tout autant à la fédéralisation de l'Europe et lui préfère une « Europe des Nations ».
Pour cette raison, le 30 juin 1965, lorsqu'est envisagé le remplacement de la règle de l'unanimité par la règle de la majorité simple, il boycotte le Conseil des ministres de la CEE. Cette « politique de la chaise vide » se conclut le 30 janvier 1966 par le compromis du Luxembourg, qui réserve la règle de l'unanimité aux décisions majeures.
En mars 1966, par méfiance à l'égard de Washington, de Gaulle retire l'armée française du cadre opérationnel de l'OTAN. Quelques mois plus tard, le 1er septembre 1966, il lance à Phnom Penh (Cambodge) une vibrante proclamation contre l'intervention américaine au Viet-Nam. Il fait également scandale à Québec le 24 juillet 1967 (« Vive le Québec libre ! »).
Lorsque survient la troisième guerre israélo-arabe en 1967, l'opinion occidentale est tout entière de coeur avec Israël et il n'y a que le général de Gaulle pour faire entendre une musique différente, jusqu'à annoncer un embargo contre Israël. Dans une conférence de presse, le 27 novembre 1967, il qualifie ce pays de « peuple juif, peuple d'élite, sûr de lui-même et dominateur ». Dur à avaler de la part d'un leader occidental qui, pendant la Seconde Guerre mondiale et après, n'a pas eu un mot de compassion pour les victimes de la Shoah.
Au terme de son septennat, de Gaulle hésite à se représenter. Mais il cède finalement à la tentation de mettre à l'épreuve l'élection du chef de l'État au suffrage universel !
Mis en ballotage aux élections présidentielles des 5 et 19 décembre 1965 et réélu au deuxième tour de scrutin seulement, le général voit sa popularité s'éroder. Il est secoué par les émeutes étudiantes et la grève générale de mai 1968, au point et l'année suivante, le 27 avril 1969, prenant prétexte d'un référendum raté, il démissionne sans attendre d'être rattrapé par l'âge.
De Gaulle meurt l'année suivante, dans sa maison de Colombey-les-Deux-Églises, à la veille de ses 80 ans. Il est selon son désir inhumé en toute simplicité dans son village d'adoption aux côtés de sa fille Anne.
André Larané