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Les origines religieuses du droit d’asile
La notion d’asile remonte à l’Antiquité. On en trouve les prémices chez les Égyptiens. Le Traité de Kadesh, conclu en 1280 avant J.-C. entre Ramsès II et Hattousil III le roi des Hittites, prévoit au terme des guerres entre les deux armées la protection puis le rapatriement des prisonniers du camp adverse.
Vers le Ve siècle avant JC, les Grecs développent le droit d’asile. Le mot « asile » vient du grec asulon qui désignait un sanctuaire, un lieu à caractère religieux, inviolable. Ce principe était appliqué dans un cadre religieux : le réfugié était placé sous la protection des dieux, inaccessible aux vengeances, dans des lieux divins respectés par tous.
Ainsi le temple de Poséidon, sur l'île de Paros, offrait un refuge aux personnes poursuivies par leurs ennemis. Et l’asile était accordé à tout un chacun quels que soient son rang, sa condition sociale et sa conduite : princes ou esclaves, délinquants ou assassins de droit commun.
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Temple de Poseïdon 44 av JC Cap Sounion Ile de Paros |
Saint Augustin défend le droit d'asile pour les criminels
Le Moyen Âge en fait un droit universel à l’instigation des Églises chrétiennes au risque d’un encombrement des lieux de culte. Au Ve siècle, Augustin se fait le défenseur de cette pratique dont l’extension à des criminels peut surprendre de nos jours.
« Augustin rappelle le principe d’asile : il doit être offert à tous, justes et injustes, bons et méchants, innocents et coupables, explique le père assomptionniste Jean-François Petit (note). Ce principe se fonde sur la charité chrétienne et les fins eschatologiques de l’asile. À un plan plus pratique, chaque fidèle peut avoir, un jour ou l’autre, besoin de cet asile dans des circonstances difficiles, d’où la nécessité de supprimer toute distinction entre bons et méchants. Tous ceux qui croient en la protection de Dieu doivent pouvoir trouver refuge dans les églises (…) Aucune condition préalable ne doit être imposée au candidat à l’asile : qu’il soit criminel au regard de la loi terrestre ou coupable au regard de la loi divine, il doit bénéficier de la protection des lieux saints. Les lois impériales de 408 et 409, promulguées au nom de Dieu, protègent les églises. »
La charité chrétienne à l’épreuve des réalités
L’asile avait pour objectif de sauver le réfugié de la mutilation ou de la mort résultant d’une vengeance individuelle qui, à l’époque, tenait souvent lieu de justice. Mais il n’exonérait pas pour autant son bénéficiaire de toute peine.
Ainsi le roi mérovingien Gontran (VIe siècle) n’exécuta pas celui qui avait voulu l’assassiner, mais il le fit fouetter. Deux conjurés contre Childebert II quittèrent l’église où ils s’étaient réfugiés avec la promesse de la vie sauve, mais ils furent condamnés au bannissement. Enfin Charlemagne se réservait le droit d’envoyer dans un lieu qu’il choisissait ceux qui étaient protégés par le droit d’asile.
C’est le clergé qui jouait un rôle d’intercesseur entre le coupable et la victime afin que la notion de pardon l’emporte, au prix d’une transaction entre les deux parties que l’offensé acceptait généralement.
L’Église officialise et réglemente l’asile au concile d'Orléans réuni par Clovis en 511. Essentiellement religieux, il ne s’exerce, sous le nom d’immunité, que dans les lieux dédiés au divin.
Le concile de Reims, en 631, oblige l'homme qui, par le bienfait de l'Église, est délivré de la peine de mort, à promettre, avant qu'on ne le laisse sortir du lieu de culte, de faire pénitence de son crime et d'accomplir fidèlement ce qui lui serait canoniquement imposé. S'il s'est rendu coupable d'un homicide volontaire, il ne reçoit l’absolution, même en se soumettant à la pénitence, qu'à la fin de sa vie.
Mais en raison des abus, le droit d’asile devient de plus en plus limité par les autorités temporelles ou religieuses. Au XIIIe siècle, les décrétales d'Innocent III et de Grégoire IX en excluent de nombreuses catégories de personnes, parmi lesquelles les juifs et les hérétiques. Puis, c’est au tour des coupables d’homicide d’en être privés.
Reprise en main par l’État et la Nation
En France, il devient l’objet d’un antagonisme entre l’Église et le pouvoir royal au fur et à mesure que la monarchie se renforce. Il est perçu comme un obstacle à l’exercice du pouvoir absolu. Inacceptable pour le roi de partager avec le clergé cette prérogative qu’il considère comme une ingérence dans sa justice. C'est un des points de l'ordonnance de Villers-Cotterêts, édictée sous François Ier en 1539 ; elle supprime l'application du droit d'asile par l'Église dans le royaume de France pour le transférer à l’État.
Ainsi ce concept devient séculier : l’asile n’est plus lié à un lieu sacré, mais à un territoire dirigé par un souverain. Ce n'est plus dans un lieu sacré mais auprès des autorités civiles et politiques d'un État étranger que l'on recherche protection ; les raisons d’accorder l’asile deviennent politiques et religieuses, alors que jusque-là il s’agissait surtout d’échapper surtout à des poursuites de droit commun.
La première proclamation d'un droit d’asile constitutionnel est celle de l’article 120 de la constitution de 1793 qui ne sera jamais appliquée mais qui stipule que « le peuple français donne l’asile aux étrangers bannis de leur patrie pour la cause de la liberté. Il la refuse aux tyrans ». On trouve là les fondements d’une France terre d’asile.
Au début du XIXe siècle, alors que l’Europe connaît des soubresauts politiques, les « réfugiés étrangers » provenant en grande partie de Pologne, d’Espagne ou d’Italie sont répartis sur le territoire et aidés par l’État. La première loi les concernant est celle du 21 avril 1832. Elle prévoit que le gouvernement peut réunir dans une ou plusieurs villes de son choix les étrangers réfugiés qui résident en France, et affirme que le gouvernement pourra leur ordonner de sortir du royaume si leur présence trouble l’ordre public.
En mars 1833, le ministère de l’Intérieur crée des commissions de révision des titres de réfugiés politiques. Il s’agit de s’assurer que les secours mensuels ne seront versés qu’à des étrangers venus en France pour des raisons strictement politiques et non pour des motifs économiques.
Devant ces commissions, composées de manière différente selon qu’il s’agit de demandes émanant de civils ou de militaires, les étrangers doivent faire constater leur nationalité, leur grade s’ils sont militaires, et s’ils sont des réfugiés civils, prouver « qu’ils ont exercé les fonctions ou emplois qu’ils disent avoir remplis, leur position sociale, la nécessité de leur expatriation, et que les amnisties ne leur sont point applicables ».
À l’origine de cette procédure, se niche déjà une forte suspicion, celle que, parmi les étrangers vivant en France, certains abusent de l’hospitalité française et profitent indûment des secours versés aux réfugiés.
Le droit international s’empare du droit d’asile
Au XXe siècle la question des réfugiés et des apatrides prend une dimension plus massive au point qu’elle s’institutionnalise dans les relations internationales. Au lendemain de la Première Guerre mondiale, l’apatridie prend une ampleur sans commune mesure avec le passé sous l’effet de la dissolution des Empires, des redécoupages de frontières et de l’apparition de pratiques de déchéance forcée et automatique de la nationalité pour des motifs idéologiques et politiques.
Des millions de personnes sont alors contraintes de s’expatrier. Elles bénéficient alors du « passeport Nansen » qui est un document d’identité, reconnu dès 1924 par 38 États (dont la France), permettant aux réfugiés apatrides de passer les frontières. Imaginé en 1921, il a été créé comme certificat d’identité et de voyage le 5 juillet 1922 par la conférence internationale de Genève grâce au Norvégien Fridtjof Nansen qui créa « l’Office international Nansen pour les réfugiés ».
La Seconde Guerre mondiale aggrave cette situation : on compte des millions de réfugiés, vaste catégorie qui recouvre des situations très diverses : personnes déplacées, volontairement ou non, en raison des combats ; réfugiés de fait ; victimes des transferts forcés de populations, des politiques de terreur et des persécutions.
En France, le principe du droit d’asile est énoncé à la fin de la Seconde Guerre mondiale dans le préambule de la Constitution française de 1946, partie intégrante de notre Constitution : « Tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté a droit d'asile sur les territoires de la République. »
Le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) est créé en 1950. Il a pour mission de sauvegarder les droits et le bien-être des réfugiés. Le 28 juillet 1951 sont jetées les bases juridiques d’une protection internationale des réfugiés avec l’adoption de la Convention de Genève, sous l’égide de l’Organisation des Nations unies. Ce texte fondateur définit la notion de réfugié et énonce les droits fondamentaux qui doivent lui être garantis.
En pratique, la Convention de Genève est limitée aux réfugiés européens pour les événements survenus avant le 1er janvier 1951. Mais la multiplication des conflits à travers le monde conduit les États à adopter en 1967 un nouveau texte international, le Protocole de New York. Il complète la Convention de Genève de 1951 et permet ainsi de protéger tous les réfugiés , quels que soient leur pays d’origine et la date des événements qu’ils fuient (note).
Dès lors, on peut parler d’une mondialisation du statut de réfugié. Les premières arrivées non européennes sont celles des Latino-américains, notamment en provenance du Chili après le coup d’État contre le président Allende (1973). Rapidement, la chute de Saïgon et de Phnom Penh (1975) provoque l’exode des boat people vietnamiens, laotiens et cambodgiens. Le premier bateau à les recueillir en mer de Chine est « L’île de lumière » avec à son bord des équipes de Médecins sans frontières.
Le droit d’asile mis à mal par l’immigration de masse
Depuis les années 1980, dans un contexte migratoire dominé par les guerres régionales, la pauvreté des pays du sud et leur gouvernance plus ou moins déplorable, le droit d’asile est de plus en plus dévoyé. Il sert de paravent à une immigration clandestine attirée par l’Europe occidentale et son niveau de vie.
Michel Rocard : « La France, une terre d'asile politique mais pas plus »
Le 18 novembre 1989, Michel Rocard, Premier ministre, invité aux 50 ans de la Cimade, évoquait cette épineuse question : « N'y a-t-il pas aujourd'hui un certain détournement du droit d'asile qui, s'il n'y est pas porté remède, finira par menacer l'existence de ce droit lui-même ? (…) Nous avons signé la Convention de Genève de 1951 sur le statut des réfugiés. Elle demeure notre référence. Nous tiendrons cet engagement dans les termes mêmes où nous l'avons pris. Ni plus, ni moins. Il s'agit d'accueillir les personnes persécutées pour leurs opinions et leurs engagements notamment politiques, et elles seulement. »
Le 3 décembre 1989, lors de l’émission de télévision Sept sur sept, il insistait : « Nous ne pouvons pas héberger en France toute la misère du monde. La France doit rester ce qu’elle est, une terre d'asile politique mais pas plus. » Le 4 juillet 1993, à nouveau invité à Sept sur sept, alors qu’il est retourné dans l’opposition après la défaite de la gauche aux législatives de mars, il modulait son propos : « Je maintiens que la France ne peut pas accueillir toute la misère du monde. La part qu’elle en a, elle prend la responsabilité de la traiter le mieux possible. Mais à partir de là, ce n’est pas non plus une raison pour que la France se charge de toutes les xénophobies du monde. »
Trente ans plus tard, les interrogations de Michel Rocard gardent toute leur pertinence. Le problème du tri entre authentiques réfugiés politiques et imposteurs reste entier en raison de l’accroissement de l’immigration dans les démocraties occidentales.
Les pays d’accueil n’ont plus le temps et les moyens de connaître le passé judiciaire et politique de candidats à l’asile souvent sans papiers et sans état-civil. Encore faut-il aussi que ceux dont les dossiers sont acceptés ne se retournent pas contre un pays qui a eu la générosité de les recevoir. Manifestement l’assassin de l’enseignant de Conflans-Sainte-Honorine a lâchement piétiné ce principe élémentaire..L’Ofpra face aux demandeurs d’asile
La France s’est dotée à partir de 1952 d’un système national chargé d’examiner les demandes d’asile. L’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) est l’organe administratif chargé de cet examen et la Commission de recours des réfugiés (CRR), devenue depuis 2007 la Cour nationale du droit d’asile (CNDA), juge des recours qui lui sont soumis lors d’un rejet de l'OFPRA.
Si l’asile constitutionnel est accordé par l’Ofpra sur le fondement tiré du préambule de la constitution de 1946, il peut l’être aussi dans le cadre de la protection subsidiaire offerte à toute personne dont la situation ne répond pas à la définition du statut de réfugié mais pour laquelle il existe des motifs sérieux et avérés de croire qu'elle courrait dans son pays un risque réel de subir l'une des atteintes graves suivantes : la peine de mort ou une exécution, la torture ou des peines ou traitements inhumains ou dégradants, une menace grave et individuelle contre sa vie ou sa personne en raison d'une violence aveugle résultant d'une situation de conflit armé interne ou international.
Selon les chiffres du ministère de l’Intérieur, au cours de l’année 2019, 46 200 personnes étaient protégées par le droit d’asile. La France est le pays européen qui reçoit le plus de demandes, principalement de la part de ressortissants afghans, guinéens et géorgiens.