Le 7 février 1992, les douze ministres des affaires étrangères de l'Union européenne signent un « traité d'union économique, monétaire et politique » à Maastricht, aux Pays-Bas. C'est une conséquence indirecte de l'effondrement de l'URSS.
André Larané
L'Europe en recomposition
Trente mois plus tôt, le Mur de Berlin est tombé et l'Europe centrale est sorti de quatre décennies d'enfermement. Aussitôt, des revendications démocratiques mais aussi nationalistes se sont fait jour un peu partout.
En République fédérale allemande, le chancelier Helmut Kohl proclame que le « rassemblement des Allemands » est en marche. Son ami et allié François Mitterrand fait la moue. Le président français, pétri de souvenirs de la Seconde Guerre mondiale, craint qu'une Allemagne réunifiée renoue avec ses rêves de grandeur et se détourne du projet d'unification de l'Europe. Il demande au chancelier de reconnaître avant toute chose la frontière germano-polonaise de l'Oder-Neisse. Mais le chancelier s'offusque de cette marque de défiance.
Lors du sommet européen de Strasbourg, le 8 décembre 1989, le président français prend enfin acte du caractère inéluctable de la réunification. Il accepte avec les autres participants du sommet que le peuple allemand « recouvre son unité dans la perspective de l'intégration communautaire ». Mais il négocie, en contrepartie, le sacrifice du deutsche Mark sur l'autel de l'union monétaire européenne et met sur la table le projet d'une monnaie européenne.
Un an plus tard, à Rome, les 27 et 28 octobre 1990, un Conseil européen décide en conséquence d'accélérer l'intégration européenne et de créer une union monétaire. C'est au cours de ce Conseil que Margaret Thatcher fait ses adieux à ses homologues européens. Le 10 décembre suivant est signé l'acte de décès de la Communauté économique européenne (CEE) et son remplacement par l'Union européenne.
Dans la foulée débutent les conférences intergouvernementales destinées à mettre en oeuvre ces résolutions. Elles aboutissent au traité de Maastricht.
Un acte fondamental
Le traité de Maastricht est le deuxième acte fondamental de la construction européenne après le traité de Rome du 27 mars 1957. Touffu, il comporte 252 articles repris en partie des anciens traités ainsi que 17 protocoles et 31 déclarations. On y distingue quatre points fondamentaux :
- naissance d'une citoyenneté européenne :
Le traité proclame : « Sont citoyens de l'Union tous ceux qui ont la citoyenneté d'un État membre ». Cela signifie la liberté d'établissement, de séjour et de circulation mais aussi le droit de vote et d'éligibilité aux élections locales et européennes.
- élargissement des politiques communes :
Le traité prolonge les politiques communes, sur l'agriculture et la recherche par exemple. Il annonce aussi une Politique étrangère et de sécurité commune (PESC) « qui pourrait conduire, le moment venu, à une défense commune ».
- coopération en matière de justice et d'affaires intérieures :
Le traité suggère une coordination entre les États membres sur les mécanismes de contrôle aux frontières, dans la lutte contre le banditisme, dans l'octroi du droit d'asile et la maîtrise des flux migratoires.
- union monétaire :
Le quatrième point, et le plus lourd de conséquences, trace la voie vers une union monétaire qui deviendra effective le 1er janvier 1999 pour onze pays de l'Union (le Royaume-Uni préfèrera conserver sa monnaie nationale).
C'est la première fois qu'une unification monétaire précède l'unification politique et sociale. Cette innovation réveille les opposants à l'Europe économique, jugée trop technocratique. Elle suscite le doute chez des dirigeants politiques, tel le gaulliste Philippe Séguin ainsi que chez des économistes et des historiens comme Emmanuel Todd. Ceux-là mettent en doute l'axiome selon lequel la monnaie unique forcera naturellement les économies et les niveaux de vie à se rapprocher.
D'autres encore craignent que les bureaucrates de l'Union européenne n'altèrent la souveraineté des États et de leurs élus. Ils ne sont qu'à moitié rassurés par l'article 3 du traité qui prône le « principe de subsidiarité ». Ce mot désuet emprunté au vocabulaire d'Église signifie que les instances européennes doivent s'abstenir d'intervenir dans les compétences pour lesquelles les instances inférieures (nationales ou locales) sont plus compétentes.
D'autres enfin s'indignent que l'Europe parle gros sous pendant que des bandes armées mènent une guerre d'un autre âge autour de Sarajevo...
Une mise en oeuvre douloureuse
Le 2 juin 1992, le petit Danemark, tout à l'euphorie de sa victoire sur l'Allemagne en Coupe d'Europe de football, ose rejeter le traité par référendum. En France, sous la pression de l'opinion, le président François Mitterrand accepte à son tour le principe d'un référendum. Il s'ensuit une empoignade homérique avec un camp du Non conduit par le gaulliste Philippe Séguin et le socialiste Jean-Pierre Chevènement.
Déjà affleure le conflit entre démocratie et oligarchie, sous-jacent à l'Union monétaire. Ainsi arrive-t-il à Jacques Delors, président de la Commission européenne, de lancer à Quimper, le 28 août 1992 : « (Les partisans du Non) sont des apprentis sorciers. (...) Moi, je leur ferai un seul conseil : Messieurs, ou vous changez d'attitude, ou vous abandonnez la politique. Il n'y a pas de place pour un tel discours, de tels comportements, dans un vraie démocratie qui respecte l'intelligence et le bon sens des citoyens. »
« Le traité d’union européenne se traduira par plus de croissance, plus d’emplois, plus de solidarité, » écrit Michel Sapin, visionnaire ministre socialiste des Finances, dans Le Figaro (20 août 1992). Et Élisabeth Badinter, d'ordinaire plus mesurée, écrit dans Vu de gauche en septembre 1992 : « Le traité de Maastricht fait la quasi-unanimité de l’ensemble de la classe politique. Les hommes politiques que nous avons élus sont tout de même mieux avertis que le commun des mortels » (451).
Le traité est approuvé d'extrême justesse le 20 septembre 1992 (51% de oui) par le peuple français et il faudra la froide obstination des responsables politiques et des instances européennes pour qu'il se concrétise envers et contre tout.
L'année 1993 débute par la mise en oeuvre du Marché unique, avec la suppression des dernières barrières douanières. Cette avancée coïncide avec la première année de récession en Europe depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.
Les années suivantes se soldent par une croissance asthénique consécutive à la rigueur fiscale exigée par la mise en oeuvre de l'union monétaire et le lancement de l'euro.