Grand débat: un mois à tuer
Journal l'opinion
Le grand débat national est clos officiellement ce vendredi soir. Les premières mesures tirées de cette vaste consultation ne seront annoncées qu’à partir de la mi-avril. Une période compliquée pour Emmanuel Macron
Les réunions d’initiative locale se terminent ce vendredi 15 mars. Les organisateurs auront jusqu’au 18 pour poster leurs compte-rendu sur le site du grand débat national. Les conférences citoyennes régionales débutent en revanche ce vendredi, jusqu’au 23 mars. Et le chef de l’Etat finira d’échanger avec les élus des régions, jusqu’à début avril.
Lorsqu’il prend la parole le 10 décembre,
après trois semaines de révolte des Gilets jaunes, Emmanuel Macron promet le grand soir aux Français. Les mots sont forts, lourds de lendemains qui changent. Le Président, visiblement ébranlé par cette crise inédite, met la barre très haut. « Nous ne reprendrons pas le cours normal de nos vies [...] sans que rien n’ait été vraiment compris et sans que rien n’ait changé », s’engage-t-il. Il invite les Français à participer, du 15 janvier au 15 mars, à un « débat sans précédent », qui lui permettra de « prendre le pouls vivant du pays ». A charge pour lui d’en tirer les conclusions. « J’entends transformer avec vous les colères en solutions, écrit-il dans sa
Lettre aux Français le 13 janvier. Vos propositions permettront de bâtir un nouveau contrat pour la Nation ».
« On ne sortira de ce débat qu’avec des décisions très fortes, puissantes, parce qu’on en a besoin, parce que moi j’ai été porté par une partie de cette colère, et qu’on n’a pas été assez loin », lâche-t-il encore le 24 janvier, lors d’un débat avec des habitants de Bourg-de-Péage, dans la Drôme.
Alors que le
grand débat national se termine officiellement ce vendredi, date limite pour les réunions d’initiative locale, on peine à voir se dessiner le grand soir.
Machinerie. Toute une machinerie a été mise en place pour faire advenir, dans l’urgence, cette « démocratie participative » à laquelle semble converti le Président, et les Français ont joué le jeu. Quelque 16 000 cahiers citoyens ont été remplis, 400 000 personnes ont apporté leur contribution au grand débat sur le site Internet dédié, déposant un million de réponses aux « questions rapides » et 500 000 réponses aux « questions ouvertes », soit 1,5 million de contributions.
Le Président lui-même s’est fortement impliqué, échangeant pendant des dizaines d’heures, en bras de chemise, avec les élus des grandes régions, sous le regard des caméras. L’opération lui a permis de gagner du temps, de faire retomber la pression et de reconquérir quelques points dans les sondages.
Mais la période la plus compliquée pour lui s’ouvre désormais. Le débat est clos, or la réponse du Président n’interviendra pas avant le 15 avril. Un creux qu’il va falloir gérer. « On risque de voir le soufflé retomber », s’inquiète déjà un parlementaire LREM.
« Que voulez-vous que je vous dise, peste un membre de la direction du parti. On ne peut pas dire que l’on veut renforcer la démocratie représentative et enjamber le Parlement. C’est un passage obligé. »
Car le maître des horloges subit le calendrier de son grand débat. Du 15 au 23 mars, des citoyens tirés au sort, dûment encadrés, participeront à des conférences régionales. Les 2 et 3 avril, les députés tiendront des débats thématiques au Palais Bourbon. Le 10 avril, le gouvernement s’exprimera devant le Sénat.
« Que voulez-vous que je vous dise, peste un membre de la direction du parti. On ne peut pas dire que l’on veut renforcer la démocratie représentative et enjamber le Parlement. C’est un passage obligé. Et puis, nous aurons besoin d’eux pour porter les futures mesures. »
Restitutions objectives. Puis, les
cinq garants de cette consultation nationale remettront leur rapport. « Nous souhaitons le faire entre la fin des discussions parlementaires et avant les premières annonces de l’exécutif, à la fin de la première quinzaine d’avril, précise l’un d’entre eux. Certes, les responsables politiques sont soumis à une forte attente des citoyens qui attendent des conclusions, mais il leur faut comprendre que la période du 15 mars au 15 avril est primordiale. » « Nous voulons absolument séparer les restitutions objectives du grand débat, du moment politique qui suivra, c’est-à-dire du moment où le Président et/ou le gouvernement seront amenés à dire ce qu’ils entendent apporter comme réponse », affirme un conseiller du Président.
Pendant ce temps, le Président donnera encore l’illusion que le grand débat se poursuit, puisqu’il rencontrera les élus des quatre régions qu’il n’a pas encore vues. Il recevra les élus des Hauts-de-France à déjeuner à l’Elysée le 26 mars, puis se rendra dans les Pays de la Loire, en Bretagne et en Corse, ce qui nous emmènera début avril.
Depuis deux mois, le grand débat libère la parole et les idées. Difficile de remettre, du jour au lendemain, le couvercle sur la majorité. Délégué général du mouvement, Stanislas Guerini a déjà présenté les propositions de La République en marche dimanche dernier. « En ce moment, au groupe, c’est la foire aux idées, décrit un député LREM loyaliste. Tout le monde a compris qu’il fallait passer du temps en circonscription et remonte à Paris avec son message. Comme disait Coluche : “Certains ont des idées sur tout et d’autres ont surtout des idées.” » Mardi, lors de la réunion du groupe LREM consacrée au
grand débat, une proposition a remporté les suffrages à l’applaudimètre : retravailler la promesse de campagne d’Emmanuel Macron de réduire le nombre de parlementaires. Si ce n’est pas un crime de lèse-majesté… « On est dans un moment de réflexion à ciel ouvert, c’est normal », minimise-t-on à l’Elysée.
« On rentre dans une période éminemment politique, admet un proche du Président. Les trois mois qui viennent vont structurer les trois ans qui viennent »
Reste que l’attente de l’opinion sera d’autant plus forte qu’elle sera longue. « La presse va titrer tous les jours : que va faire le gouvernement ?, la pression sera forte, redoute un député de nature inquiète. Cette pression risque de faire monter les attentes au-delà du raisonnable. Le temps a été suspendu pendant deux mois, mais c’est fini, Macron n’est plus protégé par le grand débat ».
Il suffit d’ailleurs de voir comment la
privatisation d’ADP s’est installée cette semaine en une de l’actualité, pour comprendre que le Président n’est plus à l’abri d’une polémique reléguant au second plan les bénéfices du grand débat. « Tout cela est très fragile, il est à la merci durant le mois qui vient d’un problème qui viendrait de nouveau cristalliser les mécontentements », juge le même député. « Ce serait trop simple de penser qu’on peut répondre à toutes les crises par deux mois de débat et un mois de synthèse. Ce serait même effrayant », juge cependant Martial Foucault, directeur du Cevipof, le centre de recherche politique de Sciences Po.
Les conclusions que l’exécutif tirera du grand débat feront l’objet de trois types de mesures : immédiates, à moyen terme et à plus long terme, qui seront égrenées jusqu’à l’été. « On rentre dans une période éminemment politique, admet un proche du Président. Les trois mois qui viennent vont structurer les trois ans qui viennent ». Le risque principal, celui de décevoir, a été identifié, promet-on dans la majorité. « Le Président a vraiment envie de tout changer, la montagne n’accouchera pas d’une souris mais d’une montagne, veut croire Patrick Mignola, président du groupe MoDem à l’Assemblée. On ne reviendra pas au business as usual ».
Au cours de ses séances avec les élus, Emmanuel Macron a fait peu d’ouvertures, si ce n’est sur les 80 km/heure, la loi NOTRe et la fiscalité des plus riches. Et les propositions de LREM dimanche dernier instillent un doute sur la capacité du pouvoir macroniste à apporter des réponses à la hauteur de la crise. « Il y a un temps de digestion nécessaire, mais on ne peut pas se rater, convient un proche d’Emmanuel Macron. Sinon, ce serait comme si Travolta, après avoir chauffé la salle avec son déhanché, rentrait se coucher… »