Une île en grave crise démographique
Comparable en superficie (8 600 km2) à Chypre et à la Crète, la Corse est de loin la moins peuplée des îles méditerranéennes (340 000 habitants en 2020). Mais l'on estime à 5 millions les descendants des émigrés sur le continent et dans le monde.
Avec moins de naissances que de décès depuis 2013, la population de l'île ne progresse que grâce à l'immigration de métropole et d'Afrique (Maroc principalement). Son indicateur conjoncturel de fécondité est le plus bas de France (1,3 à 1,5 enfants par femme, source : INSEE). Il signifie que le nombre de naissances (2700 en 2020, dont une forte proportion dans les ménages étrangers à l'île) pourrait chuter à 800 à la fin du siècle.
Il s'ensuit chez les jeunes Corses un sentiment de dépossession qui alimente leurs révoltes depuis l'affaire d'Aléria de 1975, consécutive à l'installation de rapatriés d'Algérie dans la plaine orientale. Les révoltes ont été relancées en 2022 par des jeunes gens qui craignent pour leur identité et leur langue. Mais rien ne dit qu'un nouveau changement de statut préservera la population originelle de sa disparition dans le courant de ce siècle.
Des débuts agités
La présence humaine remonte à dix millénaires environ. Au néolithique tardif (3000 à 1800 av. J.-C.), une intéressante civilisation s'épanouit au sud de l'île, autour du site de Filitosa. Elle nous a légué de nombreux vestiges, plus de 600 menhirs, dont beaucoup sont sculptés, et plusieurs dizaines de dolmens.
Connue des Grecs sous le nom de Kyrnos, la Corse fait d'abord l'objet d'une colonisation par les Phocéens. Selon le récit d'Hérodote, cette cité grecque a été assiégée par Harpage, général de Cyrus le Grand. Une partie de ses habitants s'est alors enfuie en Corse où elle a fondé la cité d'Alalia (aujourd'hui Aléria) dans la plaine orientale. Ils auraient ensuite gagné le continent et fondé Massilia (aujourd'hui Marseille).
Lieu d'échanges entre Phocéens, Carthaginois et Étrusques, l'île passe semble-t-il sous la domination exclusive de ceux-ci à l'issue de la bataille d'Alalia, vers 540 av. J.-C. ainsi que l'attestent les découvertes récentes de riches sépultures étrusques.
Carthage reprend la main sur l'île avant que les Romains ne s'en emparent à l'issue de la première guerre punique. En 231 av. J.-C., réunie à la Sardaigne, elle constitue la deuxième province romaine après la Sicile.
Défrichée et assainie, la plaine orientale d'Aléria devient alors l'un des greniers à blé de Rome.
En 105 av. J.-C. est fondée une nouvelle capitale au nord de la plaine d'Aléria : Mariana, ainsi dénommée en l'honneur du général Marius.
Le site s'honore aujourd'hui d'une très belle cathédrale antique, témoignage des premières communautés chrétiennes de l'île. Les archéologues ont aussi découvert à proximité les vestiges d'un temple dédié à Mithra, dieu originaire de Phrygie, dont le culte était très populaire parmi les légionnaires.
Ascendances italiennes
De leur lointain passé, tissé de plusieurs vagues d'immigration, les Corses ont hérité une langue et des dialectes proches des parlers italiens.
Les habitants de la partie nord de l'île se signalent par des dialectes apparentés au toscan tandis que ceux du sud emploient des dialectes proches du sarde (la langue de la Sardaigne voisine).
Dans les villes côtières, les colons génois arrivés sur le tard sont longtemps restés fidèles à leur langue d'origine. De même que la petite communauté grecque qui a fui l'oppression turque en 1676 et s'est réfugiée à Cargèse, au nord d'Ajaccio.
L'ère pisane
Aux premiers siècles du Moyen Âge, l'insécurité s'installe et les côtes sont écumées par les pirates sarrasins tant et si bien que la population commence à se replier vers les montagnes de l'intérieur. Désertée, la plaine orientale retourne aux marécages et à la malaria.
L'île devient en théorie un territoire pontifical en vertu d'une donation faite en 754 au pape Étienne II par le roi des Francs, Pépin le Bref, et confirmée par son fils Charlemagne, en 794, au pape Adrien 1er.
En 1078, le pape Grégoire VII confie la gestion de l'île à l'archevêque de Pise.
Le pape Urbain II précise les modalités de cette gestion par une bulle en 1091. C'est ainsi que la Corse va vivre pendant deux siècles dans une certaine autonomie, sous la souveraineté théorique de Pise.
De cette période, les chroniques gardent le souvenir quelque peu idéalisé d'une société de pasteurs et de paysans relativement prospère.
Chaque vallée (« pièva ») est confiée à l’autorité du curé local, le « pièvan » et l’île se couvre d’un « blanc manteau » d’église romanes en style pisan, à l'image de l'ancienne cathédrale de Mariana (elle est délaissée en 1570 au profit de Bastia à cause de l'insécurité).
Ce style roman va perdurer jusqu’à l’irruption du baroque au XVIIe siècle, avec aujourd’hui pas moins de 360 églises baroques sur l’île.
Missionnés par le pape, les seigneurs pisans détruisent les repaires de pirates musulmans établis sur les côtes. Mais les incursions venues de la côte nord-africaine ne vont pour ainsi dire jamais cesser jusqu'au XVIIIe siècle.
Le drapeau de la Corse, emblème officiel de l'île depuis 1762, en perpétue le souvenir avec le profil d'un prisonnier maure ou barbaresque aux yeux bandés.
L'ère génoise
Suite à une bataille navale qui met aux prises Génois et Pisans le 6 août 1284, près de l'île de La Méloria, au large de Livourne, le destin de la Corse va basculer. Sans cesser d'appartenir à la papauté du point de vue du droit international, l'île est revendiquée par le roi d'Aragon, lequel a le soutien du pape.
En définitive, au terme d'une longue période de désordres, elle passe sous l'autorité effective de la République de Gênes. Elle est alors divisée en deux régions administratives séparées par la chaîne montagneuse centrale : l'En-Deçà-des-Monts (capitales : Bastia et Calvi) et l'Au-Delà-des-Monts (capitale : Ajaccio).
Ces régions recoupent les limites des départements institués par la Révolution en 1793, le Golo et le Liamone, ainsi que des départements institués par la Ve République en 1976 : la Haute-Corse et la Corse du Sud. Elles sont elles-mêmes subdivisées en 90 pièvi (ou piéves), l'équivalent des cantons actuels ; chaque pièva correspond à peu près à une vallée.
Rebutés par le caractère rebelle des habitants, les Génois s'abstiennent de pénétrer dans l'intérieur et se cantonnent dans les villes côtières, Bastia, Ajaccio, Porto-Vecchio... Ils tiennent au nord-ouest la citadelle de Calvi, qu'ils ont fondée en 1268.
Premières dissidences
En 1405, Vincetellu d'Istria, un noble corse allié du roi d'Aragon, part de Barcelone avec trois galères et s'empare de l'île. Il fonde la citadelle de Corte, au centre de l'île, mais perd le soutien de la population et finit décapité par les Génois en 1434.
En 1453, de guerre lasse et à court d'argent, le Sénat de Gênes cède l'île à l'Office Saint-Georges (ou « Casa San Giorgio »). Cette très puissante banque génoise va dès lors administrer l'île pendant près d'un siècle et demi, avant de la restituer à la République.
Pas de chance, la même année, la prise de Constantinople par les Turcs entraîne une recrudescence de la piraterie barbaresque, venue des côtes nord-africaines. Les Génois y pallient en faisant ériger par les piéves, tout le long du littoral, pas moins de 600 tours de guet, toutes construites sur le même principe. C'est la « torregiana ».
La banque lance aussi un vaste programme de construction de ponts et d'églises baroques qui concourent encore au charme de l'île.
Sous la Renaissance, les Corses entrent en résistance contre l'Office Saint-Georges. En 1553, un condottiere local, Sampiero Corso, arrache même l'île à Gênes... et la livre au roi de France Henri II. Ingrat, celui-ci la restituera à Gênes par le traité de Cateau-Cambrésis, six ans plus tard.
Conséquence de leur résistance à l'oppression génoise, les communautés rurales de l'En-Deçà-des-Monts forgent une démocratie locale assez ressemblante à celle des cantons suisses. Notons que, dans ces communautés, les femmes participent aux débats publics. Le droit de vote leur sera confirmé par la Constitution d'Orezza, en 1735.
Réduit à la faillite par l'incurie de ses représentants et l'agitation en Corse, l'Office Saint-Georges se voit retirer sa délégation.
En 1593, de retour aux affaires, le Sénat de Gênes dote la ville d'Ajaccio d'une belle cathédrale de style baroque consacrée à Notre-Dame de l'Assomption.
Un petit Napoleone Buonaparte y est baptisé le 21 juillet 1771...
À l'orée du « Siècle des Lumières », Gênes est au plus mal. Son port est même bombardé par la flotte française d'Abraham Duquesne. Fait sans précédent, le doge doit s'agenouiller humblement devant Louis XIV, le Roi-Soleil. Cette perte d'influence va encourager les Corses à la rébellion. L'île compte en ce début du XVIIIe siècle environ 120 000 habitants.
La « Guerre de quarante ans »
Colonie génoise, la Corse innove avec la première guerre d'indépendance des Temps modernes. Elle va durer quarante ans et finalement conduire à une autre forme de domination...
Tout commence par une émeute fiscale en 1729. L'année suivante, Bastia est mise à sac. Gênes appelle à l'aide les troupes de l'empereur Charles VI de Habsbourg. Mais les insurgés coordonnent leurs actions et, le 30 janvier 1735, proclament unilatéralement leur indépendance sous l'impulsion de Giacomo Paoli. C'est une première dans l'Histoire moderne.
Un personnage surgi de nulle part, le baron Théodore de Neuhoff, postule pour la couronne et offre sa fortune en contrepartie mais sa tentative fait long feu au bout de quelques mois.
Là-dessus, les Anglais, désireux de prendre pied sur l'île, apportent leur soutien aux insurgés. Les Français ne l'entendent pas de cette oreille et entreprennent de soumettre les insurgés pour le bénéfice de Gênes. L'ordre génois est de retour en 1753, ordre précaire s'il en est.
Pasquale Paoli (30 ans) prend la relève de son père. Il crée un « Royaume de Corse » indépendant... et sans roi. Lui-même est proclamé général en chef à la consulta de 1755.
Une nouvelle Constitution est votée la même année. Inspirée par L'Esprit des Lois de Montesquieu (1748), elle établit la séparation des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire. Elle accorde aussi le droit de vote aux citoyens et citoyennes de plus de 25 ans. Elle peut être considérée comme la première Constitution écrite de l'Histoire qui ait reçu un début d'application, la précédente, celle de 1735, n'ayant pas eu cette chance.
Popularisée par le compte-rendu d'un jeune aristocrate écossais, Boswell, la révolution corse fait l'admiration des « philosophes » dans les salons parisiens, et en particulier de Jean-Jacques Rousseau qui la donne en modèle dans son Contrat social. En retour, Pasquale Paoli lui demande en 1765 de rédiger une nouvelle Constitution pour son peuple.
Mais déjà le temps se couvre. Lasse de la guerre, Gênes cède « provisoirement » ses droits sur la Corse à la France par le traité de Versailles du 15 mai 1768. Le duc de Choiseul, qui dirige le gouvernement de Louis XV, va dès lors tout mettre en oeuvre pour liquider la rébellion et annexer l'île.
Pas moins de 20 000 hommes débarquent en Corse sous le commandement du lieutenant-général Chauvelin puis du comte de Vaux. Les Français finissent par l'emporter à Ponte-Novo après quelques revers initiaux - dont le plus sévère à Borgu le 9 octobre 1768.
Le chef de l'insurrection, Pasquale Paoli, gagne la côte et s'embarque sur un navire à destination de Livourne, en Italie, avec 300 fidèles. Parmi les partisans qui l'accompagnent jusqu'à la côte figure son aide de camp, un avocat d'Ajaccio du nom de Carlo - Charles - Buonaparte. Sa jeune épouse, Laetitia (18 ans) est enceinte de sept mois. Après une fuite dans la montagne corse, elle donne le jour à un petit Napoléon...
Ultime rébellion
Sous la Révolution, le 15 janvier 1790, la Corse devient un département français parmi d'autres. De retour en France sous les acclamations des révolutionnaires qui voient en lui un précurseur, Pasquale Paoli devient président du Conseil général et commandant en chef des gardes nationales.
Mais le gouvernement de la Première République, en 1793, entre en opposition avec le vieux chef et tente même de l'arrêter. Pour réduire son influence, la Convention divise l'île en deux départements, le Golo - chef-lieu : Bastia - et le Liamone - chef-lieu : Ajaccio - (ils reprendront vie en 1976 sous le nom de Haute-Corse et Corse-du-Sud).
De dépit, Pasquale Paoli soulève à nouveau l'île contre Paris et appelle les Anglais à l'aide. Le jeune lieutenant Napoléon Bonaparte, tiraillé entre ses sympathies jacobines et ses racines corses, est un moment tenté de le suivre.
Les Anglais, en guerre contre la France, sont trop heureux de venir au secours de Paoli. Le 19 janvier 1794, la flotte de l'amiral Hood débarque des soldats sur l'île. Ils ont vite fait d'occuper les principales villes et, le 10 juin 1794, une nouvelle Consulta proclame à Corte l'indépendance du Royaume anglo-corse sous tutelle anglaise.
Au grand dam du vieux « babbu di a Patria » (le « Père de la Patrie »), c'est un aristocrate écossais, Sir Gilbert Elliott, que Londres désigne comme vice-roi. Craignant que Paoli ne fomente des émeutes contre les nouveaux maîtres, le vice-roi obtient qu'il soit renvoyé à Londres. C'est là qu'il meurt à 81 ans, le 5 février 1807. À la fin du XIXe siècle, sa dépouille a été rapatriée dans sa maison natale, transformée en musée, à Morosaglia.
En 1796, après le départ forcé des troupes anglaises, l'île est reconquise par le général Antoine Gentili, dépêché sur place par Napoléon Bonaparte, devenu entretemps commandant en chef de l'armée d'Italie.
En 1799, le général Morand va réprimer avec brutalité une ultime rébellion.
En 1811 enfin, pour amadouer ses compatriotes, l'Empereur réunit l'île en un seul département et lui octroie de généreuses exemptions fiscales, pour la plupart encore en vigueur. L'une d'elles, sur les droits de succession, va avoir la fâcheuse conséquence de dissuader les Corses de solder les héritages ; il va s'ensuivre jusqu'à nos jours une grande confusion dans les propriétés foncières, rendant impossible le remembrement foncier avec des conséquences néfastes sur la modernisation de l'agriculture.
Faux espoirs
Au milieu du XIXe siècle, le romantisme et la nostalgie du terroir débouchent partout en Europe, de la Baltique à la Méditerranée, sur des tentatives de réhabilitation des langues et des identités anciennes. La Corse n'y échappe pas.
Deux nouvelles de Prosper Mérimée, Mateo Falcone (1829) et Colomba (1840) incrustent dans l'imaginaire national l'image d'une île sauvage et attachée à ses archaïsmes, aux antipodes de la Corse des Lumières, de Paoli et Bonaparte. L'irrédentisme corse émerge à la fin du XIXe siècle, avec le poète Santu Casanova qui publie un journal entièrement en langue corse, A Tramuntana...
Dans le même temps, les villages corses commencent à se vider, en dépit d'une natalité encore très forte. Les jeunes prennent le chemin des villes, du continent ou des colonies et une bonne partie de ceux qui sont malgré tout restés au village vont périr dans les tranchées de la Première Guerre mondiale ! C'est un phénomène qui n'a rien de spécifique à la Corse. Il est commun à beaucoup de départements ruraux et pauvres, de la Bretagne aux Pyrénées en passant par le Massif Central.
Aujourd'hui, néanmoins, l'île connaît à nouveau une forte croissance démographique grâce au tourisme et à l'arrivée de nouveaux habitants attirés par le soleil et les plages. Les deux villes principales connaissent une urbanisation accéléré : Ajaccio (90 000 habitants en 2020), préfecture de la Corse-du-Sud, et Bastia (50 000 habitants), préfecture de la Haute-Corse.
Ce phénomène nourrit les velléités autonomistes. Après une léthargie de plus d'un siècle, celles-ci ont surgi brutalement en 1975, du fait de l'installation d'agriculteurs pieds-noirs dans la plaine orientale. Il s'en est suivi le drame d'Aléria (trois gendarmes tués). Là-dessus se multiplient les attentats ciblés et les plasticages de gendarmeries et de villas de riches continentaux par les militants clandestins du Front de Libération Nationale de la Corse (FNLC).
Au tournant du XXIe siècle, usés par l'action policière, les défections et l'âge, les nationalistes corses jouent leur va-tout... Le soir du 6 février 1998, à Ajaccio, des dissidents du FLNC assassinent à bout portant le préfet de Corse-du-Sud Claude Érignac qui allait rejoindre son épouse à un concert. Ce crime sans précédent en temps de paix soulève une immense émotion en France et en Corse même. Les six assassins sont arrêtés et condamnés à la perpétuité. Un autre indépendantiste, Yvan Colonna, est dénoncé par les accusés, arrêté peu après et à son tour condamné. Incarcéré sur le continent, à Arles, il sera de façon inique étranglé à mort le 2 mars 2022 par un autre détenu, islamiste d'origine camerounaise, ce qui entraînera une nouvelle flambée d'émeutes sur l'île.
En attendant, disqualifiés par l'attentat, les mouvements indépendantistes ont peu à peu renoncé à la violence, laissant le champ libre aux partis autonomistes. Les notables de l'île ont pu dès lors se livrer à des trafics plus classiques et notamment à la spéculation foncière.