Monuments amoureux
Le premier d'entre eux reste d'ordre architectural, ce qui a le mérite d'allier la connaissance et l'éternité, les monuments étant considérés comme les plus nobles des symboles.
Et quand ils sont associés à l'amour, ils deviennent très vite des légendes, par exemple, à Abou Simbel, le petit temple spécialement dédié à la reine Nefertari, grande épouse royale de Ramsès II (XIIIe siècle avant notre ère).
Le pharaon a fait représenter sa femme, sous les traits de la déesse Hathor, sculptée en pleine roche, hommage assez exceptionnel qui nous donne à penser qu'il devait suffisamment l'adorer pour lui consacrer ce monument délicat.
En Inde, le Taj Mahal, même s'il est d'abord un tombeau, reste aussi le symbole émouvant d'un amour perdu, celui de l'empereur moghol Chah Jahan pour son épouse Arjumand Banu, qui mourut en mettant au monde leur quatorzième enfant.
Un véritable palais de marbre blanc, de corail et de cristal de roche, orné de turquoises et de lapis-lazuli, qui mobilisa pas moins de mille éléphants pour sa construction !
Palais et châteaux restent quand même le plus sûr moyen d'honorer sa belle, tout en s'offrant un refuge discret pour la fréquenter...
À la jeune Agnès Sorel qui l'a guéri de sa mélancolie, le roi Charles VII offre le château de Beauté-sur-Marne, ce qui, dit-on, lui permit de la complimenter en lui disant : « Vous êtes deux fois ma Dame de Beauté ».
Tout autant porté à la mélancolie, Henri II fit don du domaine royal de Chenonceau à sa chère Diane de Poitiers - avec en sus les bijoux de la couronne de France -, des biens que la belle devra rendre (après inventaire) à la reine Catherine de Médicis, dès la mort du roi, en 1559, des suites d'un tournoi fatal. Diane aura eu le temps de réaménager les jardins et lancer le fameux pont (sans galeries) sur le Cher.
Elle obtiendra en compensation le château de Chaumont-sur-Loire.
Dans la liste des maîtresses fortunées, citons également Gabrielle d'Estrées, dont Henri IV était fou au point de vouloir l'épouser après l'avoir couverte d'honneurs, de bénéfices et de biens : devenu marquise de Montceaux (avec le château en prime) puis duchesse de Beaufort, sa mort soudaine mit fin à sa spectaculaire ascension.
Mais c'est avec Louis XIV que le destin des grandes favorites prend soudain une ampleur inégalée... et donne l'occasion au roi de gâter ses conquêtes, parfois sans limites.
La plus célèbre d'entre elle est sans conteste Athénaïs de Montespan, qui partage avec le Roi-Soleil les heures les plus brillantes de la cour. Le monarque lui fait construire le château de Clagny, près de Versailles, sous les directives de Mansart lui-même : une folie qui coûte au royaume trois millions de livres, avec un parc d'un luxe inouï qui compte une perspective d'orangers, des animaux divers et des parterres de fleurs sans cesse renouvelés.
Sa discrète rivale, Françoise d'Aubigné, achète de son côté le domaine de Maintenon (château, terres et fermes), entre Versailles et Chartres, pour 150 000 livres avec le soutien du roi. Elle accède ainsi au marquisat, avant d'épouser secrètement Louis le Grand en 1683.
Aujourd'hui lieu de pouvoir, on oublie que le palais de l'Élysée fut avant tout un gage d'amour... acquis chèrement par Louis XV (730 000 livres) pour en faire la résidence de la marquise de Pompadour. Laquelle a continué à confondre cassette personnelle et trésor royal pour agrandir, embellir et aménager son pied à terre, idéalement situé aux portes de Paris.
Autre symbole des nids d'amour, le petit Trianon, petit palais inspiré, construit et habité par les femmes : c'est Louis XV qui fit construire cette folie, toujours pour Mme de Pompadour, mais c'est la comtesse du Barry qui en fut la véritable reine jusqu'à la mort du roi. Quand son petit-fils et successeur Louis XVI monta sur le trône, il offrit ce bijou à son épouse avec ces mots : « Madame, vous aimez les fleurs, j'ai un bouquet à vous offrir, c'est Trianon ».
L'ère des bijoux
Avec Marie-Antoinette, on passe à la vitesse supérieure : ne refusant rien à son épouse qu'il adore, Louis XVI se contente de payer les factures en demandant des délais. Avec la dernière grande reine de France, « l'ère des bijoux » atteint son paroxysme : les châteaux n'ont plus la cote, on affiche désormais sa fortune dans la célèbre galerie des Glaces, à Versailles, sous des rivières de pierreries. Aigrettes de diamants, bracelets, pierres précieuses, rien n'est trop beau - ni trop cher - pour Sa Majesté.
En 1776, le roi lui donne la moitié des diamants de sa cassette de Dauphin, lui conseillant « de s'en tenir là ». Mais rien n'y fait : elle achète des pendentifs en forme de poire pour 460 000 livres, des bracelets pour 100 000 écus. Pour assumer les coups de cœur de sa royale épouse, Louis XVI, pourtant très parcimonieux, porte sa cassette personnelle à 200.000 livres puis la double en 1779, alors que la France file vers la banqueroute...
Napoléon prend le relais en couvrant Joséphine - puis Marie-Louise - de tiares, bagues, serre-tête et parures somptueuses commandées notamment à la maison Chaumet, fournisseur officiel.
Il y a une grande différence entre la simple bague en or que le général offre à sa femme en 1796 (gravée « amour sincère »), et celle du sacre ornée d'un énorme rubis, provenant des diamants de la Couronne, et bénie par le pape lui-même. Tout est prétexte pour offrir des bijoux à l'Impératrice, ce dont elle raffole selon Constant, Premier valet de chambre de Napoléon Ier, avec une préférence pour les diamants, saphirs, rubis, perles et camées.
Joséphine change régulèrement de tenues en fonction de ses obligations et adapte ses parures à ses robes. Et comme elle ne met jamais le même ensemble... On imagine la facture annuelle !
« L'armoire à bijoux, qui avait appartenu à la reine Marie-Antoinette et qui n'avait jamais été tout à fait pleine, était devenue trop petite, rapporte Constant dans ses Mémoires. Et lorsqu'un jour, l'Impératrice voulut faire voir toutes ces parures à plusieurs dames qui en témoignaient le désir, il fallut faire dresser une grande table pour y déposer les écrins et, la table ne suffisant pas, on en couvrit plusieurs autres meubles ».
Plus original, mais tout aussi coûteux, l'habitude des tsars russes d'offrir chaque année à leur épouse des œufs de Peter Carl Fabergé, lors des fêtes pascales.
Le premier fut commandé par Alexandre III pour célébrer le vingtième anniversaire de leurs fiançailles en 1885. Puis la tradition s'est prolongée avec Nicolas II, augmentant le trésor impérial d'une trentaine d'œufs, pièces d'orfèvrerie uniques et remarquables, estimées aujourd'hui entre 8 et 10 millions d'euros chacune.
Mais tout cela reste du domaine de l'amateurisme si on compare les souverains russes au chah d'Iran, héritier de l'une des plus belles collections de pierres du monde, amassée depuis 500 ans. Reza Pahlavi se montrera parfois dur avec ses différentes épouses - Fawzia d'Égypte, Sorayah et Farah Diba -, mais jamais ingrat.
En témoigne le trésor détenu par la seconde, Soraya - répudiée pour stérilité -, qui fut dispersé à sa mort : il y avait là plus de 400 joyaux offerts sur seulement sept ans (soit un bijou par semaine en moyenne) et montés par les plus grands joailliers, Van Cleef & Arpels, Bulgari, Cartier, Harry Winston, Mauboussin...
Des solitaires, des perles, un collier de marguerites en diamants, un ensemble de rubis cabochon, sans oublier les parures orientales et des turquoises de Perse que la princesse collectionnait, tant elle aimait les parures.
Autre adepte des parures de haute joaillerie : la duchesse de Windsor, qui fait la fortune de Cartier dans les années 1960 avec ses fabuleuses commandes aux thèmes animaliers : panthère en onyx incrusté de diamants, flamant rose en rubis et saphirs...
Pour Édouard VIII, toute occasion est bonne pour gâter son épouse. Dès 1936, il lui offre une somptueuse bague de fiançailles gravée de ces quelques mots « We are ours now » (« Nous sommes l'un à l'autre maintenant ») et ornée de la fabuleuse émeraude du Grand Moghol, l'une des plus belles pierres de sa catégorie.
On dit que Cartier mit des semaines à retrouver sa trace jusqu'à Bagdad, pour la racheter et la monter...
Autre légende, celle de Jackie Kennedy. Pour conquérir la plus belle femme du monde après la mort du président américain, l'armateur grec Aristote Onassis glisse à son doigt un anneau de rubis et diamants d'une valeur de 1,25 million de dollars - en sus d'un « arrangement financier » de 2 millions -, sans compter le train de vie annuel que l'armateur grec pouvait lui assurer sans problème... Car Jackie aimait moins les diamants que les robes qu'elle collectionnait avec avidité, inventant un style particulier et indémodable qui fait toujours référence.
John Fitzgerald réglait les additions sans discuter, sans doute pour se faire pardonner des écarts conjugaux que Jackie supportait de plus en plus mal : en 1962, elle consacrait 122 000 dollars en frais vestimentaires, montant qui dépassait de 20.000 dollars le salaire annuel du président ! Lequel puisait dans la fortune du clan Kennedy pour s'assurer de la plus grande discrétion...
Rigueur oblige
La généralisation des régimes présidentiels sonne le glas des largesses princières... Tant pis pour la légende, tant mieux pour les contribuables ! Le moindre écart est dénoncé, décortiqué et commenté... et encore. Pendant longtemps et dans le plus grand secret, François Mitterrand logea sa seconde famille quai Branly aux frais de l'État, et offrit à sa discrète compagne Anne Pingeot de contribuer dans l'ombre à la rénovation complète du Louvre et à l'aménagement du musée d'Orsay, deux grandes réussites architecturales et culturelles. Ce seront ses joyaux et ses châteaux à elle.
Avec Nicolas Sarkozy, le retour sous les projecteurs est plus brutal lorsqu'il emmène Carla Bruni en pré-voyage nuptial sur les bords du Nil fin décembre 2007 : en gage d'amour ou cadeau de fiançailles, elle lui offre une montre Patek Philippe en or blanc à 45.000 euros, et lui la fameuse bague Cupidon Dior d'une valeur de 18 500 euros... L'Histoire retiendra qu'il s'agit de la réplique exacte de celle qu'il avait offerte à sa précédente femme, Cécilia, quelque mois plus tôt. Le diamant avait, cette fois, un goût de vengeance.