L'édito politique de Philippe Bilger
Philippe Bilger
Le président de la République, au soir du premier tour des élections législatives, a recommandé l’humilité à ses troupes. Même s’il n’avait pas vraiment le choix, on peut cependant s’interroger : s’agit-il d’une injonction sincère ou d’une ruse politicienne ? En tout cas, si la seconde branche de l’alternative est la bonne, elle ne sera pas suffisante pour faire oublier quelques éléments significatifs et contrastés relatifs à cette journée du 12 juin.
Un désastre
Un désastre: ce taux d’abstention de 52% révèle le total désintérêt de certains citoyens pour la chose publique ou le mépris de beaucoup d’autres pour une vie et des personnalités politiques de droite comme de gauche aux antipodes de leurs espérances. Emmanuel Macron n’a pas été le créateur de cette pente funeste pour la démocratie mais son premier mandat l’a aggravée et les débuts du second n’ont fait qu’amplifier le mouvement.
Jean-Luc Mélenchon a réussi partiellement son pari même s’il ne sera pas le 20 juin “Premier ministre” et que le score de la Nupes, pour ces élections présidentielles, est inférieur au total de tous les partis qui la composent. Le discours à la fois étrangement modéré et d’une grande habileté politicienne de Jean-Luc Mélenchon a semblé prendre acte de cet écart décevant, derrière une gloriole de façade. Le Rassemblement National n’a jamais été aussi haut lors d’élections législatives et il est possible qu’il puisse constituer un groupe (il faudra 15 députés) dans un système que l’absence de proportionnelle rend totalement injuste.
Reconquête est à bas. On peut reconnaître mille qualités à Eric Zemmour, comme je l’ai toujours fait, mais, en ne cessant de se vanter de n’être pas politicien de métier, il a payé chèrement la rançon de ce constat exact. Il a été dénué, en effet, tout au long, notamment entre les deux tours de la présidentielle et après le second, de tout sens tactique, ce qui a conduit Marine Le Pen à ne lui faire aucun cadeau. Elle a désiré sa perte et elle l’a eue. Les Républicains ont sauvé les meubles tant bien que mal. Ils craignaient une telle catastrophe qu’en définitive, avant même le second tour du 19 juin, ils s’estiment sinon sauvés du moins encore en vie. Tout de même, ils vont perdre au moins la moitié de leurs députés et Paris risque d’être orphelin d’eux.
Le parti présidentiel est à l’évidence, malgré son score à peine supérieur à la Nupes et la possibilité d’obtenir encore le 19 juin la majorité absolue, le perdant de ce premier tour. C’est la première fois qu’un président est confronté, dans la foulée de sa réélection, à un tel camouflet que le sort de certains de ses ministres ou de ses soutiens emblématiques va sans doute rendre encore plus amer. Probablement y a-t-il dans cette première le ressentiment à l’encontre d’un président certes réélu mais dans des conditions d’absolue pauvreté démocratique et plongé, avec quelques ministres régaliens notamment, dans des scandales mal gérés, comme celui du Stade de France.
Le retour d’un vieux clivage bien connu
J’ai évoqué le désastre de l’abstention, auquel Emmanuel Macron n’est pas totalement étranger. On lui doit dorénavant le retour du clivage droite/gauche (avec une forte domination de l’extrême gauche) signifiant non seulement le poids des antagonismes politiques mais le choix entre deux visions de la société et de la France. D’une certaine manière – et je perçois négativement cette évolution – le temps des nuances va être révolu et quoi qu’on pense, cet affrontement que la campagne va amplifier ne va plus laisser d’autre option que celle de se ranger, contraint et forcé, dans un camp ou l’autre. Quand j’entends des Républicains soutenir que, plus que jamais, ils seront utiles entre la macronie et la Nupes, je suis heureux de cette conviction mais je doute de son caractère opératoire.
Durant cinq ans, ce parti LR, tristement présidé, n’a jamais su manifester avec éclat ce qui le distinguait de la vision floue, notamment sociétale et régalienne, d’Emmanuel Macron. Et pourtant ç’aurait été facile ! Je ne suis pas persuadé que la configuration d’aujourd’hui et celle qui résultera du 19 juin constitue LR comme irremplaçable. Le pouvoir, s’il n’a pas la majorité absolue, sera évidemment enclin aux compromis, avec moins d’arrogance. N’y aura-t-il pas la tentation, chez certains LR, d’ajouter leur apport à un camp qui, par rapport à l’irresponsabilité de la Nupes, apparaîtra, quels que soient ses manques, comme infiniment moins dangereux ?
Mais si le président souhaite qu’une partie de la droite républicaine le rejoigne ou aide son gouvernement par ses votes, il conviendra qu’il change radicalement de logiciel gouvernemental. Il aura des efforts à faire et des gages à donner : par exemple sur le plan régalien, il ne sera plus tolérable d’avoir tel ou tel ministre choisi plus par provocation que par sagesse, plus pour indigner le corps dont on lui confie la charge que pour le mobiliser et l’honorer. Le président ne pourra rien réclamer de la droite s’il persiste dans un “en même temps” dévastateur, avec une autorité de l’État exsangue et des ambiguïtés à profusion. Ainsi Emmanuel Macron, qui promettait un nouveau monde et prétendait dépasser la gauche et la droite, nous remet l’une et l’autre en pleine lumière conflictuelle, avec un ancien monde qui va encore avoir de beaux jours devant lui.