Journal l'opinion
14 avril 2019
Macron à la recherche de l’effet «waouh»
Le Président, qui prendra la parole lundi soir, doit à la fois tenter de mettre fin à la crise des Gilets jaunes, rassurer le socle de ses partisans, viser les européennes et relancer son quinquennat. Pari complexe
Impôts, démocratie, services publics, écologie... Comment Macron peut-il faire pour que «plus rien ne soit comme avant»?
«Nous ne reprendrons pas le cours normal de nos vies», assurait Emmanuel Macron en lançant l’idée du grand débat, lors de son allocution du 10 décembre en réponse aux Gilets jaunes. « Après ce débat, rien ne sera comme avant », renchérissait la nouvelle porte-parole de gouvernement, Sibeth Ndiaye, il y a une semaine. Mais que changer pour concrétiser ces grandes envolées ?
C’est à la fois le sujet sur lequel le chef de l’Etat est le plus attendu et le sujet le plus casse-gueule. Comment créer la surprise, alors que les 10 milliards d’euros de mesures de pouvoir d’achat lâchés en décembre on fait pschitt ? Et qu’un feu d’artifice d’idées fiscales illumine le ciel gouvernemental depuis trois mois. Tout y est passé : révision du barème de l’impôt sur le revenu avec création d’une tranche supérieure pour taxer les plus riches, création de tranches inférieures pour adoucir l’entrée dans l’impôt, réforme des droits de succession (balayée par Macron), des niches fiscales (balayée par Macron), rétablissement de l’ISF (balayé par Macron),
TVA de 0% pour les produits de première nécessité (balayée par Macron), et plus récemment suppression de la redevance télé (balayée par Macron)...
Politiquement, le plus visible serait de cibler l’impôt sur le revenu. Une enveloppe de cinq milliards d’euros permettrait de sortir 3 millions de foyers de l’IR et de le baisser pour 9 autres millions. Problème : cela a déjà été fait par François Hollande entre 2014 et 2016, avec le succès électoral que l’on sait. Ce qui fait dire à l’Elysée que si, les hausses d’impôt provoquent la colère du peuple, les baisses n’apportent aucune reconnaissance.
« Pour répondre à la défiance envers les élus, nous devons construire une démocratie plus délibérative », affirmait le Premier ministre Edouard Philippe mardi à l’Assemblée. L’Elysée cogitait notamment, ces derniers jours, sur le moyen de faciliter le déclenchement du référendum d’initiative partagé, introduit dans la Constitution en 2008 mais encore jamais utilisé : inversion du processus pour que les citoyens puissent en être à l’initiative, et pas seulement les parlementaires ; abaissement du seuil de signatures nécessaires...
Dans cet esprit, le Conseil économique, social et environnemental pourrait être transformé Emmanuel Macron avait promis d’en faire « une chambre du futur », il pourrait accélérer le calendrier : baisse du nombre de représentants, avec en contrepartie un renforcement des pouvoirs de cette troisième assemblée. Dans une tribune au Parisien, Patrick Bernasconi, le président du CESE appelle d’ailleurs à « créer une chambre de la société civile ».
Mais les mesures les plus fortes auront trait plus probablement à la démocratie représentative. Elles ne coûtent rien et peuvent donner aux Français l’impression d’avoir été entendus. Le Président pourrait être tenté d’instaurer une dose de proportionnelle au Parlement d’au moins 25 %, contre 15 % actuellement prévus. François Bayrou, président du MoDem, plaide en ce sens, et les trois quarts des participants au grand débat ont réclamé la proportionnelle.
Emmanuel Macron pourrait également surfer sur le discrédit général de la classe politique en abaissant le nombre de parlementaires (-30%). Une mesure plébiscitée par 86% des participants au grand débat... qui n’ont peut-être pas tous réalisé que « leur »député risquait de disparaître. Parallèlement, 69% souhaitent la prise en compte du vote blanc dans les suffrages exprimés.
Haro sur le millefeuille territorial ! Ce thème est peut-être celui où le chef de l’Etat peut se permettre d’aller le plus loin sans trop de risques… si ce n’est celui de fâcher les élus locaux. Quelque 86% des contributeurs au grand débat jugent en effet qu’il y a « trop d’échelons administratifs ». Emmanuel Macron a déjà tenté, au début de son quinquennat, de fusionner les métropoles et les départements. En vain. Egalement à l’étude, la création du conseiller territorial, à la fois élu départemental et régional – une idée du président Nicolas Sarkozy qui n’a jamais vu le chaud.
Le périmètre de l’Etat, dans le même temps, pourrait être sensiblement modifié. Le Président n’est « pas fermé à des transferts de compétences, assure un ministre au courant du dossier. Mais à condition qu’ils s’intègrent à ce qui existe déjà ». Ainsi la gestion des routes nationales pourrait-elle être transférée aux départements – ce qui justifierait de leur déléguer le soin de revenir ou pas sur les
80 km/h…
Le transfert de la politique du logement aux départements est également évoqué, qui permettrait de supprimer le ministère correspondant. « Mais si une collectivité prend une compétence, il faut la prendre à plein », met en garde ce même ministre.
Par ailleurs, les rémunérations dans la haute fonction publique pourraient être rendues plus transparentes, voire plafonnées dans les autorités administratives indépendantes.
Les contributions ont fait remonter de fortes attentes sur les questions de mobilité, tout particulièrement les transports en commun. Baisse des prix, développement et rénovation des lignes font partie des demandes qui reviennent régulièrement, tout comme les incitations et les adaptations fiscales.
Mais l’épisode de la taxe carbone, déclencheur du mouvement des Gilets jaunes, a montré combien passer des belles idées aux mesures concrètes pouvait être périlleux. Un an après la réforme de la SNCF et en pleine
bataille autour de la privatisation d’ADP, il faudra de toute façon plus que des propositions sur les comportements individuels (comme une super-super-prime à la conversion autom
obile destinée aux foyers modestes) pour marquer le coup.
Emmanuel Macron pourrait également concentrer ses annonces sur le volet énergie. Un projet de loi énergie-climat est d’ailleurs attendu en Conseil des ministres dans les prochaines semaines.
Immigration : une marotte présidentielle
Emmanuel Macron a tenu à faire figurer l’immigration dans sa lettre aux Français en janvier, et souhaitait initialement qu’elle constitue un chapitre entier du grand débat. Mais personne ne sait ce que le Président a en tête. Au revoir le double droit du sol, adieu le regroupement familial, bonjour les quotas migratoires ? Ces mesures, qui pourraient être applaudies par une large part de la population, soit sont inapplicables juridiquement, soit nécessiteraient une loi qui susciterait de vives fractures dans la majorité, à peine remise de la loi anticasseurs.
Au ministère de l’Intérieur, aucune mesure spectaculaire n’a été expertisée. Et personne n’y veut de quotas migratoires, inefficaces à juguler l’immigration illégale, et qui reviendraient à « parlementariser » la politique d’immigration.