EDITO - Pour relancer le pays, Emmanuel Macron a besoin d'idées et d'un gouvernement rénové. Mais que faire d'Edouard Philippe? Ce pourrait être son plus dangereux rival en 2022
Chassez les intrigues de la politique, elles reviennent toujours au galop! Alors que les Français goûtent les plaisirs de l'après-crise, les rumeurs courent les couloirs du pouvoir et les calculs y vont à la vitesse des ordinateurs. La machine politicienne s'est remise en route à plein tube, à supposer d'ailleurs qu'elle ne se soit jamais arrêtée. La politique est en effet un monde sans repos dans lequel on ne dort toujours que d'un œil.
Il est normal, d'ailleurs, que tous les sens y soient éveillés. La pandémie a modifié tant de choses qu'il faut comprendre l'état du pays pour faire face à l'infernal calendrier qui l'attend dans les deux prochaines années: second tour des élections municipales dès le 28 juin, sénatoriales fin septembre prochain, départementales et régionales en mars 2021, puis cap sur la présidentielle d'avril 2022 avec une campagne ouverte dès l'automne 2021.
Un décrochage économique brutal
Si le coronavirus ne se réveille pas, c'est donc une furieuse course de haies électorales qui attend les partis politiques et les Français. Bien entendu, dans cet agenda, les ambitions Elyséennes dictent toutes les stratégies. A commencer par celle d'Emmanuel Macron, candidat, n'en doutons pas, à un second mandat. Pour parvenir à ses fins, l'heure pour lui est venue de rebattre ses cartes. A commencer dans la conduite des affaires d'une France économiquement et socialement cul par-dessus tête avec un effondrement du Produit intérieur brut cette année de 11%, selon Bruno Le Maire, le ministre de l'Economie. Chiffre terrible à comparer aux pourtant très lourds -7% annoncés par la banque centrale allemande le 5 juin. Même après la défaite de Sedan et la perte de l'Alsace et la Lorraine, le PIB français n'avait chuté que de 7,6% en 1870; en 1914, après quatre mois de guerre, il avait perdu 7,1%. Ces données donnent la mesure du décrochage actuel. Le chef de l'Etat ne peut donc reprendre le cours de ses réformes comme si rien ne s'était passé. La France se retrouve en état d'urgence avec la menace de faillites en masse, de vagues de chômeurs, de dettes galopantes, de déficits vertigineux.
Le passé montre qu'elle peut se remettre de tels désastres mais il y faut du temps: en 1876, le PIB tricolore reculait encore de 8,2%; en 1923, il perdait toujours 7,4% après un moins 21,1% en 1918! La France sut rebondir en 1945 après cinq années au cours desquelles le PIB recula tous les ans de 10 à 20%! Le boom des Trente Glorieuses le prouve. Elles ont fait du pays un tigre économique avant qu'il ne redevienne une tortue après le premier choc pétrolier de 1973. C'est là le défi qui se présente au président de la République avec peu de temps devant lui pour remettre le pays sur ses rails et amorcer un rebond dont les Français pourraient mesurer très vite les effets positifs.
Pour trouver les recettes d'un nouveau miracle français, il consulte donc tous azimuts: les think tanks de droite et de gauche ont été conviés à déjeuner, sénat et Assemblée nationale sont sollicités ainsi que le Conseil économique, social et environnemental (CESE) dans une grand chasse aux idées pour dessiner ''un nouvel horizon''. Pour le président, il s'agit évidemment, dans cette consultation placée sous le signe de ''la concorde nationale'', de mouiller tout le monde dans son futur projet. Une sorte de stratégie "tous responsables" au nom de l'intérêt général pour pouvoir dire "tous coupables" si ça ne fonctionnait pas. C'est en tout cas la lecture qu'en font certains opposants, peu enclins à se laisser embarquer dans une coproduction de la politique gouvernementale qui deviendrait un piège politique
Deux mauvaises solutions
A vrai dire, il va bien falloir que le chef de l'Etat assume le bilan du confinement et son plan de redressement. Rude entreprise dont on devrait connaître les grandes lignes après le second tour des municipales. Moment crucial! Comment sortir du tunnel dans lequel il est entré en novembre 2018 avec la crise des gilets jaunes pour n'en plus sortir? Dans cette longue galère, sa chance est de disposer d'institutions solides et d'une opposition encore faible. Son pouvoir est cependant triplement affecté: dans l'opinion et dans l'électorat comme le montrent les municipales désastreuses pour La République en Marche (LREM); au sein de ses propres troupes A l'Assemblée nationale avec un groupe LREM frappé de scissiparité, au point d'avoir perdu la majorité absolue, conduit en outre par un président, Gilles Le Gendre, démonétisé; enfin, un gouvernement à bout de souffle au sein duquel aucune forte personnalité ne s'est imposée. A ces trois points de faiblesse s'ajoute un gros cactus: l'émergence dans l'opinion d'un concurrent de son bord, le Premier ministre lui-même, Edouard Philippe, dont la gestion de la pandémie est saluée par un grand bond en avant dans les sondages!
Vieux schéma de la Vème République qui voit le chef du gouvernement devenir plus populaire que le président. Nœud de vipères qui finit toujours par un divorce entre les deux hommes. Qu'en sera-t-il cette fois-ci? Le Président est confronté à deux mauvaises solutions: soit une séparation immédiate qui apparaîtrait injuste et ferait aussitôt d'Edouard Philippe un concurrent pour 2022, capable de le priver des voix de droite et du centre droit; soit un nouveau Pacs, avec le risque néanmoins de voir son numéro 2 se mettre soudain à son compte. Emmanuel Macron ne fit-il pas ainsi avec François Hollande! Bref, les mois à venir seront placés sous le signe ou bien d'une cohabitation suspicieuse ou bien d'une rivalité ouverte. Dans les deux cas, le climat du pouvoir en pâtira. Naturellement, les ''philippistes" protesteront de la loyauté de leur chef (jusqu'ici vérifiée), mais le temps a déjà bel et bien distendu les liens Elysée-Matignon. L'Histoire montre aussi que la mesure de l'ambition d'un homme politique se trouve dans sa capacité à la nier. Seul Nicolas Sarkozy fit exception à cette règle. Edouard Philippe, catégorie taiseux, a vu Emmanuel Macron démontrer en 2016 et 2017 un art singulier de l'envol Elyséen. Il pourrait y trouver des idées. Dans la Vème République, Matignon nourrit toujours les rêves Elyséens. Emmanuel Macron ne peut donc organiser sa difficile après-crise sans penser à ce redoutable scénario. Suspense garanti!