Gustave Courbet (1819 - 1877)
Bourgeois et socialiste
Gustave Courbet cultive une technique de peinture conventionnelle mais se veut révolutionnaire et provocateur par le choix des sujets, ce qui lui vaut d'être désigné comme le chef de file de l'école réaliste sous le règne de Napoléon III, aux côtés d'Honoré Daumier et Jean-François Millet.
Gustave Courbet, fils d'un propriétaire terrien aisé, naît le 10 juin 1819 à Ornans (Doubs), dans une maison bourgeoise au bord de la Loue, la maison Hébert, où s'est établie provisoirement sa famille suite à l'incendie de la ferme familiale, au lieu-dit le Flagey.
Aujourd'hui plus que jamais, le peintre fait la fierté d'Ornans et de ses 4 000 habitants, dans les montagnes du Jura, entre Besançon et Pontarlier.
Après sa mort en exil en Suisse en 1877, sa sœur Juliette a entrepris de lui consacrer un musée. Installé dans la maison Hébert, il a été inauguré en 1971.
Judicieusement aménagé, ce musée offre de très belles vues sur la rivière qui baigne ses pieds, sur la vieille ville et sur les falaises environnantes qui ont beaucoup inspiré l'artiste.
Un autre regard
Gustave Courbet passe les années heureuses de l'enfance dans la ferme familiale de Flagey. À 14 ans, il entre pour cinq ans au petit séminaire d'Ornans. Il perd complètement la foi mais découvre la peinture sous la direction d'un professeur attentionné, le père Beau.
Il poursuit sa formation à l'Académie de Besançon et « monte » enfin à Paris.
À grand renfort de cours privés et de travail personnel, avec le soutien aussi du marchand néerlandais Hendrik Jan Van Wisselingh, il se fait enfin remarquer au Salon de 1850-1851 avec trois toiles monumentales : Une après-dîner à Ornans, Les casseurs de pierre et surtout Un enterrement à Ornans. Cette toile est une forme de parodie du Sacre de Napoléon par David. Les personnages sont montrés à taille réelle mais dans toute leur crudité et leur médiocrité.
Dans le village natal du peintre plusieurs personnages comme le bedeau ont pu se reconnaître et, faut-il s'en étonner ? n'ont pas apprécié l'image ainsi laissée à la postérité.
Ces toiles sont le reflet de la nouvelle esthétique réaliste dont Courbet s'affirme le chef de file, en rupture avec la peinture académique et les sujets mythologiques ou historiques.
Au Salon de 1853, il va plus loin dans la provocation. Il détourne à sa manière les canons de la peinture académique avec Les Baigneuses. Cette toile de deux mètres de côté montre deux femmes dans un sous-bois. Mais au lieu d'en mettre en valeur la beauté, le peintre en souligne les défauts : cellulite, bourrelets inesthétiques, pieds sales, bas défait... Le tout-Paris s'émeut. Théophile Gautier parle avec mépris de « vénus hottentote ».
Pourtant, il se trouve un amateur pour acheter l'oeuvre au prix conséquent de 3000 francs. Fils d'un riche banquier de Montpellier, le jeune Alfred Bruyas a, comme Gustave Courbet, soif de vérité et ne craint pas le scandale. La transaction assure au peintre l'indépendance financière et dès lors va se nouer une vive amitié entre l'artiste et son mécène.
Dès l'année suivante, Courbet se rend à Montpellier où il réalise plusieurs toiles comme, ci-dessous, Bonjour, Monsieur Courbet. La toile montre la rencontre du peintre avec son mécène Alfred Bruyas, accompagné d'un valet et de son chien. Ellle témoigne à sa manière des débuts de la randonnée touristique mais illustre aussi, de façon subliminale, les rapports de maître à valet.
On peut l'admirer au musée Fabre, sur l'esplanade de Montpellier, avec l'ensemble de la collection Alfred Bruyas (le mécène s'est illustré par un flair remarquable tout au long de sa courte vie (1821-1877) mais est passé à côté du mouvement impressionniste).
Foin de convenances
Bourgeois voltairien et anticlérical, convaincu de son génie (« Je peins comme un Dieu », dit-il), Gustave Courbet ne s'embarrasse pas de convenances, aidé en cela par la bienveillance du pouvoir impérial. Si conservateur soit-il, celui-ci traite ses artistes avec l'indulgence d'un père pour ses garnements...
En 1855, le pavillon du Réalisme ouvert par Courbet en marge de l’Exposition universelle (et avec le soutien implicite des autorités) présente L’Atelier, oeuvre d’imagination dans laquelle on voit, au centre, le peintre (Courbet) accompagné de sa muse (un modèle nu), avec à sa droite ses amis (Baudelaire, Bruyas, Champfleury…) et à sa gauche ses adversaires (le juif, le croque-morts, l’ouvrier au chômage, la fille…).
Soucieux de répondre aux goûts de sa clientèle, l'artiste produit beaucoup de paysages et de portraits sur commande, ainsi que des scènes de chasse qui rappellent son passe-temps favori et ses racines jurassiennes. Sensuel, il ne dédaigne pas non plus les images érotiques comme la toile ci-dessous, qui représente des amours saphiques sous un titre anodin, Le Sommeil (1866, Paris, Petit Palais).
Une autre toile érotique, L'Origine du monde, lui vaut un regain de notoriété de nos jours, plus d'un siècle après sa mort. Commandée en 1866 par un riche diplomate turco-égyptien, Khalil Bey, amateur de toiles coquines, l’œuvre a été aussitôt cachée derrière un rideau vert et, dès lors, n'a plus été montrée qu’à une poignée de privilégiés, dont Maxime du Camp. Acquise plus tard par le psychiatre Jacques Lacan, elle entre enfin dans les collections publiques. Depuis 1988, elle est exposée dans une salle discrète du musée d'Orsay, à Paris.
Un artiste engagé
Gustave Courbet se rapproche en 1863 du penseur anarchiste Joseph Proudhon (il peindra à sa mort un célèbre portrait du penseur entouré de ses filles).
Conséquent avec lui-même, il refuse en 1870 la Légion d'Honneur proposée par le gouvernement de Napoléon III. Après que celui-ci eut été renversé par les républicains, il participe à la Commune de Paris comme conseiller municipal du 6e arrondissement et président d'une Commission pour la protection des beaux-arts. Un décret inspiré par ladite commission ordonne d’abattre la colonne Vendôme, témoin honni de l'ère napoléonienne. Il semble toutefois que Courbet était absent lorsque la décision a été prise et que lui-même préconisait simplement qu’elle soit « déboulonnée ».
Après la chute de Napoléon III, Courbet s’exprime dans les colonnes du Bulletin officiel de la municipalité de Paris : « Attendu que la colonne Vendôme est un monument dénué de toute valeur artistique, tendant à perpétuer par son expression les idées de guerre et de conquête qui étaient dans la dynastie impériale, mais que réprouve le sentiment d’une nation républicaine, [le citoyen Courbet] émet le vœu que le gouvernement de la Défense nationale veuille bien l’autoriser à déboulonner cette colonne. »
L'idée sera reprise par la Commune de Paris qui vota le 12 avril 1871 non pas le déboulonnage du monument mais sa démolition, laquelle eut lieu le 8 mai suivant. Gustave Courbet, élu de la Commune à la commission de protection des beaux-arts (!), se verra reprocher de façon quelque peu excessive cet acte de vandalisme (la colonne sera ensuite restaurée). Notons qu'aujourd'hui, hélas, l'interpréation communarde du mot « déboulonnage » est devenue de rigueur.
Arrêté le 7 juin 1871 et interné à Sainte-Pélagie, le peintre est condamné à six mois de prison et à une forte amende en raison de sa participation à la Commune.
Après quoi, il reprend son atelier à Ornans et s’entoure de plusieurs élèves. Mais cette trêve ne dure pas. Il est poursuivi en justice sous l’accusation d’avoir fait abattre la colonne Vendôme pendant la Commune. Ses biens sont saisis et il doit s’exiler en Suisse.
C'est là, à La Tour-de-Peilz, près du lac Léman, qu'il finit ses jours le 31 décembre 1877, à 58 ans, sans avoir cessé de peindre (il réalise notamment de nombreuses vues du pittoresque château de Chillon).
« Il faudra que l’on dise de moi, celui-là n’a jamais appartenu à aucune école, à aucune église, à aucune institution, à aucune académie, surtout à aucun régime si ce n’est le régime de la liberté » a-t-il écrit dans une lettre ouverte publiée par Le Siècle (3 juin 1870), quand il a refusé la Légion d'Honneur. On peut y voir une manière d'épitaphe.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire