Climat
Mortelles canicules
par Julien Colliat
Sous nos latitudes tempérées, la mortalité est habituellement plus élevée en hiver que dans les autres saisons, les personnes âgées ou malades supportant mal les baisses de température et le raccourcissement des jours. Pour cette raison, nous sommes davantage effrayés par les hivers rudes que par les étés caniculaires. Pourtant, les chroniques montrent que les pics de chaleur, avec la sécheresse, les épidémies et les incendies qui les accompagnent, ont toujours causé davantage de dommages et de victimes que les grands froids.
Avec le réchauffement climatique en cours, ces calamités ont toute probabilité de se reproduire d'année en année avec une intensité croissante si aucun remède n'est porté à notre surconsommation d'énergie fossile : autos, avions, agro-industrie... Au moins sommes-nous avertis ! Rien à voir avec la canicule de 2003, en France, quand les journalistes n'ont rien vu du drame en cours...
L'eau, quel malheur !
Un exemple significatif est le terrible orage qui frappa la France le 13 juillet 1788 et détruisit les récoltes de blé, provoquant une disette qui ne sera pas sans lien avec les événements révolutionnaires qui allaient suivre un an plus tard.
Si les étés caniculaires ont été à l’origine de catastrophes sanitaires récurrentes, c’est d’abord en raison des pénuries d’eau, le niveau des nappes phréatiques baissant drastiquement lors des épisodes de sécheresse.
Moins abondante, l’eau devient plus vaseuse et sa consommation génère des infections bactériennes, telles que la dysenterie, une maladie des intestins qui fut un véritable fléau. Au Moyen Âge, la dysenterie emporta ainsi de nombreux souverains : Louis VI le Gros, Louis VIII, Saint Louis, Philippe V, Jean sans Terre ou encore Édouard Ier et Henri V d’Angleterre.
Les terribles étés 1636, 1705 et 1719
En 1636, année où Corneille écrit le Cid, un été caniculaire frappe la France, et plus précisément la capitale où les témoins décrivent « un effroyable harassement de chaleur » qui se maintient pendant plusieurs semaines. Cette terrible vague de chaleur et les maladies infectieuses qu’elle engendre vont provoquer la mort de 500 000 personnes.
Un chroniqueur du nord de la France témoigne : « Cette année 1636 a été mémorable pour la grande mortalité et contagion qui a été très forte par tous les pays, villes et villages, ayant emporté une bonne partie des créatures partout où elle s’est attachée (…) une infinité de monde qui est mort par fièvres chaudes, dysenteries. »
Mais le pire était encore à venir. En 1718 et 1719, deux étés caniculaires se succèdent. Durant le second, les fortes chaleurs s’étalent sans discontinuer de juin à la mi-septembre. Une forme de climat saharien s’abat sur la région parisienne et les témoins rapportent même l’invasion de nuées de sauterelles en provenance d’Afrique du Nord. Elles ravagent les cultures jusqu’en Normandie !
La sécheresse est si importante qu’à Paris, la Seine atteint son plus bas niveau historique. C’est à ce niveau record (26,25 mètres au-dessus du niveau de la mer) que correspond la cote zéro de l'échelle hydrométrique du pont de la Tournelle, autrefois utilisée pour mesurer la crue de la Seine.
Ces deux étés caniculaires saignent à blanc le royaume : 700 000 morts (dont 450 000 pour la seule année 1719) pour un pays qui compte une vingtaine de millions d’habitants. Les victimes sont essentiellement des bébés et des enfants, atteints de dysenterie véhiculée par l’infection des eaux devenues trop basses.
Au cours du XVIIIe siècle, d’autres étés caniculaires entraînent des pics de mortalité considérables. Les étés 1747 et 1779 font ainsi chacun près de 200 000 victimes. À chaque fois, dans l’indifférence quasi-générale, ce sont des générations entières de nourrissons qui sont décimées par les maladies infectieuses en conséquence de la chaleur et de la sécheresse.
Les titres de la presse parisienne de 1911, comme ici Le Journal du 10 août 1911, sont éloquents : les citadins sont désemparés face aux épisodes caniculaires. Comme aujourd'hui, on se plaît à aligner des records de température... (source : BNF, Retronews).
L’été meurtrier de 1911
Au XIXe siècle, les deux canicules les plus meurtrières eurent lieu en 1846 et 1859 (année marquée par l’un des mois de juillet les plus chauds de l’histoire). Les bilans humains furent néanmoins légèrement plus faibles qu’au siècle précédent, avec à chaque fois une centaine de milliers de victimes. Les améliorations sanitaires de la seconde moitié du XIXe siècle réduisent considérablement les pics de mortalité des vagues de chaleur.
Alors que les scientifiques de la « Belle Époque » affirment que les catastrophes humaines du passé sont à jamais révolues, un nouvel été caniculaire va totalement remettre en cause les présupposés hygiénistes de l’époque...
En 1911, après un printemps extrêmement froid (il neigea le 7 avril 1911 à Perpignan !), les températures grimpèrent en flèchent au début du mois de juillet et atteignirent rapidement des niveaux exceptionnels. On releva par exemple 38°C à Londres !
La canicule se maintint malgré quelques brèves périodes d’accalmie jusqu’à la mi-septembre. Les températures moyennes de l’été furent les plus hautes depuis la Révolution et ne furent dépassées ensuite qu’en 1947 et 2003. Parallèlement, l’absence de précipitations provoqua une très rude sécheresse, mettant à sec une partie de la Marne et privant d’eau certains quartiers de la capitale.
Mais c’est sur le plan humain que l’été 1911 aura été le plus dramatique puisqu’il causa la mort prématurée de 40 000 personnes. Une fois encore, la grande majorité des victimes furent des nourrissons, décédés des suites de toxicoses (déshydratations de l’enfant), provoquées par des diarrhées et des gastro-entérites.
Cette surmortalité infantile fut en outre aggravée par une épidémie de fièvre aphteuse qui frappa les vaches laitières normandes durant la canicule, générant une pénurie de lait qui affecta une grande partie du pays et contraignit les nourrissons à absorber des farines lactées que leurs estomacs ne supportèrent pas toujours.
C’est la raison pour laquelle c’est chez les enfants des classes sociales supérieures, placés en nourrice et soumis à l’allaitement artificiel, que la canicule fit le plus de victimes !
Si l’on est loin des hécatombes du XVIIIe siècle, cette crise sanitaire alerte sérieusement les pouvoirs publics, désormais préoccupés par un risque de « dépopulation » qui pourrait résulter de nouveaux épisodes climatiques exceptionnels. À la suite de cette tragédie, la santé des enfants, en particulier celle des nourrissons, fut dorénavant privilégiée, et les pouvoirs publics commencèrent à mettre en œuvre une vaste politique de sensibilisation dans ce domaine.
Paradoxalement, l’été 1947, qui a été le plus chaud du XXe siècle, ne provoqua aucune surmortalité. Cela s’explique probablement par le fait que les personnes les plus fragiles avaient succombé précocement en raison des privations de la guerre et du rude hiver qui avait précédé.
Les 15 000 morts de l’été 2003
Mais contrairement aux précédentes vagues de chaleur, la majorité des morts de la canicule ne furent pas des nourrissons mais des personnes âgées, victimes de déshydratation. Cette crise sanitaire suscita d’importantes polémiques et le gouvernement, accusé de ne pas en avoir mesuré l’ampleur, fut durement critiqué.
La France ne fut cependant pas le seul pays touché par cette catastrophe climatique, responsable de la mort prématurée de 70 000 personnes en Europe de l’Ouest. Comme en 1911, cette tragédie obligea les pouvoirs publics à mettre aussitôt en place des politiques préventives, mais cette fois à destination des personnes âgées. Celles-ci ont porté leurs fruits et permirent d’éviter de nouvelles crises sanitaires, notamment lors de la canicule de juillet 2006.
Lorsqu’elles s’accompagnent de sécheresse, les vagues de chaleurs ont pour effet d’accroître le risque d’incendie, le bois sec brûlant plus facilement.
C’est lors d’étés extrêmement chauds et secs que se déclenchèrent deux des plus célèbres incendies de l’histoire : celui de Rome de l’an 64 et celui de Londres de 1666. Le premier fit des milliers de victimes. Quant au second, si son bilan officiel n’est que de 8 morts, le nombre total de disparus pourrait vraisemblablement dépasser plusieurs centaines, de nombreux cadavres ayant brûlé entièrement dans les décombres compte tenu de l’intensité du feu.
Notons aussi le grand incendie meurtrier qui frappa la forêt des Landes en 1949, du 19 au 25 août. Il détruisit 52 000 hectares de bois et de landes, autour de la commune de Cestas, et entraîna la mort de 82 personnes (sauveteurs, pompiers, militaires). Dû à un été très chaud et sec mais aussi à l'absence d'entretien de la forêt pendant la Seconde Guerre mondiale, il conduisit l'État à prendre des mesures drastiques pour prévenir le retour de semblables catastrophes (réseaux d'alerte, coupe-feux, plantations de feuillus...).
La région d'Athènes sera frappée dans des conditions semblables en juillet 2018.
Autre conséquence tragique de la chaleur : les cyclones tropicaux
Comme on le constate en septembre 2017 avec les ravages de l’ouragan Irma à Saint-Barthélemy et Saint-Martin (Antilles françaises et néerlandaises), les chaleurs estivales se traduisent ponctuellement, dans les zones tropicales, par l’apparition de cyclones, générant vents extrêmement violents, pluies diluviennes et montée du niveau de la mer. Leur principale source d’énergie est la vapeur d’eau dégagée par une mer chaude.
Pour qu’ils se forment, il faut nécessairement que la température de l’eau soit supérieure à 26,5°C sur 50 mètres de profondeur afin de générer une énergie thermique suffisante. Raison pour laquelle, c’est à la fin de l’été, lorsque les eaux sont les plus chaudes, qu’apparaissent les cyclones. Appelés « ouragans » dans l’Atlantique nord et « typhons » dans le nord-ouest du Pacifique », les cyclones sont la catastrophe naturelle la plus meurtrière après les séismes.
Au cours des derniers siècles, les départements français d’Outre-mer ont eu à subir des cyclones beaucoup plus meurtriers qu’Irma. En septembre 1776, la Guadeloupe est frappée par un violent ouragan qui dévaste Pointe-à-Pire et fait plus de 6 000 victimes.
A peine quatre ans plus tard, en 1780, un ouragan d’une violence record traverse les Petites Antilles. On déplore 9 000 morts en Martinique et 22 000 sur l’ensemble des Petites Antilles (essentiellement à Barbade et à Sainte-Lucie). Il s’agit de l’ouragan le plus meurtrier de l’histoire.
Survenu durant la guerre d'indépendance américaine, il occasionne en outre de très lourdes pertes aux flottes françaises et anglaises présentes dans la région. D’autres ouragans frapperont les Antilles françaises au cours des siècles suivants.
En 1891, la Martinique est dévastée par un ouragan qui provoque la mort d’environ 700 personnes. En septembre 1928, l’ouragan Okeechobee frappe la Guadeloupe et fait près de 1200 victimes. Notons enfin qu’à la Réunion, les cyclones sont beaucoup moins meurtriers qu’aux Antilles.
Bibliographie
Emmanuel Le Roy Ladurie, Histoire humaine et comparée du climat, Paris, Éd. Fayard, t. 1 « Canicules et glaciers XIIIe - XVIIIe siècles », 2004 ; t. 2, « Disettes et révolutions », 2006 ; t. 3, « Le réchauffement de 1860 à nos jours » (avec le concours de Guillaume Séchet), 2009.
Publié ou mis à jour le : 2022-06-15 06:01:06
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