David Lisnard: «Macron restera le président des dettes»
Face à la « nouvelle gauche » de Mélenchon, le maire de Cannes veut inventer une droite nouvelle. Pour renaître de ses cendres, LR doit imposer un projet opposé autant au transnationalisme de Macron qu’à l’islamo-gauchisme des Insoumis, et surtout rompre avec le social-étatisme qui détruit l’État. Propos recueillis par Elisabeth Lévy…
Causeur. Même avant même le début de la guerre en Ukraine, cette campagne n’a guère suscité de passions. Comment l’expliquez-vous ?
David Lisnard. Je ne sais pas l’expliquer. Comme nous l’avons écrit il y a quatre ans dans Refaire communauté, pour en finir avec l’incivisme, nous sommes face à une grave remise en cause des fondements mêmes de la démocratie dont une des expressions est l’abstention assez élevée. Une partie de la population se désintéresse de la politique et une minorité continue à s’y intéresser sur les réseaux sociaux ou sur les chaînes d’info, mais par l’outrance et l’invective. C’est le fruit du nihilisme de l’époque qui est lui-même la conséquence du relativisme, lequel consiste à dire qu’aucune civilisation, aucun système de valeurs ne prévaut moralement, que tout se vaut. Si tout se vaut alors rien ne vaut : la démocratie n’est pas si importante ; voter, on a mieux à faire… Cela finit par une sorte de consumérisme politique. Comme dans un rayon de supermarché, on choisit au dernier moment, sans trop savoir pourquoi. D’où le désintérêt pour le débat et le dénigrement des porteurs d’idées.
Dans un récent entretien au Point, Patrick Buisson explique que Macron et Le Pen sont les candidats de la post-politique.
C’est juste. Des phénomènes conjoncturels comme le Covid et la guerre en Ukraine n’ont été que des catalyseurs d’une dépolitisation – que Raphaël Llorca avait appelé la « neutralisation de la vie politique » – voulue notamment par Emmanuel Macron. C’est aussi le fruit de la faiblesse des alternatives proposées.
Sans nier l’importance du pouvoir d’achat, il ne résume pas les préoccupations des gens. Pendant l’automne, Éric Zemmour a imposé avec succès des questions régaliennes, identitaires, qui ont ensuite été évacuées. L’idée même d’intérêt général aurait-elle déserté les consciences ?
C’est plus complexe que cela. Dans ce que je vis au quotidien dans ma commune, je vois une multitude d’expressions de dévouement au service de l’intérêt général, et tous les maires vous diront la même chose. Certes, le politique doit répondre à la question de l’avoir – le pouvoir d’achat et les salaires en période d’inflation, problème sous-estimé qui va nous exploser à la figure dans quelques mois – mais parallèlement, elle doit s’adresser à l’être.
Dans cette élection, ceux qui ont été en tête sont ceux qui avaient une ligne. Chez Marine Le Pen, il y a une forme de nationalisme populiste qui s’exprime à travers une vision étatiste, qui n’est absolument pas la mienne, mais qui est claire. Emmanuel Macron est dans un clientélisme d’État caché derrière le paravent du « quoi qu’il en coûte ». C’est une forme de démagogie sophistiquée défendue par les élites, qui s’y retrouvent à court terme. Jean-Luc Mélenchon et Éric Zemmour ont plus parlé à l’être. Chez eux, il y a du récit, de l’épopée. Ils ont de la culture, une facilité d’élocution, et certaines idées dangereuses. Cette élection cristallise l’existence d’un pôle autour de la patrie, avec Le Pen, d’un pôle opportuniste et très conformiste avec Macron et d’un retour de la gauche, avec un pôle extrémiste autour de Mélenchon.
Dans l’entre-deux-tours on nous a bassinés avec l’extrême droite, mais personne ne fait le reproche à Mélenchon d’être d’extrême gauche, une famille politique qui n’a pas non plus à être fière de son histoire.
Non seulement personne ne lui fait le reproche d’être d’extrême gauche, mais il y a eu une course sans vergogne au mélenchonisme ! Il faut au contraire démonter l’argumentaire de Jean-Luc Mélenchon, car il séduit la jeunesse et risque de créer une dynamique très dangereuse : un antirépublicanisme qui se revendique de la République mais qui est anti-universaliste, wokiste, racialiste, anticapitaliste. Dès avant le premier tour, Macron, dont on surestime la capacité conceptuelle et sous-estime la capacité tactique, a compris qu’il y avait une gauche orpheline et a repris le slogan de Poutou, en parlant d’une prime de 6 000 euros – et pourquoi pas 20 000 ? Avec une telle surenchère, il joue avec le feu ! En attendant, il s’est retrouvé face à quelqu’un qui n’a pas su gérer le défi du débat de second tour, lequel a été l’expression ultime de la dépolitisation.
On a vu renaître la gauche, pourtant le clivage droite/gauche ne structure plus la vie politique. Comment peut-on définir le nouveau clivage ?
D’abord, sans clivage, point de démocratie. Le mythe de la réunion des bonnes volontés compétentes est une matrice totalitaire. Ceci étant, depuis trente ans, les lignes de clivage sont brouillées. Elles étaient claires à l’époque du mur de Berlin où on avait un clivage capitalisme/communisme. Aujourd’hui, nous sommes dans une phase transitoire où l’enjeu est de proposer un clivage utile au pays. Hélas, celui qui a été poussé est le clivage progressistes/nationalistes. Je ne le pense pas pertinent. Il n’embrasse pas la vie politique ; en revanche, il peut l’embraser.
Pourquoi ?
Il y a d’abord un clivage sociologique. Mitterrand disait avec raison qu’il fallait mettre en adéquation la politique et la sociologie. Les personnes à faibles revenus ont voté Marine Le Pen en premier et Jean-Luc Mélenchon en deuxième ; tandis que la France des revenus plus élevés, après avoir voté François Fillon en 2017, s’est partagée entre Emmanuel Macron et Éric Zemmour. À Cannes, c’est flagrant. Quand le pays va revenir aux réalités budgétaires, quand on verra que le crédit facile disparaît et qu’il faut réduire une dépense publique à laquelle nous sommes accoutumés, le réveil sera brutal. Plus on demande à l’État, plus on est capricieux et moins on est content. Il va y avoir des phénomènes de violence nourris par la frustration, le ressentiment et le sentiment d’injustice. Cette opposition sociologique entretient beaucoup de compatriotes dans une posture victimaire.
Notre devoir, pour la paix civile, la concorde nationale, est de créer des débats utiles qui correspondent à des enjeux politiques. Avec Nouvelle Énergie, j’essaie de développer une offre issue de mon vécu d’ancien petit commerçant et de maire, qui se décline sur trois axes. D’abord, comment créer une prospérité économique par la liberté et la responsabilité ? Ce qui flingue le pays, c’est qu’on n’encourage pas la responsabilité et qu’on ne sanctionne pas l’irresponsabilité.
Ensuite, l’ordre juste, pour reprendre l’expression de Ségolène Royal en 2007. Il faut retrouver de l’effectivité dans la politique publique, notamment sur le plan régalien, en sortant de la grandiloquence des mots et de l’impuissance des actes. C’est une priorité. Quand on élit un chef de l’État, il faut qu’il cheffe l’État. Or Macron cheffe la société.
Enfin, mon troisième axe, c’est l’unité de la nation par la culture, le partage des grandes œuvres de l’esprit, celles qui résistent au temps. Je suis pour le progrès, mais pas pour le progressisme. Je pense qu’il y a un espace pour cette offre politique.
Quel clivage souhaitez-vous imposer ?
C’est entre le wokisme, le relativisme et le nihilisme, d’un côté, et la construction d’une ambition française fidèle à l’universalisme républicain, à son histoire et tournée vers l’avenir, au sein d’une Europe réaliste et organisée comme instrument de puissance, de l’autre.
Ce que vous décrivez s’appelle « conservatisme », pourquoi esquivez-vous le mot ?
Je pense qu’il faut absolument conserver ce qui est bien. Je suis donc conservateur au sens anglo-saxon du terme. Cependant, quand j’entends un mot en « isme », je me méfie. Comme le disait Jean-François Revel, « l’idéologie, c’est ce qui réfléchit à votre place ».
Entre les deux tours, la totalité de la classe médiatique, une grande partie de la classe politique y compris à LR, le Medef, les artistes, les sportifs, Sarkozy, le Parti communiste, et même les Premiers ministres portugais, espagnol et allemand ont recréé le prétendu front républicain. Vous n’avez pas participé à cette quinzaine antifa…
Ceux-là mêmes qui appelaient à faire barrage ont fait sauter les digues par leur inconséquence. Il y a eu une volonté du pouvoir en place d’ériger Marine Le Pen en adversaire principale. C’est d’autant plus stupéfiant qu’un Darmanin, il y a un an, lui reprochait sa mollesse. Cette dialectique est dangereuse, car elle finira par faire gagner l’extrémisme, mais peut-être pas celui qu’on croit : ce sera l’extrémisme de gauche.
Ceux qui affirment que le RN n’est pas républicain n’expriment-ils pas un certain mépris de classe ?
Bien sûr ! Comme il y a eu du mépris de classe pour les Gilets jaunes première génération. Je combats les idées du RN, que je juge étatistes, irréalistes et socialistes sur le plan économique. Sans parler des ambiguïtés sur la Russie et l’Ukraine. Mais si je me suis battu pour que tous les principaux candidats aient leurs parrainages, ce n’est pas pour dire après coup qu’ils sont antirépublicains ! Si c’était le cas, ils ne devraient pas être autorisés à concourir. On ne peut pas les faire monter de façon volontaire et tactique, et dire en même temps qu’ils ne sont pas républicains. Personne n’y croit vraiment.
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