L’Europe totale d’Emmanuel Macron
Les discours d’Emmanuel Macron ne doivent pas être écoutés ; c’est seulement en les lisant qu’on s’aperçoit de leur grandiloquente vacuité. Non qu’il serait assez bon acteur pour créer l’illusion d’un fond là où il n’y a que de longues phrases embrouillées. Hélas pour lui et ses cours de théâtre dont on a tant parlé, il joue mal, il joue faux. Même son propre personnage, il l’incarne gauchement. Et que dire de son étrange salut bouddhiste, dont on ne peut comprendre à quelle partie de son rôle il faut le rattacher ?
Éloge d’une civilisation ayant trouvé son apogée dans la bureaucratie
Et que dit ce piètre acteur ? Son discours est comme un puzzle qui aurait la particularité de laisser placer les pièces indifféremment, à plusieurs endroits. Des phrases permutables. On peut le lire dans n’importe quel sens, ça donnera la même chose. Mark Twain, dans quelques-unes de ses histoires courtes, arrive à construire des textes qui, sous des airs cohérents, ne veulent rien dire. Emmanuel Macron a, au moins, ce talent. Un exemple : après avoir fait l’éloge de la civilisation européenne, il dit : « C’est pourquoi nous avons proposé de rassembler nos meilleurs historiens, nos plus grands actuels, pour précisément bâtir ensemble le legs de cette histoire commune d’où nous venons. » Et d’ajouter, tout de suite après : « Voilà le premier axe à mes yeux pour tenir cette promesse démocratique, faire de l’Europe à nouveau, et je ne reviendrai pas sur tous les autres sujets que nous aurons à cet égard à travailler ensemble dans les six mois à venir, faire de l’Europe une puissance démocrate, culturelle et éducative fière d’elle-même pour relever ce défi. »
À lire M. Macron, on croirait que cette vieille et grande civilisation a trouvé sa continuation logique, son apogée dans la bureaucratie de Bruxelles. Il aime cette bureaucratie qui rappelait à Vladimir Boukovski la grande inefficacité soviétique ; il aime cette masse de fonctionnaires et d’experts stériles et stérilisants ; il aime cette production incessante de normes et textes comminatoires. Il y a cinq ans, pendant sa campagne, il promettait de nous les faire aimer aussi. Ses formules lyriques montrent qu’il n’a pas abandonné ce projet. Il veut, pour cet empire raté, encore plus de pouvoirs, encore plus d’espace. Le vieux slogan « Plus d’Europe ! » a trouvé une nouvelle vie grâce à Emmanuel Macron.
Souverainisme… européen
En fin de compte, le discours de Strasbourg est un concentré de la campagne électorale d’il y a cinq ans. Le même volontarisme, la même multiplication d’intentions, la même prétention de se poser en fondateur. Le verbe bâtir et ses quelques dérivés est employé douze fois, construire revient sept fois. Il lui faut « refonder notre Europe pour faire face à ses promesses de démocratie, de progrès et de paix. » Certes, « faire face » – qui veut dire résister – est très mal choisi, mais qu’importe dans un tel charabia ! C’est le mot refonder qui compte, c’est cette Union européenne totale qu’il appelle de ses vœux. Chaque paragraphe contient la promesse d’un autre nouveau texte, d’une autre nouvelle réglementation, comme s’il s’agissait d’ajouter des barreaux à ce qui est déjà une cage.
La tentation fédéraliste, même s’il se garde bien d’en parler ouvertement, se fait sentir tout au long du discours. Et quand, à plusieurs reprises, il parle de l’État de droit, il faut se demander si, dans son esprit, cet État n’est pas, en réalité, le super-État européen, cette construction artificielle, ce mariage sans consentement qui enflamme sa pensée. C’est à cela, peut-être, que rime la « souveraineté européenne » dont il nous entretient depuis si longtemps. Et c’est sans doute à cela qu’il pense quand il évoque la nécessité de « bâtir […] un ordre européen » – notion fumeuse allant de pair avec le nouvel ordre mondial, qui est une autre de ses lubies.
On se demande, en lisant ses emportements, s’il ne songe pas au jour où, ce conglomérat enfin advenu, la question de lui choisir un président se posera. Choisi, nommé, et sûrement pas élu. Et s’il ne se rêve occupant pour quelques années cette place éminente qui ferait de lui le chef de la plus vaste et la plus inefficace bureaucratie du monde. Il se dit peut-être que cela lui irait comme un gant.
Macron malmené à Strasbourg Dans le cadre de la présidence française du Conseil de l’Union européenne, Emmanuel Macron entendait décliner tranquillement ses « priorités stratégiques » pour les six prochains mois. Il a notamment affirmé lors de son discours que la défense de « l’Etat de droit » était son principal souci, qu’il comptait ajouter le droit à l’IVG dans la charte des droits fondamentaux de l’Union, a défendu une politique numérique ambitieuse pour le vieux continent (effectivement tout à fait largué en la matière face aux GAFA américains) et un « accueil partagé solidaire » des migrants. Mais hier, lors de sa visite à Strasbourg, le président Macron a été malmené par les eurodéputés. L’espace d’une journée, le parlement européen s’est ainsi transformé en une arène franco-française, Jordan Bardella (RN), Yannick Jadot (EELV) et Manon Aubry (LFI) ayant profité de leur temps de parole pour s’attaquer au président français ! Incapable de répondre sur le fond à ces critiques ou aux arguments des souverainistes opposés à une construction européenne bridant les peuples, le Secrétaire d’Etat Clément Beaune a eu beau jeu de renvoyer dans les cordes cette opposition très remontée. Le Figaro rapporte ainsi ce matin les propos assez savoureux de Beaune : « Ils nous répètent que la présidence de l’UE ne devrait pas être percutée par l’élection présidentielle… et ils confondent le parlement européen et une salle de meeting. Lamentables tartuffes ! » • La rédaction |
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