Depuis ces deux ou trois dernières semaines, la pandémie n’occupe plus la première place dans les esprits épuisés par le Niagara constant d’hystéries sanitaires qu’on nous déverse sans relâche depuis plus d’un an et demi par un matraquage médiatique sans précédent. Et alors que la fatigue des médias commence à se sentir sur ce trop vaste sujet, de sa gestion réellement exemplaire par un gouvernement intellectuellement au mieux de sa forme, pouf, Éric Zemmour déboule dans le PAF. Il montait, il montait, depuis plusieurs mois et il lui aura fallu mesurer l’engouement pour ses idées et ses propositions pour qu’il se lance véritablement dans la course. Oh, bien sûr, rien n’est encore officiel mais on comprend que ce n’est qu’une question de jours, de semaines tout au plus, avant qu’il n’officialise sa candidature à la présidence de la République pour les élections d’avril 2022… Au vu des derniers sondages, le journaliste puis éditorialiste puis débatteur télévisuel à la rhétorique bien huilée aurait tort de se priver d’une telle campagne : on murmure qu’il pourrait avoir, dès à présent, plus de 15% des voix lors d’un premier tour hypothétique, voire dépasser Marine Le Pen et son Rassemblement national, jusqu’à présent donnée comme certaine dans un second tour contre un candidat Macron qui semble indéboulonnable avec un score obstinément fixé autour de 25% … Une ascension pareille n’est pas sans rappeler l’intérêt que suscitait un Delors ou un Balladur lors de précédentes campagnes présidentielles qui se terminèrent assez vite cependant. Il n’en reste pas moins que le discours actuel d’Éric Zemmour séduit. Il séduit d’autant plus que ce discours est populiste, par définition, puisqu’il oppose le peuple à l’élite qui le dirige actuellement et ne tient plus compte de ses aspirations réelles. De ce point de vue, l’éditorialiste ne se trompe pas de beaucoup : il y a effectivement un décalage de plus en plus dangereux entre ce qu’une petite partie des dirigeants désire et met effectivement en place, et ce que la masse entend pouvoir faire sans y parvenir, ne trouvant dans les politiciens actuels aucun relai efficace de leurs opinions ou de leurs aspirations. Dès lors, Zemmour joue la partition objectivement efficace du non-politiquement correct : non seulement, cela donne un discours audible, mais en plus cela lui permet de parler à une quantité très importante d’électeurs qui n’en peuvent plus des discours à la fois creux et policés jusqu’à l’absurde, qui n’ont plus aucune prise sur le réel. Ce faisant, il redonne de l’importance à des thèmes (sécurité, primauté des valeurs relativement familiales et sociales à la fois traditionnelles et conservatrices françaises, importance du sol, de la culture) qui sont soigneusement évités par tous les autres candidats… et qui se retrouvent maintenant à aborder ces thèmes en catastrophe devant le succès de Zemmour. En fait, il se place ici comme porte-voix de ceux qui sont les cibles régulières des médias de la gauche boboïde, accompagnés de toute une classe citadine qui confond sa culture relative avec l’intelligence ou le bon sens et qui méprise, souvent ouvertement voire outrageusement, cette partie du peuple à laquelle cette gauche et ces citadins ne veulent surtout pas être mélangés. Zemmour agit ici sans même s’en cacher exactement comme Trump l’avait fait en 2016 avec ceux que Hillary Clinton avait qualifiés de « déplorables ». Du reste, la leçon de 2016 ne semble pas avoir porté puisque les médias français ne prennent guère plus de pincettes, même devant cette stratégie avouée par Zemmour, en lui donnant ainsi implicitement raison. De la même façon que Trump, Zemmour a aussi compris qu’il fallait limiter le nombre de problématiques que ses thèmes de campagne devaient aborder. Ici, il veut essentiellement redonner sa grandeur à la France (dans une sorte de « Make France Great Again »), en travaillant à fournir une solution à la fois concrète, plausible et suffisamment simple pour qu’elle puisse être appréhendée de tous ses futurs électeurs. Ceci posé, cela n’évitera pas de sérieux obstacles sur la route d’Éric Zemmour. D’une part, au contraire assez évident du Trump dont il veut mimer la campagne, il n’a jamais été entrepreneur à succès et ne connaît pas grand-chose du monde de l’entreprise. Pour lui, la plupart des problématiques actuelles de l’entrepreneuriat en France sont assez ésotériques et même s’il comprend quelques principes de base, il lui sera difficile de toucher du doigt tout le kafkaïesque de la bureaucratie ou de la fiscalité française délirante par exemple. Il lui faudra donc faire beaucoup d’efforts pour apprendre et convaincre qu’il a compris ce qu’il avait appris. D’autre part, si Zemmour, à l’instar de sa référence américaine, propose une sorte de protectionnisme français, cela ne peut pas constituer un programme à lui tout seul et ce d’autant plus que la France n’est pas l’Amérique et n’a ni son marché intérieur, ni sa puissance de frappe commerciale, loin s’en faut. L’exercice budgétaire expliquant comment il entend financer une partie de ses idées reste à faire et il n’aura pas le droit à l’erreur sur ce sujet. Mais surtout, Zemmour souffre d’un problème de crédibilité dans son rapport à l’entrepreneuriat, la fiscalité et le rôle de l’État français. En effet, pendant des années, il a pontifié à longueur de plateau sur un libéralisme dont il a utilisé la non-définition usuelle de toutes les radios, toutes les télés et toutes les rédactions françaises… En 2014, j’observais assez consterné que Zemmour s’employait à parer la gauche d’un libéralisme débridé voire un libertarianisme surdéveloppé. Et je n’étais pas le seul du reste, puisque comme le faisait aussi remarquer Charles Gave à la même époque, il confondait et confond encore généreusement libéralisme et interventionnisme d’État tous azimuts, voire avec le capitalisme de connivence. Zemmour faisait alors les mêmes amalgames idiots et utilisait les mêmes sophismes débiles (libéralisme = caca, gauche = caca, donc gauche = libéralisme) que toute la gauche et la droite dans une belle unanimité française lorsqu’il s’agit de trouver un ennemi à la fois simple (il est unique) et commode (personne n’en prend plus la défense). C’était grotesque à l’époque, ça l’est toujours alors que notre candidat putatif nous serine que le libéralisme détruit les structures traditionnelles. Cependant, étant maintenant passé de l’autre côté des plateaux télé, Zemmour, qui a bien compris qu’il va devoir – comme il l’explique lui-même – aller attraper les voix de la bourgeoisie patriote de droite, se doit donc de policer nettement son discours notamment vis-à-vis des entreprises et ne peut pas prôner sans faire tiquer un État omnipotent et interventionniste comme il le faisait jusqu’à présent avec gourmandise. Et s’il se gargarise de Napoléon, peut-être va-t-il devoir songer plus souvent au III, nettement plus libéral que le premier, s’il veut conquérir un tant soit peu d’électeurs chez Les Républicains. Ce positionnement promet d’être intéressant, et pourrait à l’avenir pimenter son avis sur Michel Barnier, apparatchik typique lui aussi dans la course : Et si l’on doit clairement s’interroger sur la cohérence de Barnier, on devra au moins évoquer la question pour Zemmour alors qu’il a conspué le libéralisme et le « moins d’État » sur les 10 dernières années. Au passage, c’est aussi pour tenter de rassembler le plus largement possible qu’il n’évoque en rien les dispositions sanitaires ahurissantes mises en place par Macron. C’est peut-être tactique, mais c’est surtout fort troublant, inquiétant même alors que le pays s’enfonce chaque jour plus loin dans la dictature, de savoir qu’il pourrait finalement très bien s’en accommoder une fois au pouvoir, au point qu’on se demande s’il ne serait pas si bruyamment adulé par la presse précisément dans ce but là… Il existe enfin un dernier obstacle, de taille, pour le frétillant éditorialiste : lorsque Trump s’est lancé, il pouvait espérer dans son parcours le ralliement de tout le Parti Républicain une fois les primaires remportées. C’était un pari audacieux, mais bien mené, il savait qu’il aurait toute l’équipe derrière lui s’il le remportait. Ici, la situation est fort différente : Zemmour s’inscrit clairement en dehors des partis traditionnels, à l’instar d’un Macron de 2016 qui avait pour lui de ne bousculer que quelques partis vieillissants. Dans une présidence Zemmour, sauf à considérer une compromission du candidat, ceux qui ont soutenu Macron en 2016 auraient beaucoup de mal à retrouver leurs billes. Et surtout, aucun des partis auquel l’éditorialiste entend piquer de grosses portions d’électeurs n’a d’intérêt à venir le soutenir en fin de compte : la façon dont sont financés les partis politiques et les tambouilles électorales actuelles garantissent que ni LR, ni RN ne lâcheront le gâteau pour le laisser à Zemmour qui risque surtout de se retrouver avec des miettes. Si l’on peut sans mal reconnaître à Éric Zemmour le mérite de changer le sujet d’actualité et de modifier la dynamique électorale à venir, on ne pourra cependant guère trouver de quoi se réjouir pour le pays qui, souffrant toujours d’une suradministration et d’une surfiscalisation mortelle, n’offre actuellement aucun candidat solide prêt à le nettoyer de ses chancres. H16 |
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