Le 5 avril 1722, l'explorateur hollandais Jacob Roggeveen aborde une île isolée en plein Pacifique. Comme c'est le jour de Pâques, il la baptise tout simplement... Île de Pâques.
L'île est le sommet émergé d'un massif volcanique sous-marin. À la différence de la plupart des autres îles du Pacifique, elle n'est pas protégée des vagues par une barrière de corail et un lagon, ce qui rend son approche en bateau difficile. Sur son sol aride de 171 km2 survivent quelques centaines de misérables Polynésiens.
Les ancêtres de ces malheureux, arrivés en pirogue entre 900 et 1200 de notre ère, avaient découvert un paradis doté d'une faune et d'une flore exubérantes, qu'ils avaient appelé dans leur langue Rapa Nui.
Ils avaient bâti une société prospère et même inventé une écriture idéographique, le rondorongo. Ils s'étaient multipliés jusqu'à être 10 000 ou 15 000.
La population était divisée en clans familiaux dont chacun était établi dans l'une des vallées sèches qui descendaient vers l'océan, cultivant ses jardins et honorant ses morts. Les dépouilles de ces derniers étaient déposées sur la grève.
Pour se protéger de l'océan hostile, chaque clan avait aménagé près du rivage une plate-forme en pierre surmontée de statues géantes, alignées comme à la parade, au regard impressionnant de vie, tournées vers les jardins et les habitants.
C'est vers 1600-1650 que les Pascuans ont commencé de sculpter les statues (les moaï) dans les flancs des trois anciens volcans de l'île. Ils les faisaient ensuite glisser jusqu'aux plates-formes de pierre qui leur étaient destinées (les ahu). Pour cela, ils fabriquaient des rails et des cordages avec les palmiers géants qui couvraient l'île.
On a dénombré un total de 800 statues, représentant des hommes et des femmes d'une taille d'un mètre à 22 mètres. La majorité sont restées sur les lieux d'extraction, en position couchée. 256 ont été déplacées et 164 de celles-ci ont été érigées sur les plates-formes.
Les Européens qui ont exploré l'île, tels Lapérouse et Cook au XVIIIe siècle, n'ont pas manqué de s'interroger sur l'arrêt subit de cette activité et le déclin brutal de la société pascuane, que les scientifiques situent vers le milieu du XVIIe siècle. « Sept cents insulaires privés d'outils, d'habitations et de vêtements n'ont pas pu construire des plates-formes qui demanderaient des siècles de travail », écrivit ainsi le capitaine Cook en 1774.
Deux thèses s'affrontent dont l'une met en cause l'irresponsabilité des hommes, l'autre la fatalité de la Nature.
Selon l'anthropologue Jared Diamond, qui décrit le déclin de la société pascuane dans son livre Effondrement (2006), les chefs de clans, qui se partageaient l'île et se défiaient en érigeant des statues de plus en plus grandes, avaient fini par altérer gravement le couvert forestier d'où ils tiraient rails et cordages.
Fragilisé par les coupes, le couvert forestier était devenu incapable de résister aux éléments et disparut de lui-même, entraînant aussi la disparition du sol végétal et de la faune. Victime de pénuries croissantes, la population ne tarda pas à décliner.
En quête de bois pour transporter les statues et surtout fabriquer les pirogues indispensables à la pêche, les clans se combattirent de plus en plus sauvagement. Le cannibalisme fit son apparition. Alors débarquèrent les Européens...
L'anthropologue Jared Diamond voit dans le drame pascuan le sort qui menace notre propre civilisation dans l'hypothèse où celle-ci se montrerait incapable de maîtriser son développement.
Plus prosaïquement, il semblerait que le drame pascuan soit du à un changement brutal du climat. Quand les Polynésiens arrivèrent dans ce qu'ils allaient appeler le « nombril du monde », l'île était encore couverte d'une belle forêt vierge avec du mûrier et des palmiers géants propres à fournir tous les matériaux de construction utiles. Tout cela disparut sous l'effet du « petit âge glaciaire » (XVe-XVIIIe siècles) et d'un dérèglement du courant océanique El Nino.
L'archéologue Catherine Orliac a recueilli en 1995 des résidus de combustibles dans les fours de cuisson des anciens habitants. De l'examen de 12 000 charbons, elle a conclu que les habitants, à partir de 1650 environ, ont cessé d'employer du bois pour cuire leurs aliments et se sont rabattus sur l'herbe !
L'archéologue met en relation ces observations avec la sècheresse brutale qui a affecté l'océan Pacifique sud à la même époque et dont attestent des lésions sur les coraux. Il s'ensuivrait donc que les arbres indispensables à l'équilibre économique de la société pascuane avaient disparu du fait de cette catastrophe climatique, bien avant que les Pascuans érigent leurs monumentales plates-formes.
De là à nous affranchir de nos responsabilités dans la surexploitation actuelle de la planète, il y a un pas que nous ne franchirons pas...
Comme si la déforestation ne leur avait pas suffi, les Pascuans ont encore souffert de l'esclavage et du travail forcé suite à l'arrivée des Européens. Ils n'étaient plus que 111 en 1877.
En 1888, l'île passe sous la souveraineté du Chili. Un entrepreneur livre le sol à des milliers de moutons. Le surpâturage dévaste ce qui reste de ressources agricoles et relègue les derniers habitants dans un recoin misérable de l'île.
Dans les années 1950, diverses personnalités, comme Thor Heyerdal, se penchent au chevet de l'île et remettent à l'honneur ses antiques statues. Les moutons sont chassés. L'île renaît lentement à la vie. Elle compte en ce début du XXIe siècle 4 000 habitants dont la moitié revendiquent leur filiation avec les sculpteurs des moaï.
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