mardi 30 mars 2021

LA MOSQUEE DE STRASBOURG


 Politique

Strasbourg: la fausse bonne idée de la fin du Régime concordataire

par Aurélien Marq

- 29 mars 2021

Faut-il tuer le Concordat parce que l’islam pose un problème?

Suite à l’affaire de la mosquée Eyyub Sultan à Strasbourg, certains – surtout à gauche – se sont empressés d’exiger la fin du Concordat d’Alsace-Moselle, parfois avec les meilleures intentions du monde. C’est pourtant une fausse bonne idée, qui repose sur l’illusion dangereuse qu’il faudrait traiter toutes les religions de la même façon.

Céline Pina a clairement décrit la situation strasbourgeoise, et le soutien financier colossal que la mairie EELV a décidé d’octroyer à une association islamiste pour bâtir ce qui doit être le double symbole de la conquête progressive de l’Europe par l’islam, et de l’impérialisme turc. Je n’y reviens donc pas.

Ce qui m’intéresse ici, c’est d’analyser les réactions qui partent de ce constat pour demander la fin du Concordat, régime juridique spécifique à l’Alsace-Moselle et dérogatoire de la loi de 1905 relative à la séparation des églises et de l’État.

Un compromis historique pour les anciens sujets du Kaiser

Pour mémoire, ce Concordat est le fruit de circonstances historiques particulières. En 1905,  l’Alsace et la Moselle étaient allemandes : le Reichsland Elsaß-Lothringen. Contrairement à ce que pourraient laisser croire les dessins charmants mais militants de l’Oncle Hansi, la reconquête par la France à l’issue de la première guerre mondiale ne se déroula pas sans heurts : il fallut faire des compromis et des concessions pour que les anciens sujets du Kaiser adoptent (plus ou moins volontiers) leur nouvelle identité de citoyens de la République. Conformément à une promesse du Général Joffre puis du Président Poincarré, l’Alsace-Moselle concerva donc un régime des cultes qui lui est propre, à savoir celui du concordat napoléonien complété par quelques lois allemandes prises pendant la période 1871-1918.

Outre divers particularismes juridiques ouverts à tous (par exemple une version locale du droit d’association, la loi de 1901 ne s’appliquant pas), le Concordat stricto-sensus concerne spécifiquement quatre cultes : catholique, luthérien, réformé, et israélite. Contrairement à ce que l’on imagine parfois, ni les autres églises protestantes (évangéliques, mennonites….) ni les églises orthodoxes (russe, roumaine, grecque….) n’en bénéficient.

L’islam ne fait pas partie des religions concordataires

On peut évidemment critiquer le Concordat pour de nombreuses et légitimes raisons, à condition qu’elles soient cohérentes. Notamment, l’argument naturel selon lequel la loi doit s’appliquer de la même manière sur tout le territoire national devra-t-il intégrer les Outre-Mers et leurs particularismes dans sa réflexion. On peut aussi aspirer à une évolution de ce système : ainsi, à titre personnel je ne verrais aucun inconvénient à ce qu’il soit étendu par exemple au bouddhisme ou aux églises orthodoxes, parfaitement assimilées, ou encore aux associations de libres-penseurs.

Mais partir du cas précis de la compromission d’une municipalité EELV vis-à-vis de l’islamisme pour attaquer le Concordat n’a pas de sens, et voici pourquoi.

D’abord, il est faux de croire que le régime juridique concordataire serait nécessaire au clientélisme. Les cas sont hélas nombreux qui montrent que des municipalités de tous les bords ou presque trouvent des moyens légaux pour courtiser le communautarisme en général, et la communauté musulmane en particulier. Trappes, par exemple, n’est pas sous régime concordataire, et pourtant la situation y est pire que dans n’importe quelle commune d’Alsace-Moselle. Et l’on pourrait parler de Bobigny, de Grenoble, de Rennes, et j’en passe.

Ensuite, il faut rappeler que l’islam ne fait pas partie des religions concordataires. Il serait pour le moins paradoxal de priver d’avantages concédés depuis longtemps des cultes respectueux des lois françaises, sous prétexte qu’un culte qui n’est pas l’un d’entre eux ne respecte pas ces mêmes lois ! C’est un peu comme si l’on prétendait lutter contre l’insécurité routière en retirant leur permis de conduire à des conducteurs respectueux du code de la route, sous prétexte qu’un chauffard roulant sans permis n’a pas respecté ce code… Certes, le régime juridique d’Alsace-Moselle offre des facilités à tous les cultes, quels qu’ils soient. Mais là encore : les en priver tous alors qu’il n’y en a qu’un seul qui pose problème serait à la fois injuste et dangereux.

Il serait malvenu d’ajouter de nouvelles tensions

Injuste d’abord : je l’ai dit, la situation des cultes respectueux des lois est une véritable question, et il ne serait pas choquant que les bouddhistes, les orthodoxes ou les athées militants se plaignent d’être privés des avantages reconnus aux catholiques, aux luthériens ou aux juifs. En revanche, nul ne peut sérieusement nier qu’aujourd’hui l’islam pose, en France comme partout sur la planète, des problèmes que ne pose aucune autre religion. Entre les attentats, les pressions mondiales contre la liberté d’expression, et la négation quasi-systématique de la liberté de conscience là où les communautés musulmanes disposent d’une influence suffisante pour imposer leur volonté, la liste est aussi longue que sinistre, et il serait pour le moins paradoxal qu’elle soit sans conséquences.

Bien sûr, le militantisme anti-occidental acharné du Pape François comme l’obscurantisme de beaucoup d’évangéliques américains, ou de certains juifs ultra-orthodoxes, nous rappelle que la vigilance est toujours nécessaire, mais enfin ! Même ces évidentes dérives restent insignifiantes en comparaison de tout ce qui est imputable à l’islam – et pas seulement à l’islamisme.

Bien sûr aussi, certains ne manqueront pas de hurler à la discrimination – à tort. Que la loi soit la même pour tous n’implique absolument pas qu’il faille traiter de la même manière ceux qui la violent et ceux qui la respectent. Un culte qui promeut comme référence normative suprême un corpus de règles encourageant l’esclavage sexuel des prisonnières de guerre et la mise à mort des apostats ne saurait prétendre être traité comme une communauté religieuse « normale ».

Dangereux ensuite : victimes d’une injustice manifeste, les cultes aujourd’hui concordataires ne seraient-ils pas poussés dans les bras d’un « front des religions » unies contre les « laïcards » ? Front évidemment et inévitablement instrumentalisé par les pires fanatiques pour attaquer une laïcité qu’il deviendrait facile de présenter (à tort) comme l’instrument d’un « athéisme d’état » ne disant pas son nom.

Restreignant tous les cultes à cause des dérives d’un seul, la loi sur les « principes républicains » a d’ores et déjà attisé des tensions inutiles. Certaines des absurdités de la gestion de la pandémie de Covid-19 ont fait de même. Il serait malvenu d’en rajouter encore, en menaçant des religions qui n’ont aucun rapport avec la soif de conquête des islamistes, ni avec l’impérialisme turc, et encore moins avec les délires et les compromissions de plus en plus manifestes d’EELV.

Au service d’un idéal plus grand

Plus encore : il serait malvenu de menacer des religions dont les clergés et les fidèles pourraient être des alliés précieux de l’idéal laïque d’émancipation et de dignité, contre les ambitions théocratiques séculaires de l’islam, contre l’influence du néo-sultan, contre l’entreprise de destruction de notre civilisation à laquelle se livre l’extrême-gauche, y compris dans sa forme soi-disant « écologiste », mais aussi contre la marchandisation du monde et de l’Homme aux mains impitoyables des seigneurs de la guerre économique.

Ni le Concordat ni la loi de 1905 ne sauraient être considérés comme des fins en soi. Ce ne sont que des moyens au service d’un idéal plus grand, idéal que partagent les vrais républicains et les courants humanistes de certaines religions – dont celles qui bénéficient aujourd’hui du Concordat. Et il est grand temps que tous ceux qui partagent cet idéal, croyants ou incroyants, s’unissent contre leurs ennemis communs au lieu de se tirer dans les pattes pour des prétextes totalement futiles au regard des vrais enjeux.

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