Institutions
Quel mode de scrutin pour nos députés ?
Par André Larané
En France, sous la Ve République, chaque crise politique entraîne un débat sur le mode de scrutin.
Le président Mitterrand a ainsi promu la proportionnelle pour limiter le recul de son camp aux élections législatives de 1986 et il est à nouveau envisagé de l'introduire à celles de 2022. Sera-ce un progrès démocratique ? L'Histoire et l'expérience des pays étrangers rappellent que, ici comme ailleurs, le mieux est l'ennemi du bien.
Dans les démocraties modernes, les députés ou représentants du peuple ont vocation à faire les lois ; ils sont élus :
• soit au scrutin uninominal, avec autant de circonscriptions que de sièges à pourvoir,
• soit au scrutin de liste à la proportionnelle.
Dans le scrutin uninominal, les élections se font sur la personnalité du candidat et sa capacité à séduire les électeurs ; dans le scrutin à la proportionnelle intégrale, les candidats sont sous l'entière dépendance des appareils de parti et les électeurs se déterminent non sur une personnalité mais sur une étiquette (PS, Verts, UMP...). Au-delà des apparences, c'est le mode de scrutin le moins démocratique et le plus désordonné qui soit...
En France, sous la Ve République, chaque crise politique entraîne un débat sur le mode de scrutin.
Le président Mitterrand a ainsi promu la proportionnelle pour limiter le recul de son camp aux élections législatives de 1986 et il est à nouveau envisagé de l'introduire à celles de 2022. Sera-ce un progrès démocratique ? L'Histoire et l'expérience des pays étrangers rappellent que, ici comme ailleurs, le mieux est l'ennemi du bien.
Dans les démocraties modernes, les députés ou représentants du peuple ont vocation à faire les lois ; ils sont élus :
• soit au scrutin uninominal, avec autant de circonscriptions que de sièges à pourvoir,
• soit au scrutin de liste à la proportionnelle.
Dans le scrutin uninominal, les élections se font sur la personnalité du candidat et sa capacité à séduire les électeurs ; dans le scrutin à la proportionnelle intégrale, les candidats sont sous l'entière dépendance des appareils de parti et les électeurs se déterminent non sur une personnalité mais sur une étiquette (PS, Verts, UMP...). Au-delà des apparences, c'est le mode de scrutin le moins démocratique et le plus désordonné qui soit...
Avantages, inconvénients
Le scrutin uninominal mis en oeuvre par les premières démocraties, en Angleterre, aux États-Unis et dans la France des débuts de la Révolution, favorise les oppositions binaires (majorité-opposition). Il répond à un souci d'efficacité : apporter des réponses bien argumentées aux problèmes immédiats du pays.
Le scrutin de liste à la proportionnelle répond à une revendication plus idéologique : permettre à chaque sensibilité politique de se faire entendre à l'Assemblée. Dans les faits, il empêche tout parti d'obtenir à lui seul la majorité absolue et conduit à des coalitions de partis.
À partir de ces deux modèles, l'expérience et l'Histoire ont inspiré d'innombrables variantes qui tentent chacune à leur manière de pallier aux inconvénients de chaque système :
• scrutin uninominal à un tour et à la majorité simple (Angleterre, États-Unis),
• scrutin uninominal à deux tours et à la majorité absolue (France),
• proportionnelle intégrale (Israël, Parlement européen),
• combinaison de proportionnelle et de scrutin uninominal (Allemagne, Italie),
• ...
Pour juger de l'efficacité d'un mode de scrutin, il ne faut pas oublier d'autres facteurs comme la relation entre le pouvoir législatif (Parlement), qui vote les lois, et le pouvoir exécutif (gouvernement), qui les applique et parfois aussi les inspire ou les impose :
Dans certains pays, l'exécutif est dans la main du Parlement ; c'est le propre d'un régime parlementaire : ainsi, le Premier ministre anglais et le chancelier allemand peuvent être renvoyés par les députés dès lors qu'ils n'ont plus la confiance de l'opinion et font craindre une défaite électorale aux députés de leur majorité.
Dans d'autres pays, les deux pouvoirs sont rigoureusement indépendants l'un de l'autre (États-Unis). Dans d'autres enfin (France de la Ve République), la majorité parlementaire, quand elle est du même bord que le chef de l'exécutif (le président de la République) se soumet à celui-ci dans la crainte d'une dissolution qui lui ferait perdre beaucoup de sièges (le général de Gaulle qualifiait pour cette raison les députés de « godillots » avec une touche de mépris). Cette soumission à l'exécutif a été renforcée par le quinquennat, en 2000 : les députés étant depuis lors élus dans la foulée du président pour un mandat de même durée, beaucoup lui doivent leur siège et ne peuvent se permettre une rébellion, sauf à le perdre.
Le scrutin de liste à la proportionnelle
Le scrutin de liste à la proportionnelle dérive des « listes de notabilités » instituées par la Constitution de l'An VII (1800), qui installa en France le Consulat, un régime à la solde de Bonaparte.
Dans sa version intégrale, les électeurs choisissent entre plusieurs listes de candidats. Chaque liste est présentée par un parti et comporte autant de noms que de sièges à pourvoir. Après le scrutin, on accorde à chaque liste un nombre de sièges proportionnel au nombre de voix qui s'est portée sur elle.
Ses inconvénients sont de deux ordres :
- Émiettement des partis et marchandages de couloirs
Le scrutin de liste à la proportionnelle est en apparence très démocratique : tous les partis, y compris les plus modestes, ont la possibilité d'avoir des députés en proportion de leur poids électoral. Mais l'expérience (Israël, Italie, Belgique...) montre qu'il favorise l'émiettement des partis. Pour l'emporter sur leurs concurrents les plus proches, les petits partis tentent de séduire les électeurs non sur un programme politique global mais sur un enjeu particulier (exemple : « Voulez-vous sauver à tout prix le droit de chasse ? Votez pour nous et nos députés négocieront à l'Assemblée le maintien de ce droit contre leurs votes sur d'autres sujets, peu importe lesquels »).
Ainsi le scrutin de liste ouvre-t-il la voie, après le scrutin, aux tractations de couloir et aux coalitions d'opportunité dans lesquelles les électeurs n'ont aucunement leur mot à dire. Il s'ensuit un résultat totalement antidémocratique. En prime, ces tractations de couloir rendent quasiment impossible la constitution d'une majorité parlementaire stable autour d'un programme de gouvernement cohérent, comme la Belgique en fait périodiquement la démonstration. Or, c'est bien là le but de tout régime parlementaire.
Le cas d'Israël est probant. L'opinion publique de ce pays s'est longtemps montrée majoritairement favorable à la création d'un État palestinien et cependant, toutes les coalitions gouvernementales s'y sont refusées avec constance. Pourquoi ? Parce que ces coalitions ne tiennent que grâce à l'appoint de petits partis extrémistes, religieux ou nationalistes, qui, à la différence des principaux partis, ne s'accrochent pas au pouvoir et sont prêts à se retirer de la coalition si celle-ci s'écarte de leurs vues. Cela leur donne une capacité de nuisance sans commune mesure avec leur poids électoral !
L'inconvénient peut être limité par l'instauration d'un seuil élevé, autrement dit un pourcentage de voix minimum à partir duquel un parti peut espérer des députés. Ce seuil est souvent de 5%.
- Candidats sans représentativité
Le scrutin de liste à la proportionnelle livre le choix des futurs députés aux appareils des partis. Le poids électoral de chaque parti étant connu à l'avance à peu de chose près, chacun peut en déduire les candidats éligibles et ceux qui seront élus de manière quasi-certaine d'après leur place sur les listes. Par exemple, dans les élections au Parlement européen, les partis nationaux nomment sur leur liste des hommes d'appareil dont on veut récompenser le dévouement mais aussi de vieux routiers de la politique rejetés par leurs électeurs (ce fut le cas de Michel Rocard) ou des vedettes du show-biz (Jean-Marie Cavada).
La plupart de ces candidats auraient très peu de chance d'être élus à Strasbourg s'ils devaient se présenter sous leur seul nom dans un scrutin uninominal. Inconnus des électeurs, ils ne sont pas non plus sous leur pression. Ils ne rendent de comptes qu'à l'appareil de leur parti.
Ces inconvénients du scrutin de liste peuvent être tempérés avec le « panachage », c'est-à-dire la faculté donnée aux électeurs de rayer les candidats dont ils ne veulent pas sur la liste de leur choix. Ainsi l'élection des députés n'est-elle pas toute entière déterminée par leur rang sur la liste de leur parti. Le panachage est une technique assez lourde, généralement limitée aux élections locales.
Le scrutin uninominal
Le scrutin uninominal met les appareils des partis en situation de dépendance par rapport aux élus, lesquels sont bien enracinés dans leur circonscription et assoient leur popularité sur l'écoute de leurs concitoyens. Sauf à prendre le risque de se priver d'une circonscription, les partis sont obligés de respecter ces élus. C'est un gage de démocratie et une prévention contre les dérives oligarchiques.
Le scrutin uninominal permet aussi à des « électrons libres » de se présenter à la candidature et éventuellement de l'emporter sur les notables investis par les partis. Le principal défaut qu'on peut lui reprocher est d'exclure les petits partis du Parlement. Ce défaut peut être corrigé de diverses façons :
Le risque d'exclusion ne vaut pas lorsque les partis ont la faculté de négocier entre eux pour avoir des candidats en position éligible. C'est ce qui se passe avec le scrutin uninominal majoritaire à deux tours comme le pratique la France de la Ve République pour l'élection de ses députés au Parlement national :
- Au premier tour du scrutin, chaque parti, aussi modeste soit-il, peut présenter un candidat dans chaque circonscription. Si un candidat obtient dès le premier tour une majorité absolue (plus de 50% des suffrages exprimés), il est déclaré élu. En l'absence de majorité absolue, cas le plus courant, il y a un deuxième tour (s'y présentent seulement les candidats qui ont obtenu un minimum de suffrages règlementaire - autour de 5 à 10%).
- Entre les deux tours, les partis qui se sentent des affinités entre eux (à gauche comme à droite) ont coutume de négocier des retraits au profit de leur candidat le mieux placé. Ces négociations se font au vu de tout le monde et les citoyens gardent leur liberté de vote. En définitive, on arrive ainsi à élire des coalitions relativement stables (droite, gauche) constituées sur la base d'un programme électoral public (et non sur des tractations secrètes de couloir comme dans le scrutin de liste).
Dans des élections législatives avec un scrutin à deux tours comme en France, les partis minoritaires sont conduits à négocier des désistements réciproques avec les partis qui leur sont proches. C'est seulement ainsi qu'ils peuvent espérer avoir des députés en nombre conséquent... et certains y arrivent avec brio. C'est le cas des écologistes qui bénéficient aux élections locales d'un nombre d'élus très élevé relativement à leur faible poids électoral car tous les grands partis ont le souci de négocier avec eux des alliances pour « verdir » leurs affiches. C'est aussi le cas des centristes car, selon les circonscriptions, ils négocient leurs voix entre les deux tours qui avec la droite, qui avec la gauche.
Le Rassemblement National (ex-Front National) fait exception car tous les autres partis s'interdisent une alliance avec lui. Ce « front républicain » empêche le parti d'extrême-droite et ses électeurs d'être correctement représentés au Parlement. Il exclut aussi leur victoire aux élections présidentielles. On peut s'en féliciter. On peut aussi regretter que soient ainsi privés de représentation politique les ouvriers devenus le socle électoral de ce parti. Soulignons avec cet exemple très particulier que si le RN a très peu de députés relativement à son poids électoral, la raison en revient à l'absence d'alliances, pas au mode de scrutin.
- Scrutin uninominal à un tour :
Le Royaume-Uni se distingue par un scrutin uninominal à un seul tour aux législatives : le candidat qui obtient le plus grand nombre de suffrages exprimés est immédiatement élu. Ce système a conduit à une bipolarisation de la vie politique entre deux partis dominants (pas toujours les mêmes : aux whigs ont ainsi succédé les travaillistes).
Faut-il le déplorer ?... Après tout, on peut penser que sur les grands problèmes de l'heure, il n'y a pas besoin d'avoir 36 avis mais qu'il importe d'offrir aux électeurs un choix (celui de la majorité) et une alternative (celle de l'opposition) qui soient l'un et l'autre bien argumentés et en cohésion avec un programme politique d'ensemble. De fait, force est de constater qu'après plusieurs siècles d'existence, le système britannique a fait ses preuves mieux qu'aucun autre, mais cela tient peut-être moins au mode de scrutin qu'à la nature parlementaire du régime.
Réservons une place particulière à l'Allemagne fédérale qui tente de concilier la proportionnelle avec le scrutin uninominal. La moitié des députés de l'assemblée législative fédérale, le Bundestag, sont élus au scrutin uninominal à un tour et, sur la base de ce scrutin, l'autre moitié est désignée au scrutin proportionnel de façon à ce que toutes les sensibilités soient représentées.
Législatif, exécutif
En Grande-Bretagne plus qu'en aucune autre démocratie, le chef du gouvernement (le Premier ministre) est sous la tutelle du Parlement. Si celui-ci doute de son adéquation à la situation du moment, il peut le renvoyer sur le champ ou le pousser à la démission même s'il est le chef du parti majoritaire. C'est que les députés ont avant tout le souci d'être réélus et donc de satisfaire leurs électeurs.
Ainsi, lorsque Hitler a attaqué le front occidental le 10 mai 1940, au moment le plus critique de l'histoire anglaise (et mondiale), le Premier ministre Neville Chamberlain, qui misait sur un accommodement avec Hitler, a remis sa démission et le roi et le Parlement ont aussitôt désigné Winston Churchill pour le remplacer.
Le parlementarisme s'accommode d'une dose de proportionnelle dans le mode d'élection des députés comme sous la IVe République française (1946-1958). Celle-ci a été beaucoup décriée par les gaullistes. Elle a cependant autant réformé et modernisé la France que la Ve République qui l'a suivi.
Les députés de la IVe République, élus avec une dose de proportionnelle, constituaient une coalition de circonstance chaque fois qu'ils avaient à résoudre un problème (Indochine, Maroc, Europe...) et la dissolvaient une fois celui-ci résolu, parfois au bout de quelques mois seulement.
Cette instabilité féconde est à l'opposé de l'extrême stabilité de la Ve République dans laquelle le Président est assuré de conserver le pouvoir même lorsque la conjoncture économique et politique entre en contradiction flagrante avec son programme, ses convictions et son mode de gouvernement.
Ainsi Jacques Chirac n'a-t-il pas démissionné après l'échec du référendum du 29 mai 2005 sur le traité constitutionnel. De Valéry Giscard d'Estaing à Nicolas Sarkozy et Emmanuel Macron, on constate également que les velléités réformatrices du chef de l'État ne survivent pas à la deuxième année de son mandat.
Avec un système d'élection similaire à celui des Anglais, les Américains présentent un régime d'une toute autre nature, que l'on dit présidentiel, mais dans lequel le président ne peut pas plus dissoudre les assemblées que celles-ci ne peuvent le démettre (sauf par la procédure très exceptionnelle de l'impeachment).
Il s'ensuit un constant bras de fer entre le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif dont on a vu sous la présidence de George Bush Jr qu'il n'évitait pas des choix contestables (guerre d'Irak et déstabilisation de l'Iran).
En résumé, si l'on met à part la proportionnelle intégrale (Parlement européen, Belgique, Italie, Israël), à laquelle on ne trouve que des défauts, les autres systèmes électoraux s'accommodent plus ou moins bien des impératifs démocratiques.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire