dimanche 7 février 2021

DETTE: LES ROBINETS DE LA BCE NE COULERONT PLUS A FLOTS

 INTERVIEW

La Fabrique de l’Opinion

Agnès Verdier-Molinié: «Dette: dans deux ans, les robinets de la BCE ne couleront plus à flots»


Agnès Verdier-Molinié est directrice de la Fondation iFrap, un think tank indépendant qui évalue les politiques publiques. Déjà auteur de 60 milliards d’économies ! et On va dans le mur, elle publie La France peut-elle tenir encore longtemps ? (Albin Michel, 2021). Un appel à la prise de conscience générale : alors que la faillite nous menace, l’heure n’est, selon elle, plus au déni.

Vous lancez « l’alerte de la dette ». Le sujet n’est-il pas suffisamment pris au sérieux par le gouvernement ?

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Le sujet de la dette, bien qu’il soit présent dans toutes les têtes, est mis sous le tapis par le gouvernement. La France est pourtant aujourd’hui endettée à près de 120 % de son PIB. C’est le pays européen qui dépense le plus, qui taxe le plus et qui emprunte le plus. En 2021, nous allons encore emprunter au moins 260 milliards d’euros. Ce chiffre est calculé à partir d’une projection de 6 % de croissance, alors que la Banque de France a déjà annoncé qu’elle ne serait que de 5 %. Et c’est sans compter les confinements qui pourraient se rajouter à une addition déjà salée. Il est temps de se réveiller. En écrivant ce livre, je ne m’attendais pas à découvrir qu’on avait emprunté un milliard d’euros par jour en 2020. C’est 700 000 euros par minute. Ce n’est pas tenable. Le déni n’est plus de mise. L’Elysée et Matignon ont-ils vraiment conscience de l’ampleur du problème ? Quoi qu’il en soit, le déni n’est plus de mise. Il est urgent que ministres, parlementaires, élus locaux et dirigeants de la Sécu se mettent autour d’une table, constatent les dégâts et trouvent une voie pour faire revenir la dette à 100 % du PIB d’ici à 2027.

« On a, depuis plus de trente ans, dépensé de manière inconséquente en France. Sans contrôle. Le “quoi qu’il en coûte” présidentiel est en fait permanent »

Y avait-il d’autres choix à faire qu’une création monétaire illimitée et un creusement de la dette publique pour gérer la crise économique générée par l’épidémie de Covid-19 ?

On a, depuis plus de trente ans, dépensé de manière inconséquente en France. Sans contrôle. Le « quoi qu’il en coûte » présidentiel est en fait permanent. La BCE n’a pas pu faire autrement qu’intervenir en pompier en mars dernier. Pourquoi ? Notamment parce que la France et d’autres pays de la zone euro ont été incapables de faire les réformes pour rétablir leurs finances publiques avant la crise, contrairement aux pays frugaux du Nord. Nous avons rejoint la Grèce, l’Italie, le Portugal, la Belgique et l’Espagne dans le club des Etats européens dont la dette dépasse les 100 % du PIB. L’effet domino peut être dévastateur. Les économistes admettent secrètement que la politique de la Banque centrale européenne est le cache-sexe du renflouement généralisé des Etats. Le risque d’une nouvelle crise de la dette n’a jamais été aussi sérieux.

Vous estimez que la politique de la BCE met en danger la zone euro. Pourquoi ?

La BCE mène une politique à double objectif : atteindre sa cible d’inflation (2 %), et racheter les dettes des Etats membres. Tout concilier va vite s’avérer irréaliste. Là où il y a un danger, c’est quand on continue à faire croire à tout le monde que la BCE va indéfiniment racheter la dette de la France. Près de 3 000 milliards (fin 2020) de dettes souveraines ont été rachetés par la BCE depuis la précédente crise, dont 600 milliards pour la France. Il y en aura peut-être 200 milliards de plus pour l’Hexagone dans les mois qui viennent. La politique de la BCE avec rachats massifs de dettes et taux bas devrait rester la même jusqu’en 2022. Puis elle risque fort de changer. Les Allemands ont déjà précisé qu’ils comptent rétablir l’équilibre de leurs comptes publics dès 2022. C’est là qu’on verra le grand décalage avec la France. La dette sera un énorme sujet de l’élection. Les hommes de Bercy en ont bien conscience. C’est d’ailleurs pour cela que Bruno Le Maire a annoncé la mise en place d’une commission, présidée par l’ancien ministre des Finances Jean Arthuis. Mais une commission, ce n’est pas suffisant. Il faut passer à l’action avec un vrai plan de désendettement chiffré pour 2022-2027.

« On critique beaucoup les pays du Nord, mais vu notre situation, c’est finalement grâce à eux que nous avons la légitimité pour lever de la dette »

Vous proposez d’ailleurs votre propre plan à la fin de votre livre. Quelles sont vos solutions ?

Je propose un plan de stabilisation et de désendettement à l’horizon 2027. Mais pour reconstruire, on ne va pas pouvoir y couper, il va falloir travailler plus : plus longtemps, plus à l’année. Penser qu’on va pouvoir garder les RTT, les 35 heures et la retraite à 62 ans, dans la phase de reconstruction de notre pays qui s’annonce, est illusoire. Il va falloir aller chercher la croissance. Sinon, c’est notre épargne qui sera ponctionnée. Les impôts augmenteront tous azimuts. Si nous nous lançons enfin dans des réformes structurelles, ce sont des milliards que l’on pourra économiser : report de l’âge de la retraite, baisse des dépenses de fonctionnement, décentralisation, réduction progressive des surcoûts de nos services publics (84 milliards)... La bonne nouvelle ? Nous dépensons tellement qu’il y a des milliards d’économies à faire. Le Parlement ne joue pas son rôle d’évaluateur des deniers publics qui lui est confié par l’article 24 de la constitution.

L’austérité est-elle ce qu’il faut à la France en ce moment ?

Ce n’est pas de l’austérité, mais de la bonne gestion. Il faut arrêter avec ce mot, sorti à toutes les sauces et dans tous les contextes. La France est le pays avec le plus de dépenses et pourtant on n’a pas été meilleur pour gérer l’épidémie. La bonne gestion, c’est déléguer les services publics, sortir des statuts, embaucher des contractuels, les rémunérer en fonction de l’implication… Je pense que les Français veulent cette bonne gestion. Ils savent que sinon, ils auront un déferlement d’impôts. La dette d’aujourd’hui, ce sont les impôts de demain. A tous ceux qui croient qu’on peut tout simplement annuler et ne pas rembourser la dette, je réponds : ce sont des chimères. Si on annonce qu’on ne remboursera pas, emprunter deviendra impossible car tout repose sur la confiance dans la signature de la France. Les deux tiers de la dette française ont été annulés de cette manière en 1797. Résultat, la confiance dans l’Etat a disparu et il a fallu attendre la chute de Napoléon 1er, en 1814, pour pouvoir de nouveau lever un grand emprunt auprès du public. On critique beaucoup les pays du Nord, mais vu notre situation, c’est finalement grâce à eux que nous avons la légitimité pour lever de la dette.

« On m’a toujours affirmé que les réformes n’auraient pas lieu avant d’avoir touché le fond de la piscine. On y est »

Qu’ont à nous apprendre les pays européens les plus vertueux ?

Ce qui est incroyable, c’est que contrairement à nous, ils ont réussi à anticiper la crise actuelle en préparant leurs finances publiques au choc. En 2009, l’Allemagne s’est, par exemple, dotée d’un mécanisme de frein à l’endettement, qui permet au pays de ne pas emprunter plus de 0,35 % de son PIB. Elle a fait converger le niveau de ses dépenses avec celui de ses recettes. Cela fait réfléchir car chez nous, depuis 1995, la France s’est beaucoup plus endettée pour les dépenses de fonctionnement que pour l’investissement : 900 milliards d’euros contre 700 milliards d’euros. Pour reprendre notre destin en main, nous devrons nous aussi appliquer ce système de frein à l’endettement afin d’éviter de s’endetter pour des dépenses de fonctionnement. A deux points de croissance, il n’y a aucune raison de continuer à avoir un déficit gigantesque comme ce fut le cas par exemple en 2017. Il n’y a rien d’inatteignable.

Il y a quand même de l’espoir, donc ?

Oui, plus que jamais, car c’est le moment du sursaut. On m’a toujours affirmé que les réformes n’auraient pas lieu avant d’avoir touché le fond de la piscine. On y est. C’est maintenant qu’il faut donner un grand coup pour repartir, pour reconstruire la France et faire les bons choix. Dans deux ans, plus personne n’aura de compassion pour nous et les robinets de la BCE ne couleront plus à flots. On doit anticiper pour garder la main sur notre destin. Le risque, c’est d’être confronté à un mur de la dette infinançable, qu’on ne puisse plus payer les services publics, les retraites, les salaires d’agents... Et que nos partenaires ou nos créanciers nous imposent des réformes draconiennes douloureuses. Gouverner, c’est prévoir. Il en va de la responsabilité de nos dirigeants politiques de ne pas attendre 2022 pour enclencher le mouvement. Nous devons sortir de la dictature du court terme que nous inflige la pandémie depuis de nombreux mois et tracer la suite de l’histoire pour que la France s’en sorte sans déclassement.

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