Cheveux gominés et parfaitement peignés, allure grave et masque rouge-blanc-rouge de rigueur : Sebastian Kurz s’avance une gerbe de fleurs à la main le 3 novembre sur la Schwedenplatz de Vienne, afin de rendre hommage aux victimes de l’attentat qui a tué quatre personnes dans la capitale autrichienne et en a blessé plus d’une vingtaine d’autres. La veille, l’horreur djihadiste a touché de plein fouet un pays d’à peine 9 millions d’habitants, réputé pour sa tranquillité, du moins depuis les attaques terroristes de groupuscules propalestiniens dans les années 1970-1980. Et pourtant, les Autrichiens ont dû faire face à un constat accablant : l’islamisme politique s’est infiltré dans ce pays d’Europe centrale comme il l’a fait chez nous. Nicolas Stockhammer, professeur à l’université de Vienne, rappelle l’existence « d’une scène islamiste relativement bien développée » et de 320 djihadistes partis combattre en Syrie et en Irak, ce qui, par rapport à sa population globale, place l’Autriche au quatrième rang européen en la matière. Le défi est donc immense pour le chancelier.
Un discours qui tranche par sa franchise
Né en 1986 d’une mère enseignante et d’un père ingénieur, Sebastian Kurz poursuit des études de droit, qu’il interrompt afin de se consacrer à la politique. Depuis lors, son ascension est fulgurante. Il obtient la présidence du mouvement de jeunesse du Parti populaire autrichien (ÖVP), où il écrase toute concurrence par sa détermination. Il est nommé secrétaire d’État à l’Intégration en 2011, puis propulsé ministre des Affaires européennes et étrangères à seulement 27 ans, sous les gouvernements de grande coalition Faymann II et Kern. À l’époque, son discours tranche déjà par sa franchise et détonne face aux déclarations convenues et policées de ses homologues européens : il veut l’arrêt de l’immigration clandestine, un contrôle accru aux frontières et appelle à la fin des négociations avec la Turquie sur l’entrée dans l’UE.
Son énergie et son talent lui valent de succéder à Reinhold Mitterlehner à la tête de l’ÖVP en 2017, véritable marchepied pour sa désignation dans la foulée comme chancelier fédéral, à l’âge de 31 ans, suite aux élections législatives anticipées d’octobre. Arrivé en tête avec 31,7 % des voix, l’ÖVP (dont l’électorat s’est alors élargi et rajeuni) met en place une coalition turquoise-bleu avec le parti populiste FPÖ qui crée la surprise avec un score de 25,97 %. Le FPÖ réalise notamment d’excellents scores dans les États du sud tels que la Carinthie et la Styrie, des régions rurales en première ligne face aux vagues migratoires.
Le sujet de l’islam politique reste éminemment complexe, y compris pour Kurz. Il parle lui-même d’une « bombe à retardement » .
Kurz mène tambour battant un programme audacieux jusqu’à la chute du FPÖ sur fond de sombre affaire de corruption passive présumée. De 2017 à 2019, le chancelier se montre déjà très ambitieux sur le combat contre la radicalisation : expulsion d’imams étrangers qui ne se conforment pas aux lois fédérales ou locales, renforcement des services de renseignement et poursuite de la lutte contre l’immigration clandestine. Déchu de son poste en mai 2019 par une motion de censure, cela n’empêche pas son parti d’arriver largement en tête aux élections anticipées qui suivent, et donc Kurz de retrouver la Ballhausplatz. L’Autriche, qui n’est pas une ancienne puissance coloniale et qui ne connaît pas la laïcité et l’assimilation à la française, a opté depuis la seconde moitié du XXe siècle pour une relative tolérance envers les signes d’appartenance religieuse, tout en voulant les restreindre plus récemment face à l’avancée de l’islam, donnant lieu parfois à certaines contorsions juridiques et à une terminologie évasive. Le sujet de l’islam politique reste éminemment complexe, y compris pour Kurz. Il parle lui-même d’une « bombe à retardement ». L’actuelle coalition avec les Verts – leur première participation à un gouvernement –, d’apparence contre-nature (« protéger les frontières et le climat », slogan non officiel pour le moins cocasse), ne semble pas affecter ce combat, tant le chancelier semble rassembler derrière lui sur ce sujet.
Une Europe diantrement pusillanime
Le 10 novembre, Kurz est venu à Paris participer à un mini-sommet sur la « réponse européenne à la menace terroriste », selon les termes de l’Élysée. Macron semblait très content de s’afficher aux côtés de ce chancelier qui prend des mesures beaucoup plus sévères que lui. Ainsi, il veut créer une infraction d’« islam politique », et son ministre de l’Intérieur Karl Nehammer propose la détention préventive ou la surveillance électronique pour les djihadistes présents sur le territoire autrichien. Lors de sa conférence de presse à Paris, Sebastian Kurz a haussé le ton pour exiger qu’au niveau européen les actes suivent sans délai. Il a également évoqué l’énorme problème des entrées incontrôlées sur le territoire Schengen. Invités par visioconférence au mini-sommet, sans doute pour tenir les chandelles à distance, Angela Merkel, Ursula von der Leyen, Charles Michel, ainsi que le Premier ministre néerlandais Mark Rutte se sont fendus de déclarations convenues sur la « nécessaire réponse coordonnée » au niveau européen. La stratégie du « pas de vagues » semble être devenue leur marque de fabrique.
La presse italienne a révélé les dessous du communiqué de presse commun établi par les ministres de l’Intérieur des membres de l’UE après leur visioconférence du 13 novembre – une réunion censée s’inscrire dans la continuité du mini-sommet de Paris. Las, on n’y retrouve ni le ton déterminé affiché par Kurz et Macron ni la référence explicite à l’islamisme. Le document européen parle de manière générique de la « lutte contre l’extrémisme ». Comme l’observe Il Giornale, « la ligne prudente, pour ne pas dire pusillanime, l’emporte ». Nos confrères précisent que le terme « islamisme » apparaissait plusieurs fois dans la rédaction initiale : « La déclaration signée par les 27 énonce [à la place] que “la lutte contre le terrorisme n’est pas dirigée contre les croyances religieuses ou politiques, mais contre l’extrémisme fanatique et violent”. Dont il n’est pas donné de connaître la matrice. Il est impossible de le mettre sur papier. Du moins pour Berlin, qui préside le Conseil de l’UE jusqu’au 31 décembre. » Encore une fois, Madame Merkel brise la dynamique de contre-offensive face au danger islamiste. Sebastian Kurz, dirigeant d’un petit pays, semble désormais mener la danse sur le sujet. Reste à savoir si les faits suivront : une grande majorité d’Autrichiens, mais aussi d’Européens, ont désormais les yeux rivés sur lui.
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