samedi 21 novembre 2020

PLUS MORTEL QUE LA COVID-19?

 Tribune en libre accès

«L’article L. 223-1 plus mortel que la Covid-19?» La tribune du député Jean-Carles Grelier




Laissez-moi vous parler de Gérard. Dans sa petite ville, il connaissait chacun et tout le monde l’appréciait. Facteur durant plus de quarante ans, il avait vu les familles s’agrandir, il avait partagé leurs bonheurs et leurs malheurs. Il y avait pris sa part aussi.

Lorsque fut venue l’heure de la retraite, il se tourna vers la vie municipale et devint adjoint au maire. Pendant près de vingt ans, il se consacra ainsi à ses concitoyens, y abandonnant ses jours, ses nuits et beaucoup de sa vie de famille. Lundi, Gérard est tombé chez lui. Les pompiers l’ont conduit aux urgences de l’hôpital et il a été diagnostiqué un hématome comprimant le cerveau.

Ce matin Gérard est mort. Non pas qu’il ait contracté la Covid-19. Mais de n’avoir pas été opéré. Parce que là-haut, loin de son hôpital, on a décidé de déprogrammer toutes les interventions des patients réputées non urgentes. Gérard est mort parce qu’il était trop âgé pour être opéré et qu’on ne pouvait pas prendre le risque qu’il occupe un lit de réanimation en post-opératoire.

Elle se prénomme Sandra, elle est en pleine force de l’âge. Et de la force, il lui en faut pour tenir avec son mari l’exploitation agricole familiale et élever trois enfants. Ses journées sont longues et denses et elle ne dispose que d’un temps infime pour prendre soin d’elle.

C’est en janvier dernier qu’est apparue et que s’est installée cette douleur lancinante dans son ventre. Elle n’a d’abord pas voulu s’en soucier. Puis la persistance de la douleur l’a conduite à prendre un rendez-vous chez un médecin. Un exercice difficile lorsque l’on vit à la campagne. Finalement, fin février lui seront prescrits en téléconsultation des examens sanguins et radiologiques. Le temps de s’y résoudre, la France était confinée et le virus semblait circuler partout. Sandra se dit qu’elle pouvait attendre.

Elle n’a finalement fait ses examens qu’à l’automne et vient d’obtenir ses résultats. Son cancer s’est déjà bien développé et le temps perdu aura fait croître de 5% son risque de mortalité. L’Institut Gustave-Roussy estime à entre 4000 et 8000, dans les cinq prochaines années, le nombre des morts par cancer lié à l’impossibilité réelle ou ressentie de se faire soigner durant l’épidémie.

Je pourrais aussi vous parler de Julien qui a mis fin à ses jours après une seconde tentative. Il faut dire qu’après sa première, il avait été admis aux urgences mais n’avait pu bénéficier d’une prise en charge psychiatrique, les deux lits d’urgence psychiatrique de l’hôpital parisien où il avait été conduit ayant été supprimés pour être transformés en lits Covid-19. Il a donc gardé pour lui son mal-être, jusqu’au moment où la douleur a été plus forte que son envie de vivre.

«Ceux qui, depuis le printemps dernier, ont décidé que notre système de santé devait, faute de moyens, être tout entier consacré à la Covid-19, faisant fi de toutes les autres pathologies et des milliers de patients laissés sans soins, ne peuvent s’exonérer de leurs responsabilités»

Ces trois cas ont un malheureux point commun que le Code pénal dénomme froidement article L. 223-1 : « le fait d’exposer directement autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité par la violation d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité…. ».

Ceux qui, depuis des années, ont négligé notre système de santé, méprisant la médecine de ville, noyant l’hôpital sous des flots de normes et imposant à tous une orthodoxie budgétaire mortifère ne peuvent s’exonérer de leur responsabilité.

Ceux qui n’ont pas préparé notre pays à la survenance d’une crise pandémique, par négligence, imprudence ou petits calculs comptables portent aussi une responsabilité.

Ceux qui, depuis le printemps dernier, ont décidé que notre système de santé devait, faute de moyens, être tout entier consacré à la Covid-19, faisant fi de toutes les autres pathologies et des milliers de patients laissés sans soins, ne peuvent non plus s’exonérer.

Ceux qui, depuis le bureau d’un ministère ou d’une agence régionale de santé, ont acté et continuent d’ordonner des fermetures de lits, de services ou des déprogrammations d’opérations dans le secteur public comme dans le secteur privé ne sont pas moins responsables. D’autant que ce sont les mêmes qui, en totale contradiction avec leurs engagements du Ségur de la santé, viennent de renforcer encore la bureaucratisation des hôpitaux, en sortant les médecins de la gouvernance des établissements.

Je ne serai ni Robespierre, ni Fouquier-Tinville, je ne demanderai aucune tête. Je veux juste que l’on n’oublie pas que, dans l’indifférence médiatique, des professionnels de santé sont obligés de faire des choix qu’ils savent contraires à leur éthique et leur vocation. Je veux que l’on n’oublie pas que, ces jours derniers encore, la plateforme Doctolib annonçait que les demandes de rendez-vous médicaux avaient chuté de 30% et que de nombreux Français continuent de renoncer à des soins souvent urgents et toujours nécessaires.

Le bilan économique de la crise sera mauvais. Le bilan social de la crise sera mauvais. Mais son bilan humain sera pire encore, il sera catastrophique et le plus souvent irrémédiable.

Jean-Carles Grelier est député (apparenté LR) de la Sarthe.

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