Patrick Artus: «Quatre menaces pèsent sur l’efficacité du plan de relance»
Le plan de relance va dans la bonne direction mais il est trop étriqué pour être vraiment efficace, estime le patron de la recherche de Natixis
La France, qui n’a pas réalisé sa réforme de l’Etat, manque de moyens pour apporter des solutions à la hauteur de ses problèmes, estime Patrick Artus.
A quelles conditions le plan de relance sera-t-il efficace ?
Je vois quatre menaces à son efficacité. L’objet de ce plan est de faire réinvestir les entreprises en France, en particulier dans les technologies les plus avancées. Ce n’est pas un plan de relance, il n’y a rien de keynésien dans tout ça, c’est un plan de relocalisation. Or notre déficit d’attractivité reste colossal. On a les compétences les plus basses de l’OCDE, les coûts salariaux et les impôts des entreprises les plus élevés. Tant qu’on affiche un tel bilan, personne ne viendra investir en France.
La soi-disant attractivité pointée par certaines enquêtes masque mal les sorties d’investissements directs depuis vingt ans, et la désindustrialisation qui se poursuit, on le voit tous les jours. Tout le monde a compris le problème, on s’y attaque mais de manière très modeste par rapport à notre handicap. Les impôts de production vont baisser de 10 milliards d’euros, mais ils seront toujours supérieurs de 80 milliards aux impôts allemands. S’il y a relocalisation de chaînes de valeur en Europe, ce sera d’abord en Europe centrale et de l’est. On prend de bonnes mesures, mais il y a un souci de calibrage face à l’ampleur de notre problème d’attractivité. Le deuxième risque tient à la façon dont on aborde le financement des projets technologiques.
C’est-à-dire ?
Notre approche est « top down », très « commissariat au Plan » : l’Etat décide qu’il faut investir dans la batterie électrique, dans l’hydrogène et le médicament, il met donc beaucoup d’argent sur ses propres choix. Ce qui marche aux Etats-Unis fonctionne à l’inverse en « bottom up ». Les entreprises présentent leurs projets à l’Etat qui les finance s’il les trouve intéressants. C’est la finalité de l’agence de défense, la Darpa. Je cite toujours l’exemple très concret de la Nasa: elle a besoin de capsules pour envoyer des gens dans l’espace, l’entreprise Space X d’Elon Musk propose de les lui fournir, ce que la Nasa rémunère en finançant 50 lancements Space X. La Darpa est sortie du champ de la défense, et finance le médicament, l’énergie, la voiture intelligente, l’optique, la maison connectée… en recensant les projets intelligents que les entreprises ont dans leurs tuyaux. On leur fait confiance pour avoir de bonnes idées, alors qu’en France, une fois servis les batteries, l’hydrogène et le médicament, il restera très très peu d’argent.
Aujourd’hui, le système de formation français est strictement incapable de requalifier 2 millions de personnes. Comment rebondir chez Sanofi ou Atos quand on a perdu son job chez Airbus ou Air France ?
Quel est le troisième écueil ?
C’est l’extraordinaire explosion de la structure sectorielle de notre économie. La moitié des secteurs sont en très grande difficulté durable, les autres ne vont pas mal. Il va donc falloir procéder à un transfert d’emplois absolument colossal : 2 millions de Français devront tôt ou tard passer d’un secteur en déclin vers un secteur en croissance. Comment faire ? Le plan alloue un petit montant à la formation, mais on ne sait pas la forme qu’il va prendre. Aujourd’hui, le système de formation français est strictement incapable de requalifier 2 millions de personnes. Comment rebondir chez Sanofi ou Atos quand on a perdu son job chez Airbus ou Air France ? Ça restera un problème demain. En revanche, le plan de relance est généreux avec les emplois aidés, mais on sait que sans formation efficace associée, ces emplois terminent à Pôle emploi. Enfin, il reste la question des entreprises « zombies ». On a aidé beaucoup de sociétés en difficulté avec des PGE, c’est-à-dire de l’endettement. La dette des entreprises françaises, qui était déjà élevée, aura sans doute grimpé de près de 250 milliards d’euros cette année. On sait que beaucoup d’entre elles ne pourront pas rembourser ces emprunts.
Cet endettement pourra financer l’investissement…
Les premières enquêtes de l’Insee annoncent plutôt un effondrement des budgets d’investissement pour 2021 : -11 % par rapport à 2020, qui était déjà en baisse sur un an. Tout le monde est donc d’accord sur la nécessité de transformer la dette en fonds propres. Le plan ne l’ignore pas, mais ce qu’il prévoit est aussi trop modeste par rapport aux besoins.
C’est donc selon vous, un plan bien orienté, mais trop étriqué. Fallait-il doubler la somme comme le suggère Alain Minc ?
Bruno Le Maire met 100 milliards d’euros sur la table, car il n’a pas plus. Les taux d’intérêt sont peut-être négatifs, il y a quand même une limite à l’endettement et aux déficits publics stratosphériques. On ne sait pas jusqu’à quand nous aurons le soutien de la Banque centrale, même s’il est clair qu’elle ne va pas durcir ses taux d’intérêt dans un proche avenir. Il faudra rouler notre dette, rien ne nous assure qu’ils seront toujours bas dans quelques années. Par ailleurs, nous sommes en Europe dans le viseur des « pays frugaux ». Les Pays-Bas ont obtenu qu’ils pourront protester si un pays tire sur les milliards du plan de relance de Bruxelles sans faire de réforme structurelle. La discorde peut revenir à tout moment. Si la France n’a pas assez de moyens, c’est justement qu’elle n’a pas fait la réforme de l’Etat. Les 4 points supplémentaires de PIB qu’on met dans les retraites, les autres pays les mettent sur la formation ou sur des dossiers plus productifs; les 3 points de PIB supplémentaires que coûte la masse salariale de l’Etat vont, chez eux, dans les nouvelles technologies…
Si la France n’a pas assez de moyens, c’est justement qu’elle n’a pas fait la réforme de l’Etat. Les 4 points supplémentaires de PIB qu’on met dans les retraites, les autres pays les mettent sur la formation ou sur des dossiers plus productifs
Le plan ne prévoit pas d’aides aux ménages, c’est une bonne chose ?
Tout à fait. On ne va pas faire de chèques aux ménages alors qu’ils sont collectivement assis sur 120 milliards d’euros de comptes bancaires. S’ils consomment peu, ce n’est pas faute d’argent mais d’envie. Il faut les rassurer sur l’emploi, les entreprises doivent donc être capables de conserver les postes et d’en créer. Ce sera possible si elles sont plus compétitives, si elles ont des salariés mieux formés… On revient sur le déficit d’attractivité. Le plan va dans la bonne direction pour restaurer la confiance des ménages, mais il est sous-dimensionné sur un certain nombre de points, les fonds propres, la formation, les impôts qui pèsent sur les entreprises... Ces dernières payent 5 points de PIB d’impôts supplémentaires comparé à leurs grands concurrents. Cela vient essentiellement des cotisations sociales et des impôts de production. Avec ce plan, on corrige le problème à hauteur de 0,4 point, les sociétés tricolores paieront toujours 4,6 points de plus.
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