jeudi 24 septembre 2020

MORT DE JULIETTE GRECO


Icône de la chanson française, Juliette Gréco est décédée ce mercredi 23 septembre à l'âge de 93 ans.

 

Juliette Gréco, la rebelle joyeuse, est morte
Par Jean-Noël Mirande




Il n'y a vraiment plus d'après à Saint-Germain-des-Prés depuis que la muse du quartier a tiré sa révérence. Avec la mort de Zizi Jeanmaire le 17 juillet dernier, Juliette Gréco était devenue la doyenne des chanteuses françaises. À 93 ans, elle aura survécu deux ans à la disparition de son mari Gérard Jouannest, le musicien, accompagnateur de Jacques Brel. On ne la voyait plus guère au café de Flore, elle, la dernière survivante d'une légende connue dans le monde entier. Elle s'arrêtait parfois dans le café de sa jeunesse perdue à côté de l'église du village germanopratin, après la messe à Dieu d'un copain disparu. Un village peuplé de fantômes, Boris VianSerge Gainsbourg et tant d'autres.

Juliette Gréco ne ressassait pas le passé, mais elle chérissait sa belle vie. Ses souvenirs nombreux étaient ceux d'une génération qui vécut dans la tourmente. Celle qui eut 20 ans en 1945. Depuis plus de soixante-dix ans, Juliette Gréco appartient au patrimoine vivant de la chanson. Elle incarne le vent de liberté qui souffla après la Libération de Paris, cette jeune fille du Sud montée à la capitale dans un quartier qui allait devenir le centre de la vie intellectuelle de cet après-guerre.

Celle qu'on appelait alors Jujube aimait l'existence, même si rien ne lui fut épargné. Un père absent, mais un grand-père adoré. Une mère qui ne l'aimait pas et qui lui lança : « Tu es une enfant trouvée. Tu es le fruit d'un viol. Tu n'es pas ma fille, je t'ai achetée à des romanichels. » On n'oublie rien, on s'habitue, c'est tout, comme elle le chantera plus tard. Cette enfance à la va-comme-je-te-pousse fit de Juliette une rebelle joyeuse : « Je suis réfractaire à beaucoup de choses. J'aime qu'on me laisse tranquille et je refuse les contraintes », avouait-elle en 2012 dans son dernier livre de souvenirs Je suis faite comme ça.

Des « troglodytes » au Quartier latin

Cette mère résistante, arrêtée en Dordogne, conduira Juliette et sa s?ur aînée, l'architecte Charlotte Perriand, à rejoindre Paris où, conduites à la prison de Fresnes, elles resteront un mois. Juliette ne sera pas déportée en raison de son jeune âge, contrairement à sa s?ur et à sa mère qui iront à Ravensbrück, d'où elles reviendront en 1945.

Dans la capitale, Juliette est recueillie par celle qui fut sa professeure de français dans le Périgord, devenue comédienne au théâtre de l'Odéon, Hélène Duc. Juliette aimait se souvenir de cette pension de famille, du 20 de la rue Servandoni. C'est là que la future muse de Saint-Germain-des-Prés, sans un sou en poche, chanta pour la première fois « Mon amant de Saint-Jean ». Elle restera fidèle à sa bienfaitrice jusqu'à la fin de sa vie en 2014.

C'est alors qu'elle commença à apprendre l'art dramatique et à jouer dans quelques spectacles, comme Victor ou les Enfants au pouvoir de Roger Vitrac. À 18 ans, la jeune fille violente et secrète prit possession avec sa bande d'un lieu rue Dauphine devenu célèbre, Le Tabou. « Un lieu de rencontre pour gens qui s'aimaient, et se retrouvaient à l'abri. » On les appelait les troglodytes, ces adolescents reclus dans une cave pour faire les 400 coups.

Ainsi commença la légende des existentialistes. Un mythe fabriqué à partir d'une certaine vérité. Jean-Paul Sartre était à l'écoute de cette jeunesse d'après-guerre. C'est lui qui encouragea Juliette Gréco à chanter « L'Éternel féminin » et « Si tu t'imagines ». Il l'envoya chez Joseph Kosma. Elle venait d'avoir 18 ans et allait connaître le succès. Au début, les gens lui reprochaient un physique étrange, cruauté envers ce qui dérange, qui n'est pas dans la norme. De Juliette émanait une autorité contrariée par une silhouette fragile.

Femme libre, en avance sur son temps, elle rencontra Miles Davis, qui voulait l'épouser à une époque où les mariages mixtes étaient encore interdits dans de nombreux États américains. Juliette s'en fichait, mais voulait rester en France et ne se maria pas. Comme dans la chanson « Je suis comme je suis », elle aime celui qui l'aime, et ce n'est pas sa faute à elle si ce n'est pas le même qu'elle aime à chaque fois. Elle épouse le comédien Philippe Lemaire avec qui elle aura une fille. Elle a une relation avec le producteur américain Darryl F. Zanuck, elle tournera, dans plusieurs de ses productions, avec notamment Orson Welles. Elle sera aussi l'épouse de Michel Piccoli pendant onze ans.

Dans les années 1960, la Gréco chante beaucoup, parfois gratuitement pour les jeunes et les ouvriers dans les MJC, qui, à l'époque, sont très en vogue. C'est dans ces années-là qu'elle devient une vedette de télévision avec le feuilleton suivi par des millions de Français sur la seule chaîne de l'époque : Belphégor ou le Fantôme du Louvre. Pour autant, elle ne cesse pas de chanter en France et à travers le monde. Dans son répertoire, des classiques, mais aussi des tubes, comme le célèbre « Déshabillez-moi », qui sera repris par Mylène Farmer vingt ans après.

Si on ne rit plus, c'est la mort.

 
 

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