Affaires des écoutes du PNF: pourquoi la démocratie passe un sale quart d'heure?
Par
Denis Jeambar
Atteinte aux droits de la défense, mise à mal de la séparation des pouvoirs, abstention massive, la démocratie passe un sale quart d'heure. Il est urgent de réagir.
Quelle bizarrerie! Aucune des dispositions de notre Constitution ne garantit de manière formelle les droits de la défense et le rôle des avocats. Tous les présidents de la Ve République ont fait en sorte de laisser une trace dans notre loi fondamentale mais, de manière étrange, aucun d'entre eux n'a songé à ces questions alors qu'il s'agit de marqueurs fondamentaux dans une société qui se veut démocratique. En 2009, ce vide institutionnel parut si vertigineux à Jean-Louis Debré, alors président du Conseil constitutionnel, qu'il jugea nécessaire de mettre quelques points sur les ''i'' dans un discours prononcé à l'occasion de la rentrée du Barreau de Paris. Il précisa alors que, faute de texte, "le Conseil constitutionnel avait consacré le caractère constitutionnel des droits de la défense dès les années 1970" et les avait rattachés à ''la garantie des droits" proclamée par l'article 16 de la Déclaration de droits de l'Homme de 1789. Puis il ajouta que le Conseil avait développé un droit constitutionnel de l'avocat, précisant que "le recours et l'assistance d'un avocat constituent un droit constitutionnellement surveillé et garanti par le Conseil constitutionnel".
Il faut croire qu'un certain nombre de magistrats du Parquet national financier (PNF) sont ignorants de ces règles édictées par notre juridiction suprême ou ont tout simplement décidé de s'en affranchir dans l'affaire dite ''Bismuth'', dossier judiciaire dans lequel l'ancien président de la République, Nicolas Sarkozy, est poursuivi pour corruption et trafic d'influence. Il ne s'agit pas ici de se prononcer sur le fond de l'affaire mais de s'interroger sur les moyens mis en œuvre par le PNF au cours de l'enquête pour identifier un informateur qui aurait appris à l'ancien chef de l'Etat et à son avocat Thierry Herzog qu'ils étaient sur écoute. Pendant cinq ans, du début de l'année 2014 à la fin de l'année 2019, comme le révèle Le Point paru le 25 juin dernier, le PNF pratique une traque téléphonique secrète qui le conduit à écouter un nombre incroyable d'avocats, pour la plupart des ténors du Barreau, et à éplucher leurs factures téléphoniques, prenant ainsi connaissance de tous les appels qu'ils ont donnés ou reçus, leur durée, les numéros de leurs correspondants, les lieux d'appel.
Naturellement, les avocats victimes de ces écoutes s'indignent, à l'image de Eric Dupond-Moretti, dénonçant une "barbouzerie" et une violation du secret professionnel, de la vie privée et de la correspondance. Mais c'est une tempête qui devrait se lever au delà de ces indignations justifiées, car ce sont tout simplement des droits fondamentaux, reconnus par le Conseil constitutionnel, qui sont bafoués par la Justice en charge, précisément, d'en assurer le respect. Nul ne peut donc se désintéresser de ce qui vient de se passer. Qu'importe que l'on apprécie ou pas Nicolas Sarkozy, tous les Français sont concernés quand un droit fondamental est piétiné. Le Parquet national financier a ignoré à la fois les droits de la défense et le rôle des avocats. Que reste-t-il de ces droits lorsqu'ils sont violés? Rien. La confidentialité des relations entre un avocat et son client fait partie des droits intouchables de la défense, tout comme le secret professionnel de l'avocat. Dans sa démarche, le travail du PNF a quitté les rivages de la justice et pris un tour politique qui n'a rien à voir avec l'état de droit. Le constat est d'autant plus préoccupant que les récentes révélations de l'ancien procureur du Parquet national financier, Eliane Houlette, sur les pressions de sa hiérarchie dans l'affaire Fillon ont déjà semé un grand trouble sur l'indépendance de la Justice.
On détricote l’état de droit
Traiter ces affaires à la légère sous le prétexte qu'elles concernent des hommes politiques serait une grave erreur. La Justice est un des trois grands piliers de la démocratie avec l'Exécutif et le Législatif. Plus qu'eux encore, elle se doit d'être insoupçonnable. Nous sommes loin du compte dans ces trois domaines. Le pouvoir judiciaire se décrédibilise à présent lorsqu'il s'affranchit des règles d'impartialité qui le régissent. Il ne respecte plus l'état de droit dont il est pourtant le garant. Inquiétant spectacle. Notre démocratie, déjà politiquement vacillante quand on voit l'évolution affolante de l'abstention au fil des scrutins (plus de 60% ce dimanche 28 juin pour le second tour des élections municipales), s'affaiblit jour après jour sous nos yeux en raison du comportement de ceux chargés à la fois de la mettre en œuvre et de la préserver. L'état de droit n'est pas une variable d'ajustement quand on exerce le pouvoir ou lorsqu'on rend la justice. Il s'impose à tous et c'est un devoir sacré que de le préserver.
Hélas, il se détricote de plus en plus ! Avec, pour corollaire, l'affaissement de l'indispensable exemplarité des pouvoirs publics pour convaincre les citoyens de se plier aux règles du vivre ensemble, de défendre l'intérêt général, d'accepter naturellement nos principes constitutionnels. L'autorité des pouvoirs est de plus en plus ébranlée et les transgressions de l'état de droit prolifèrent. On l'a vu avec les gilets jaunes, on l'a revu avec les manifestations antiracistes, on le voit tous les jours autour de nous. C'est un immense danger car peuvent jaillir des revendications autoritaires qui, au nom de l'ordre, se moqueront plus encore de cet état de droit sans lequel la démocratie n'existe pas. Il n'est pas trop tard pour en finir avec ces errements mais il est déjà bien tard quand les juges se font justicier et que s'estompe la séparation des pouvoirs. Alors on pense à l'auteur de l'Esprit des Lois et l'on crie: Montesquieu au secours, ils sont devenus fous !
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