Edouard Philippe, le chant du vrai-faux départ ?
Par Serge Raffy
Comme à son habitude, Edouard Philippe, probable futur maire du Havre, l’homme qui caracole en tête des sondages, joue les… insondables. Comment lire, en effet, ses multiples déclarations sur son avenir politique ? En usant d’un décodeur haute puissance tant l’homme sait s’entourer d’un halo de mystère. Il pose çà et là sur son chemin des petits cailloux blancs, des phrases elliptiques, à double tiroir, dans lesquelles on s’engouffre avec délectation, comme dans un jeu de piste. Un jour, il laisse entendre que sa priorité absolue sera la gestion de sa bonne ville, abritant le deuxième port de France, ce qui n’est pas rien. Un autre jour, il réaffirme sa loyauté sans faille à un président qu’il humilie involontairement par son insolente cote de popularité. Bientôt 20 points d’écart en sa faveur ? Un sacré pied de nez au destin pour un homme qui n’en finit pas de signaler son humilité, sa modestie, son sens du devoir, sa dévotion au locataire de l’Elysée. « Ed le bon soldat », les doigts sur la couture du pantalon…
On imagine les conseillers d’Emmanuel Macron cherchant désespérément les raisons mystérieuses de cet envol supersonique d’un Premier ministre si discipliné. Officiellement, le président décidera des choix de son remaniement dans la foulée du deuxième tour des élections municipales, après le 28 juin. Officiellement, la thèse de l’entente cordiale entre les deux hommes est encore vantée par les entourages. Et pourtant, on sent bien que la machine se grippe imperceptiblement. Les rumeurs d’agacement réciproque entre les deux têtes de l’exécutif affleurent en surface. Pourtant, les futurologues du microcosme politique répètent qu’Emmanuel Macron n’a pas d’autre choix que de conserver ce grand intendant qui rassure et, surtout, qui occupe avec brio le terrain d’une droite orpheline, sans leader affirmé. Le perdre serait le renvoyer en stabulation libre dans un espace politique quasiment en jachère, et donc en faire un rival potentiel. Certains prétendent que ce cas de figure est une fable. Est-ce si sûr ?
Une sortie en douceur ?
Renouveler le bail d’« Ed le Placide », l’homme du déconfinement ? Ce serait répéter l’erreur de Nicolas Sarkozy, alors président, en 2009, qui ne s’était pas résolu à renvoyer le très populaire François Fillon dans ses foyers, alors qu’un certain Jean-Louis Borloo piaffait dans les starting-blocks pour s’installer à Matignon. Conséquence désormais célèbre de cette décision : Fillon était devenu le pire ennemi du fondateur des Républicains. La guerre entre les deux hommes fut sans aucun doute une des causes de l’implosion de la famille gaulliste. Et de son échec retentissant en 2017, laissant un boulevard au sautillant et habile Emmanuel Macron. Ce n’est pas un hasard si l’affaire Fillon ressurgit, aujourd’hui, rappelant aux uns et aux autres, au-delà de l’aspect politico-judiciaire, les raisons d’une déroute. Logiquement, si le chef de l’Etat ne veut pas que l’histoire se répète, il devrait se séparer du maire du Havre. Logiquement, Edouard Philippe se soumettra à toutes les décisions de ce président fragilisé, à la recherche d’un « nouveau chemin » pour les deux dernières années de son mandat.
Et si les pronostiqueurs se trompaient ? Si, fort de son incroyable cote de confiance dans le pays, élu maire du Havre, le gentil soldat prenait lui-même la décision de se consacrer au futur de la ville phare de l’estuaire de la Seine ? Echappant ainsi à la tempête sociale que devra affronter l’exécutif dès l’automne ? Absurde ? On imagine une sortie en douceur, en catimini, mais ferme et déterminée, sans claquement de porte, sans critique au deuxième degré de la politique du président. Dans le plus pur style du personnage, chaloupé et insaisissable. Un départ sur la pointe des pieds, mais aux conséquences politiques fracassantes. Edouard Philippe laissant Emmanuel Macron à la recherche d’un successeur, un homme ou une femme, prêt à tenir le gouvernail du pays au cœur du cyclone.
Les candidats ne sont pas légion, contrairement aux bruits multiples et variés qui courent dans les allées du pouvoir. Jean-Yves Le Drian, « le Menhir », l’homme à la popularité inoxydable ? Valérie Pécresse, la très puissante patronne de la région Ile-de-France, pour créer un nouveau petit séisme à droite ? Laurence Tubiana, la responsable de la COP21, pour marquer un ancrage sans ambiguïté sur le territoire de l’écologie ? Ou même le scénario fiction d’un atterrissage, rue de Varenne, de Christiane Taubira, brillante et incontrôlable garde des Sceaux de François Hollande ? Le chant du vrai-faux départ d’Edouard Philippe n’est plus qu’une question de jours. Osera-t-il passer à l’acte, franchir le Rubicon, c’est-à-dire le majestueux et sublime pont de Normandie, surplombant la Seine, conduisant au Havre, donnant le sentiment que sa ville est bâtie sur une île ? Une forme d’exil… Le destin d’« Ed le Placide » est désormais entre ses mains. Peuvent-elles trembler ?
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