lundi 20 avril 2020

L' APRES LA CRISE SANITAIRE RESTE A DEFINIR.

Référendum, dissolution, remaniement... Le chef de L’Etat s’interroge sur les conditions politiques de la reconstruction post-crise sanitaire.

Alain Auffray 

D’ici au 11 mai il faudra y voir plus clair. Pas seulement sur la stratégie de déconfinement que le gouvernement veut avoir défini à la fin du mois. Mais aussi, surtout, sur le vertigineux chantier de la reconstruction dont Emmanuel Macron a dit qu‘il imposerait une profonde remise en question. Par quoi commencer ? Comment construire «l’union» ou «la concorde» pour faire face au choc de la crise économique et sociale qui vient ? Au sommet de l’Etat et plus encore dans «les entourages», on explore à tâtons les pistes possibles, du banal remaniement à l’explosive dissolution, du référendum au mythique CNR, le Conseil national de la résistance devenant, en l’occurrence, celui de la «reconstruction».
En prenant en charge, grâce au chômage partiel, la rémunération de millions de personnes, «ce qui n’a jamais existé dans l’histoire économique contemporaine», la France s’est donné les moyens «de préserver de préserver l’emploi et les compétences», explique le chef de l’Etat au Point. Mais après ? Il faudra «sortir des sentiers battus», «se réinventer, moi le premier» a-t-il expliqué dans son allocution du 14 avril. Devant 36,7 millions de téléspectateurs, record absolu d’audience télévisée, le Président a fait le serment de bâtir «un autre projet dans la concorde», précisant qu’il s’y emploierait «dans les prochaines semaines», avec «toutes les composantes de notre nation». Dans un entretien au Financial Times publié vendredi, Macron dit sa conviction que l’humanité est en train de vivre «un grand choc anthropologique» : «Nous avons mis à l’arrêt la moitié de la planète pour sauver des vies, c’est là un fait sans précédent dans notre histoire. Mais cela changera la nature de la mondialisation que nous connaissons depuis quarante ans.»

«L’union sacrée», ce n’est pas gagné


Pour répondre à ce choc, le chef de l’Etat doit trouver le moyen d’élargir son assise politique. Dès le 16 mars en conclusion de sa première allocution, il avait appelé «tous les acteurs politiques, économiques, sociaux, associatifs, tous les Français à s’inscrire dans cette union nationale». Un mois plus tard, la patriotique «concorde» a remplacé la trop politique «union» à laquelle personne ne croit. Les leaders de la droite ont été assez clair : le président de LR, Christian Jacob, a se dit «farouchement opposé à l’idée d’union nationale», tandis que le chef de file des sénateurs LR y voit, lui, un «piège à cons». A gauche, on estime qu’il serait particulièrement malvenu de se confiner dans une union sacrée au moment où le débat politique a rarement été aussi crucial.

Les réserves sont tout aussi fortes dans la majorité. Si l’union devait se résumer au recrutement de quelques personnalités qui s’ennuient dans l’opposition, à l’image des députés LR Guillaume Larrivé ou Geoffroy Didier qui ont fait savoir qu’ils étaient disponibles, les marcheurs sollicités par Libération s’accordent à juger que cela n’aurait «aucun intérêt». Comme beaucoup de cadres de LREM, le député Pierre Person voit dans l’union nationale au mieux «une fausse bonne idée», au pire «un marchepied pour le Rassemblement national». Sa collègue Aurore Berger estime que cela n’aurait guère de sens : «l’union nationale, n’est-ce justement pas notre projet ?» Entrer dans une logique de «débauchage», ce serait selon elle «reconnaître que nous n’aurions pas réussi le dépassement des clivages». «Bien sûr, il serait souhaitable qu’on appuie sur le bouton pause et qu’on se mette tous d’accord sur quelques grandes décisions», reconnaît Bruno Questel. Mais le député de l’Eure ne se fait «aucune illusion» : «dès septembre on risque d’être en précampagne présidentielle». Théoriquement souhaitable, l’union est jugée «impossible» par ce proche du Premier ministre qui ne voit pas comment rassembler «ceux qui diront il faut plus d’Europe et ceux qui diront qu’il faut en sortir, ceux qui veulent plus d’écologie et ceux qui misent sur la croissance». On ne mettra pas d’accord Sarkozy et Jadot, conclut-il.

Consultations tous azimuts


Reste donc à imaginer dans quelles conditions pourrait se construire l’«autre projet» évoqué par Macron le lundi 13 avril. Cela passera par «des décisions de rupture», a-t-il précisé. Oubliant les priorités d’hier – restauration de la compétitivité, équilibre des comptes publics, instauration d’un régime universel de retraites –, il s’agit d’assumer le coût d’un Etat-providence bien décidé à «reprendre le contrôle». Tout cela n’étant pas dans sa feuille de route, l’actuelle majorité peut difficilement prétendre incarner seule cette «rupture». «Les ateliers de la reconstruction» que lance cette semaine la direction de LREM pour mettre à jour son logiciel n’y suffiront pas. Alors, tout le monde cogite. «Macron consulte beaucoup, ça discute dans tous les sens», confie un proche du chef de l’Etat, ajoutant n’avoir, à ce stade, «aucune idée de ce qui pourra bien en sortir».

L’idée d’un «pacte» autour d’un programme d’urgence est au cœur des réflexions. Il pourrait être fondé sur trois ou quatre grands projets qu’il s’agirait de lancer rapidement pour engager la reconstruction d’une économie plus souveraine, plus durable, plus protectrice. «Il faudrait une politique très tranchée sur deux ou trois sujets», explique un proche du Premier ministre qui cite, par exemple, l’hypothèse iconoclaste d’une taxe exceptionnelle sur les contrats d’assurance-vie pour financer la reconstruction. Au gouvernement, on prend note des discussions qui se tiennent en marge de la majorité. Comme souvent en période de crise, le nom de l’ex-ministre Jean-Louis Borloo revient avec insistance. Partisan de longue date d’une taxation des transactions financières, il estime que le monde en crise serait mûr pour cette vieille utopie. Proche de Thierry Breton, le commissaire européen au Marché intérieur, Borloo discute aussi beaucoup avec le leader écologiste Yannick Jadot.

Référendum plutôt que dissolution «suicide»


Comment faire valider un programme de reconstruction ? Interrogés par Libération, les macronistes ne cachent pas leur perplexité. Il ne s’en trouve aucun pour croire qu’il suffira de s’appuyer sur la large majorité élue en 2017. Encore moins pour penser qu’un classique remaniement serait à la hauteur de l’enjeu. Certains reconnaissent qu’une dissolution pourrait en théorie se justifier. D’autres plaident plutôt pour un référendum. Tous reconnaissent qu’on ne va «pas pouvoir attendre 2022 pour prendre les décisions structurantes.» «Le quinquennat de La République en marche est terminé. En toute logique, il faudrait une nouvelle majorité pour une nouvelle politique», reconnaît un député LREM. Mais dans les rangs des marcheurs, la simple évocation du mot dissolution donne des sueurs froides, tant il leur paraît évident qu’ils seraient balayés.

«Dissoudre ? Tant qu’il n’y a pas de vraies propositions sur la table, cela n’a aucun sens. Ce serait un suicide idiot. Une capitulation ridicule», confie un ancien ministre. L’eurodéputé Pascal Durand, ex-dirigeant d’EE-LV aujourd’hui élu du groupe macroniste Renew, est de ceux pour qui un référendum sur quelques mesures de concorde nationale serait «imaginable». A la faveur de l’urgence, il rêve que la classe politique puisse effectivement se réinventer «en s’inspirant du CNR». Il lui paraît «fondamental» que l’introduction de la proportionnelle accompagne ce grand bouleversement. C’est «le seul moyen», selon lui, de convertir la France à la culture des coalitions.

Durand compte parmi les signataires de l’appel à préparer «le jour d’après». Avec le numéro 1 de la CFDT, Laurent Berger, plusieurs députés de l’aile gauche de LREM, du PS et d’EE-LV, il est de ceux qui veulent mettre à profit le confinement pour réfléchir à un grand plan de transformation vers «une société de la sobriété». Dans un tout autre cadre, l’autre eurodéputé Renew de sensibilité écologiste Pascal Canfin a pris, lui aussi, une initiative en forme d’union sacrée. Avec plusieurs ministres et élus européens de tous les horizons politiques, des syndicats et des chefs d’entreprise, il appelle à «bâtir une réflexion partagée» pour que la crise soit une occasion d’accélérer les investissements dans la transition écologique.

Rallier «de Xavier Bertrand à Yannick Jadot»


La macronie n’a pas renoncé à son ambition, déjà esquissée lors des européennes et des municipales, de faire alliance avec les écologistes pragmatiques, ceux qui ne refusent pas par principe toute forme d’alliance avec les centristes. Cela n’a pas échappé à Jean-Luc Mélenchon, qui a publiquement accusé les dirigeants d’EE-LV de vouloir se compromettre dans un Grenelle du «monde d’après», à la manière de leurs homologues allemands qui vont jusqu’à se coaliser avec des chrétiens-démocrates. Renvoyant dos à dos le macronisme et le dégagisme, le secrétaire national d’EE-LV, Julien Bayou, a sèchement répliqué qu’il s’agissait pour les écologistes de «réorienter maintenant le cours des choses», sans attendre la présidentielle, dont il constate qu’elle «obsède» Mélenchon, au point «d’obstruer [sa] lucidité».

Dans cette exploration discrète et brouillonne des scénarios de sortie de crise, un interlocuteur régulier du chef de l’Etat se laisse aller à la politique-fiction : il voit Macron profitant de la fête nationale – qui pourrait coïncider mi-juillet avec la fin espérée de l’interdiction des rassemblements publics – pour présenter aux Français un programme d’urgence porté par une alliance qui irait «de Xavier Bertrand à Yannick Jadot». En ce 14 Juillet, il imagine le Président annonçant qu’il renonce à se présenter à la présidentielle de 2022, afin de mettre toute son énergie dans la mise en œuvre du plan de reconstruction. Pure fiction, bien sûr… mais c’est dire si l’heure est grave.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire