samedi 25 avril 2020

BILLET FISCAL



Billet fiscal
par Remy Godeau

Sortie de crise du coronavirus: l’indécence fiscale

En France, il n’est pas « décent » de proposer de travailler plus, mais tout à fait légitime de proposer de payer toujours plus d’impôts... 
La France éternelle… Sous nos cieux capricieux, il est donc « indécent » de dire qu’il faudra travailler plus pour surmonter la pire récession du siècle, mais légitime de réclamer hic et nunc… des hausses d’impôt ! Dans cet art si français de taxer avant que de produire, Laurent Berger excelle. Ainsi, le secrétaire général de la CFDT éreinte le président du Medef, coupable d’avoir appelé à un effort au nom d’une « immense responsabilité collective », et réclame ensuite une taxe exceptionnelle sur les entreprises épargnées par la crise et une fiscalisation du capital au barème de l’impôt sur le revenu. Plus soucieux de sanction que de réparation, il mêle sa voix à d’autres fiscalistes compulsifs réclamant à l’occasion du coronavirus qui le retour de l’ISF, qui un report de l’allégement de l’impôt sur les sociétés.
De quoi parle-t-on au juste ? D’un choc exogène hors norme. Huit semaines de confinement ont réduit à néant 120 milliards d’euros de production de richesse nationale, selon les calculs éclairants de l’OFCE. L’Observatoire poursuit : près de 60 % de la baisse de revenu national est absorbée par la hausse du déficit ; mais 35 % sont au compte des entreprises, « ce qui pose la question du rebond après l’épisode de confinement. Le risque est grand de voir s’enclencher une spirale récessive : faillites et réduction de l’emploi conduiront à une réduction du revenu des ménages qui alimentera la réduction de l’activité. » En clair, le pire pourrait être à venir. Perte de revenus pour les ménages : 11 milliards, dont 2 pour les entrepreneurs individuels. Perte d’activité pour les entreprises : 42 milliards. Face à ce tableau cataclysmique, est-il vraiment « décent » d’évoquer sans attendre une hausse des prélèvements obligatoires dans un pays qui détient déjà le record de la pression fiscale au sein de l’OCDE ?
C’est la solidarité, stupide ! C’est vrai, la première ligne a été aussi héroïque qu’éprouvée. Et dans un souci de cohésion nationale, il ne serait pas illégitime de réclamer une contribution à ceux qui ont été moins impactés par le Grand confinement. Mais à condition d’éviter les vieilles lunes idéologiques, recyclées sous couvert de Covid-19. Le biais ? Faire de la fiscalité un redresseur de « torts », comme si avoir télétravaillé ou préservé des bénéfices méritait taxation au nom de la morale. L’illusion serait également de laisser croire à des classes moyennes essorées que la ponction des seuls riches suffira à redresser la barre. Le confinement, ce sont 65 milliards d’euros de déficit supplémentaire, une dette à 115 % du PIB. La suppression de l’ISF a représenté un manque à gagner de 1,7 milliard d’euros pour l’Etat. Journée pour la solidarité instaurée après la canicule de 2003, le lundi de Pentecôte travaillé a rapporté depuis sa création 30 milliards d’euros (2,4 milliards en 2018). Le calcul est vite fait… Quant à l’impôt sécheresse instauré par Raymond Barre, il avait en 1976 fait entrer l’équivalent de 3,4 milliards d’euros dans les caisses (la majoration d’impôt sur le revenu allant jusqu’à 10 %) ; la catastrophe climatique ayant alors coûté un demi-point à une croissance dynamique (4,4 % sur l’année !)
Réussir la relance. Aujourd’hui, le gouvernement table sur une récession de 8 % ! C’est dire la purge qui se prépare : a-t-on conscience que le chômage partiel va se transformer en chômage tout court ? Si la sortie de crise doit d’abord se faire par la croissance, alourdir le fardeau fiscal en plein redémarrage serait suicidaire. « Il est beaucoup trop tôt pour parler de fiscalité, il faut avant tout soutenir l’activité », plaide Laurent Saint-Martin, le rapporteur général du Budget à l’Assemblée nationale. Il n’est pas le seul. Les économistes gardent en mémoire les hausses d’impôts massives de 2011 sous Nicolas Sarkozy et de 2012 sous François Hollande : elles ont cassé la reprise parce que l’on croyait alors le choc temporaire. Même à la baisse, le dosage s’avère délicat. Dans Les Echos, Mathilde Lemoine, chef économiste du groupe Edmond de Rothschild, analyse : « Dans un environnement de taux zéro, la relance par la baisse d’impôts sur les salaires peut avoir un impact récessif en incitant les gens à épargner. Il vaut mieux baisser la TVA pour relancer la consommation. » Et puis le plan de soutien devra s’attacher à sauvegarder la structure entrepreneuriale, à limiter les faillites. C’est dire si les rêves de fiscalité punitive tiennent d’une vision doctrinale à mille lieues du chaos à venir…
Incohérence nationale. A moyen terme, nos dirigeants devront aussi assumer les conséquences d’une fiscalité écrasante. Les discours enflammés sur le patriotisme économique et les relocalisations resteront lettre morte sans réflexion sur notre compétitivité, les impôts et les réglementations jouant un rôle déterminant. Il paraît que l’exemple allemand dérange les politiques français. Ce n’est pas fini. On rappellera que les Français acquittent 172 milliards d’euros de prélèvements obligatoires de plus que la moyenne des contribuables européens et 150 milliards de plus que les Allemands. Cet écart tient surtout aux cotisations sociales payées par les salariés et les employeurs, financeurs au premier chef de notre généreux modèle social. Avec la gestion du coronavirus, on voit pour quel résultat – indécent !


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