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Buzyn allume la mèche
Par Laurent JOFFRIN
La dépression est mauvaise conseillère. La dépression post-électorale tout autant. Du coup, les confessions inouïes d’Agnès Buzyn aux journalistes du Monde deviennent un objet politique cruel et fascinant, à tel point qu’on éprouve envers cette candidate déconfite plus de tristesse que d’indignation. Si nous n’étions plongés dans des circonstances dramatiques, elles auraient déclenché un tsunami politique, seulement freiné par le souci d’ajouter une tourmente publique au malheur qui frappe le pays. Leur incohérence même signe l’abattement d’une femme honorable qui voit ses espérances les plus fortes réduites en poussière et qui, selon sa propre formule, «ne sait plus quoi faire de sa vie».
C’est la version tragique du «en même temps». La ministre de la Santé affirme qu’elle a senti dès le début la gravité de la crise. Mais, en même temps, elle a déclaré à la radio qu’il ne fallait pas s’inquiéter, que le virus né en Chine n’atteindrait pas nos contrées. Elle estime qu’elle a préparé son ministère à affronter le fléau mais, en même temps, elle le quitte aux premiers signes de la tempête pour courir après une fonction politique prestigieuse. Elle juge que les municipales ne pourront avoir lieu mais, en même temps, elle s’y jette avec de hautes ambitions. Elle mène une campagne apaisée mais, en même temps, elle avoue ressentir la peur à chaque meeting et se dit «dissociée». On comprend la fureur mal contenue des responsables LREM et l’embarras palpable du Premier ministre et de son gouvernement, qui n’avaient pas besoin de cette polémique au milieu d’un ouragan sanitaire.
Ces propos doivent sans doute autant à l’amertume de la défaite qu’à la raison raisonnante. Ils posent néanmoins des questions inévitables. Les réponses viendront une fois la bataille livrée : on ne harcèle pas le général au milieu du combat. Mais Agnès Buzyn a allumé une mèche qui ne s’éteindra pas et peut conduire à une explosion au moment du bilan. Il faut les formuler.
Le gouvernement, comme le laisse entendre l’ancienne ministre de la Santé, a-t-il sous-estimé le danger quand il est apparu ? Il s’en défend et se retranche derrière les avis des scientifiques. La chose n’est pas invraisemblable : après tout, la science ne sait pas tout et les responsables doivent parfois – souvent ? – prendre leurs décisions derrière un «voile d’ignorance».
Mais est-ce cela qui explique la pénurie de masques protecteurs partout relevée, notamment par les médecins qui en ont un besoin crucial ? Pourquoi, alors que l’OMS prescrit aux autorités du monde entier de «tester, tester, tester», en a-t-on fait si peu au moment où il fallait détecter les premières personnes contaminées pour les isoler ?
Pourquoi la France compte-t-elle un nombre insuffisant d’appareils de réanimation ? Imprévoyance, ou bien pénurie mondiale inévitable quand le nombre des malades s’accroît partout à grande vitesse ? Et surtout, fallait-il résister ainsi aux demandes véhémentes de l’ensemble du personnel hospitalier qui manque d’effectifs, de fonds et de matériel et doit maintenant pallier les carences par un trésor de courage et de dévouement ? Question plus large et éminemment politique, qui touche au rôle des services publics dans une société fragile, mais question tout aussi brûlante.
C’est la deuxième fois en tout cas qu’une candidature LREM à la mairie de Paris explose en vol, Buzyn après Griveaux. On se souvient aussi du cas étrange de Nathalie Loiseau, discréditée par le même genre de propos post-électoraux. Après le dégagisme, l’autodégagisme. La politique est un théâtre de la cruauté, mais elle est aussi un métier, qui exige une maîtrise hors du commun. Certains éloges de l’amateurisme, certaines apologies de la nouveauté et de la mise au rancart de l’expérience, ne sont décidément plus de saison.
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