jeudi 6 février 2020

VIRUS NOUVEAU, VIEILLES PEURS;


Virus nouveau, vieilles peurs
L'édito de Jean-Pierre Denis: journal la vie 
Alors que l’épidémie de coronavirus se propage, il faudrait relire la Peur en Occident, un des maîtres-livres de Jean Delumeau, l’éminent historien et le grand chrétien qui vient de nous quitter. Si on l’interrogeait aujourd’hui, le professeur au Collège de France commencerait probablement par rappeler que nos sociétés sont beaucoup plus sûres que celles d’autrefois, qui vivaient dans l’angoisse de l’épidémie et de la famine. Au XIVe siècle, la Grande Peste fait disparaître au moins un quart de la population d’Europe occidentale. Plus tard, des villes comme Marseille ou Milan perdent presque d’un coup la moitié de leurs habitants. La fête des Lumières, chaque 8 décembre à Lyon, célèbre le vœu des échevins, qui placèrent la ville sous la protection de Marie. Le culte ultrapopulaire de saint Roch est lié notamment à la crainte de l’épidémie – aussi s’est-il répandu de Montpellier dans tout le Languedoc, en Italie et finalement sur tous les continents.
Jadis, la médecine se montrait impuissante, mais le dispositif religieux fournissait au corps social de quoi résister spirituellement. Notre époque laisse à nu les inquiétudes spirituelles, ignore le sens de la vie et croit pouvoir évacuer l’angoisse de la mort. En revanche, elle trouve secours dans la technique, les mesures sanitaires, la science. Même si certains choix peu­vent être critiqués, les grandes vaccinations ont fait reculer ou disparaître des maladies graves.
Toutefois, ce que nous croyions remisé au passé révolu ne le sera jamais complètement. C’est peut-être une angoisse sourde, atavique, qui se réveille ces temps-ci. Du climat au virus, de l’environnement aux armes, l’humanité redécouvre sa double vulnérabilité à la nature et à sa propre folie. L’inquiétude est de retour. Peut-être Delumeau trouverait-il que nos médias en font trop dans le commerce de l’anxiété. Mais comment en juger, alors que d’un côté l’OMS déclare le risque lié au corona­virus « très élevé » en Chine et « élevé » au niveau mondial, tandis que, de l’autre, le taux de létalité, un peu plus de 2%, paraît plutôt faible ?
Tous Chinois. L’épidémie nous rappelle aussi que l’humanité n’est pas seulement une juxtaposition de nations. Les maux comme les images circulent à grande vitesse. La planète a rétréci. Tout déborde des frontières. On cherche déjà à mesurer l’impact du corona­virus sur le commerce, le tourisme, l’économie mondiale. Il faut apporter des réponses « glocales », locales et mondiales. Il est proprement stupéfiant de voir à quel point ce qui s’est passé sur un marché de Wuhan, au centre de la Chine, affecte instantanément notre quotidien. Les nationalistes de tout poil jouent sur la promesse de nouveaux murs. Mais, pour le meilleur ou pour le pire, nous sommes plus que jamais en lien les uns avec les autres.
Jean-Pierre Denis,
directeur de la rédaction

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