Deux façons de voir le problème de l'islam radicale.
L'analyse de Alexis Brézet pour le Figaro est intéressante et pleine de bon sens. Prendre conscience d'un problème est primordial pour pouvoir y apporter une réponse. Elle est combattue par Laurent Joffrin pour Libération qui semble assez naïf et ne pas admettre simplement et honnêtement des faits qui sont hélas sur notre sol et ne peuvent malheureusement qu'engendrer des craintes pour l'avenir. C'est une attitude totalement irresponsable.
On peut regretter que ces textes n'esquissent aucune ébauche de solutions.
Les textes sont assez longs mais passionnants.
Editorial par Alexis Brézet, directeur des rédactions du Figaro le 7 octobre 2019
Mais comment
est-ce possible ? Comment un terroriste islamiste a-t- il pu se lover
ainsi dans l’appareil d’Etat, au cœur même de la structure policière
précisément censée lutter contre les menées islamistes, pour perpétrer- en
pleine Préfecture de police- le massacre que l’on sait ?
Mais comment
avons-nous pu ignorer, ou négliger, ces signes de radicalisation sans équivoque
dont on découvre a posteriori qu’ils jalonnent le parcours de ce nouveau
converti à l’islam- qui s’était notamment désigné à l’attention de ses
collègues en applaudissant, en 2015, à la tuerie de Charlie Hebdo ?
Mais comment
le ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner, a-t- il pu soutenir
publiquement que cet individu, en relation avec un imam salafiste, et qu’il ne
souhaitait plus avoir de contact avec les femmes, n’avait « jamais
présenté de signe d’alerte ni de difficulté comportementale » ? Lui
a-t- on menti ? Nous a-t- il menti ? Le pouvoir politique a-t- il
fait pression sur l’administration ou la justice, ce qui serait gravissime,
afin de conserver à cet attentat terroriste les apparences d’un tragique fait
divers ?
Depuis le
resurgissement, jeudi, de la barbarie au cœur de nos vies, les mêmes questions
tournent en boucle, qui donnent à ce drame national des allures d’affaire d’Etat.
Ces questions sont absolument légitimes. Le gouvernement, inquiet à juste titre
des conséquences politiques de toute cette affaire, aurait grand tort de n’y
apporter que des réponses lacunaires ou dilatoires. Seule la transparence
totale permettra- peut-être- d’apaiser les inquiétudes que cet invraisemblable
et tragique ratage a suscitées dans l’opinion.
Mais, disons-
le tout net : si l’on devait se contenter de traquer les défaillances du
système sécuritaire, les dysfonctionnements dans la chaîne judiciaire ou les
dissimulations dans les propos de Christophe Castaner, on passerait à n’en pas
douter à côté de l’essentiel, qui tient en peu de mots : si nous n’avons
rien vu venir de ce qui se tramait à la préfecture de police de Paris, c’est
que nous rien voulu voir, c’est que nous sommes en France, collectivement
victimes d’un mal étrange, particulièrement virulents dans les administrations,
les cabinets ministériels et les salles de rédaction, une maladie de l’esprit,
proche de la cécité volontaire, une maladie qu’il faudra bien, si l’on veut la
combattre, se résoudre à appeler par son nom : le dénislamisme.
Le
dénislamisme, c’est cet étrange tour d’esprit qui toujours fait reconnaître un «
déséquilibré » derrière chaque attentat perpétré sur le sol national. Du
bourreau de Sala Halimi, à Belleville en 2017, au réfugié afghan qui a tué un
jeune homme et blessé huit personnes à Villeurbanne cet été, c’est peu ou prou
le même scénario : l’homme qui a porté » des coups de couteau à la
gorge de sa victime » ( le dénislamisme répugne à employer le «
égorgé » est dans un premier temps décrit comme un « déséquilibré »,
un « psychotique » qui a été le jouet d’une « bouffée
délirante », puis, comme tout finit par se savoir, il apparaît que le «
déséquilibré » est aussi un islamiste radical, mais c’est pour ainsi dire
un détail, en tout cas un élément parmi d’autres dont il ne faut pas exagérer l’importance…
Cette fois,
parce que les antécédents islamistes du tueur de la Préfecture de police
étaient vraiment trop lourds, cette « psychiatrisation » du terroriste
n’aura tenu que 24 heures. Il est probable qu’on se serait fort bien accommodé
qu’elle durât davantage…
Et le tout,
avec la meilleure conscience du monde ! Car si le catéchisme dénislamiste
est écrit par une avant-garde militante islamo-gauchiste, en guerre ouverte
contre notre système et notre civilisation, il est pour l’essentiel prêché par
un bas clergé politique et médiatique, soucieux surtout de cultiver sa
supériorité « morale » sur le bon peuple. Quand on lui parle d’islam
politique et de communautarisme islamique, il répète en boucle les mêmes
mantras : « Il ne faut pas inquiéter inutilement les Français »,
« Il ne faut pas jeter de l’huile sur le feu », » Il ne faut
pas soulever un problème contre lequel on ne peut rien et qui, avec le temps,
finira bien par se résoudre » (un problème dont, à vrai dire, nos bons
apôtres souffrent assez peu)…
Bref, dormez
en paix, braves gens ! Et c’est ainsi, de pieux mensonges en demi-vérité,
que la parole publique, sur ce sujet-là comme sur beaucoup d’autres- l’accident
de Rouen, la réforme des retraite-, a perdu le moindre semblant de crédit aux
yeux de la majorité des Français…
Cette chape
de coton, des intellectuels, des journalistes lanceurs d’alerte essaient bien
sûr régulièrement de la lever : Michel Houellebecq, en un roman tristement
prphétique ; Boualem Sansal, qui sait de quoi il parle : il a vécu
sous la menace du GIA ; les anciens de Charlie : Riss, qui dénonce
les « collabos » de l’islam politique, et Zineb El Rhazoui ;
Alain Finkielkraut, bien sûr, qui depuis vingt ans dénonce les effets délétères
d’un antiracisme devenu fou, Kamel Daoud, qui, avec nombre d’écrivains du monde
musulman, pointe courageusement les germes de violence contenus dans l’islam…
mais contre tou ceux-là, et quelques autres encore, la patrouille dénislamiste
exerce une vigilance sans relâche. Un mot de trop, et les voilà convaincus d’ « amalgame »,
coupables de « stigmatisation », pire encore, accusés d’ « islamophobie »,
car, nouveauté au pays de Voltaire, les tribunaux ont désormais mission de
défendre un culte contre le libre exercice critique ( pour les autres
religions, on est plus coulant)…
Mais il y a
plus ! Si le procès en islamophobie ne suffit pas à faire taire l’esprit
rebelle, on lui envoie la bombe atomique : la reductio ad hitlerum, qui
procède d’un syllogisme bien connu : « les musulmans sont les juifs
d’aujourd’hui ;or ceux qui dénoncent l’islamisme s’en prennent aux
musulmans, donc ceux-là sont des nazis ! » Et c’est ainsi que notre
confrère Le Monde a accusé Eric Zemmour- puisqu’il faut bien parler de lui !-
non pas de tenir à la tribune des propos outranciers, provocateurs, voire
ineptes ou honteux- ce qu’après tout chacun a le droit de penser ou d’écrire-,
mais de se rendre complice d’un futur crime contre l’humanité au nom de l’enchaînement :
« Stigmatisation, exclusion, expulsion, extermination » (sic ) !
Ainsi va la logique délirante du dénislamisme : pour ses scribes, Zemmour,
c’est Hitler, mais, dans la vraie vie, ce sont sous les coups des islamistes
que tombent les Français, et tout particulièrement- n’en déplaise à Jacques
Attali, qui considère que l’antisémitisme « n’est pas un problème au
niveau national »- les Français juifs…
Mais combien
de temps encore cet aveuglement idéologique va- t- il durer ? Le
dénislamisme est un piège pour ceux qu’il est censé protéger : à force de
prétendre contre toute évidence que les attentats ne sont en rien le produit d’une
pratique extrême de l’islam, il incite l’idée- évidemment fausse, et dangereuse
– que derrière tout musulman se cache un terroriste en puissance.
Le
dénislamisme, met en danger les Français. Il brouille la perception de la
menace et désarme les esprits. Au moment où la mobilisation devrait être
maximale, il paralyse la lutte contre les infiltrations islamistes de nos
démocraties.
Le
dénislamisme tue. Nous ne gagnerons pas la guerre que nous a déclarée l’islam
radical en continuant de marcher les yeux grands fermés.
Point de vue de LAURENT JOFFRIN Pour le journal Libération
07 octobre 2019 |
La lettre politique
de Laurent Joffrin | |
«Dénislamisme» ?
Encore et encore, le grand air du «déni»… Le Figaro en tête, une partie de la droite impute à un aveuglement général envers le danger islamiste le défaut de vigilance qui a permis à Mickaël Harpon de perpétrer son quadruple assassinat au sein même de la préfecture de police. On a même créé un mot pour résumer la chose : le «dénislamisme». Drôle de thèse, tout de même.
Déni ? Ainsi la police qui passe une grande partie de son temps à tenter de prévenir les attentats et ou à pourchasser leurs auteurs, parce qu’elle a échoué à détecter la radicalisation d’un de ses membres – erreur grave à coup sûr – sous-estimerait du même coup le danger qu’elle côtoie tous les jours.
Déni ? Elle serait donc aveugle, elle qui a souvent payé le prix du sang lors des attaques des fanatiques et qui a fait montre d’un courage éclatant en maintes circonstances.
Déni ? Les gouvernements successifs qui ont renforcé la législation antiterroriste, accru les crédits, augmenté les effectifs, seraient donc inconscients de la menace.
Déni ? Celui de pouvoirs de droite et de gauche qui ont engagé l’armée française dans des terres lointaines pour aider à l’élimination de l’Etat islamique implanté en Syrie et en Irak ? Qui ont envoyé un corps expéditionnaire au Mali pour faire pièce à une offensive islamiste, avec les pertes humaines afférentes et les risques politiques encourus en cas de fiasco toujours possible ?
Déni ? Celui d’une société qui ne cesse de débattre sur les moyens de faire face à cette menace multiforme et qui réagit avec une grande résilience aux attentats ?
Accusation absurde. Elle vise en fait, non une quelconque pusillanimité à lutter contre le terrorisme islamiste, mais le refus d’englober sommairement tous les musulmans dans la mouvance islamiste, quand celle-ci ne touche qu’une minorité. L’extrême droite a même inventé un sarcasme pour discréditer ceux qui veulent distinguer islam et islamisme : ils sont les diffuseurs du «padamalgam», ce sédatif idéologique qui endormirait la conscience publique face à l’islam. On ne saurait être plus clair : si l’on cherche à ridiculiser ceux qui refusent l’amalgame, c’est bien qu’on veut l’imposer dans le débat. Pour ces satiristes agressifs, tous les musulmans seraient donc suspects, sinon coupables. On progresse dans l’analyse…
Alors que pour une grande part, l’essor du jihadisme est aussi – d’abord ? – une guerre civile entre musulmans. Issu du salafisme, doctrine obscurantiste et réactionnaire (elle prône un retour à la lettre de la charia et porte aux nues un soi-disant âge d’or, celui de la conquête musulmane des premiers siècles), le jihadisme s’attaque systématiquement à ceux des musulmans qui pratiquent une religion à ses yeux trop pacifique et trop occidentalisée, avant de tourner ses méthodes barbares contre les démocraties. On rappellera que les victimes du terrorisme planétaire, statistiquement, sont en grande majorité des musulmans.
Profitant d’un terreau favorable dans les quartiers déshérités des pays développés, cette guerre s’est étendue à l’Europe et aux Etats-Unis sous la forme d’attentats meurtriers. Avec une arrière-pensée stratégique : non seulement répandre un climat de terreur, mais aussi provoquer un raidissement des gouvernements attaqués envers les musulmans en général, mettre en place les conditions d’une «guerre des civilisations», espérant ainsi faciliter le recrutement jihadiste parmi des populations mises au ban.
Dans ce cadre, la rhétorique sommaire qui consiste à jeter la suspicion sur l’ensemble de la minorité musulmane devient un auxiliaire du projet jihadiste. Le refus de l’amalgame n’est pas seulement un réflexe moral ou civique : il fournit une pièce essentielle à la lutte contre les terroristes. C’est en séparant la mouvance jihadiste du reste des musulmans qu’on la réduira plus facilement. C’est en dénonçant le salafisme comme doctrine moyenâgeuse et liberticide, en la distinguant du reste de l’islam et en traquant sans faiblesse ses éléments violents (minorité dans la minorité), qu’on en viendra à bout.
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LAURENT JOFFRIN
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