Taxe Gafa: l’Empire contre-attaque
11 mars 2019 à 06h00
Journal l'opinion
Aux Etats-Unis, la communauté des affaires mais aussi plusieurs parlementaires, démocrates et républicains, ont vivement réagi à la taxe française sur les géants du numérique, perçue comme anti-américaine. L’affaire devient politique
Les faits:La taxe française sur les géants du numérique ne rapportera que quelques centaines de millions d’euros cette année, mais pourrait causer des dégâts bien supérieurs dans la relation commerciale franco-américaine. La semaine dernière, des membres influents de la Chambre des représentants, ayant l’oreille de la Maison Blanche, ont demandé à Paris de faire marche arrière, estimant que la taxe défendue par Bruno Le Maire était anti-américaine. Une tension qui risque de compliquer les négociations qui s’ouvrent cette semaine à l’OCDE sur la taxation du numérique, alors que les Etats-Unis se disent désormais ouverts à un accord international.
Il y avait des accents gaulliens dans la bouche de Bruno Le Maire la semaine dernière pour présenter la taxe sur les géants du numérique. « C’est toujours lorsque la France montre sa volonté que les lignes bougent et que les choses avancent », a-t-il déclaré, assurant que « comme par miracle, depuis que la France a annoncé qu’il y aurait une taxation nationale (...), les choses bougent à l’OCDE alors qu’elles étaient encalminées. »
Ce n’est pas tout à fait vrai. Aussi surprenant que cela puisse paraître, c’est surtout depuis l’élection de Donald Trump, pourtant plus connu pour son slogan « America first » que pour son goût du multilatéralisme, que les choses bougent à l’OCDE. Si l’administration Obama était contre toute ouverture sur la taxation des géants numériques, le nouveau président américain se montre plus ouvert que son prédécesseur sur le sujet. A condition que cela se passe dans un cadre multilatéral.
« Un irritant majeur ». La taxe unilatérale des Français n’est donc pas passée inaperçue outre-Atlantique, où les Américains n’ont pas du tout apprécié d’être la cible principale des appétits fiscaux du gouvernement français.
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« Le gouvernement français serait bien avisé de reporter l’adoption unilatérale d’une forme de discrimination aussi claire. Cela créera un nouvel irritant majeur dans une relation bilatérale, qu’il s’agisse de commerce ou d’investissement », a menacé Rufus Yerxa, le président du très influent National foreign trade council (conseil national du commercial international), une organisation séculaire regroupant des centaines d’entreprises exportatrices, quelques heures seulement après l’annonce de Bruno Le Maire. « Au lieu de cela, la France devrait continuer à travailler avec ses fonctionnaires du Trésor selon une approche multilatérale qui établit une structure fiscale équitable pour les entreprises américaines et françaises sur nos deux marchés », a-t-il ajouté, conspuant le « traitement discriminatoire des entreprises américaines du numérique » par les Français.
« La taxation des services numériques par la France menace de saper les discussions internationales au moment où nous travaillons à l’ouverture du commerce et des investissements transatlantiques », a ajouté de son côté l’Internet Association, un puissant lobby outre-Atlantique réunissant entre autres Google, Amazon, Facebook, eBay, Airbnb et TripAdvisor, soutenant les travaux en cours à l’OCDE « pour parvenir à une approche globale de la fiscalité des entreprises multinationales ».
Attaques du Congrès. Le monde des affaires n’est pas le seul à avoir réagi. A la Chambre des représentants aussi, l’initiative française en a irrité plus d’un. Dont la nouvelle présidente du comité commerce international et fiscalité au sein du puissant « Ways and Means Comitee », équivalent de notre commission des finances. « Bien que je pense que le système fiscal américain et étranger doit être mis à jour pour garantir que les entreprises paient leur juste part, cela ne peut être fait en ciblant des industries ou des pays spécifiques », a dénoncé Suzan DelBene, « préoccupée par le fait que la proposition française cible injustement les entreprises américaines et représente un obstacle important au commerce ». Elle « espère que le gouvernement français va reconsidérer ses actions et travailler avec les États-Unis et d’autres pays partageant les mêmes idées pour mettre en place un système juste et transparent. »
Côté républicain, le ton est plus agressif. Darin LaHood, également membre du comité fiscal du Congrès, s’est déclaré « frustré par les nouvelles taxes annoncées sur les services numériques transfrontaliers qui ciblent directement les entreprises de technologie américaines ». « L’UE a pris la décision de ne pas donner suite à une telle proposition en décembre, et j’exhorte vivement la France à reconsidérer » sa position, a-t-il déclaré.
Une agitation politique scrutée de près par la Maison Blanche, qui a dépêché ce lundi à Paris le secrétaire adjoint aux affaires fiscales internationales du Trésor, Chip Harter. Venu pour une importante réunion de travail sur la fiscalité du numérique et l’imposition minimum des sociétés cette semaine à l’OCDE, le monsieur fiscalité internationale de l’administration Trump en profitera pour porter « on the record » quelques messages auprès de la presse française, mardi, à l’ambassade américaine.
Bercy temporise. Mais au ministère des Finances, l’offensive américaine n’impressionne guère. « Que les GAFA agitent quelques parlementaires américains et qu’ils le fassent savoir, c’est leur job. Ce qui compte, c’est la position de l’administration, indique un proche collaborateur de Bruno Le Maire. Le ministre a vu son homologue américain il y a dix jours à Bercy. Steve Mnuchin a très clairement dit qu’il n’était pas en accord avec la taxe française, mais aussi qu’il considérait qu’il y avait un sujet sur le numérique et qu’il fallait le traiter au sein de l’OCDE ». Les Français ne croient pas en des mesures de rétorsion. « La réaction officielle du secrétaire au Trésor n’a pas été de dire “on va vous taxer”. En Grande-Bretagne, Espagne, Italie, Autriche ou Pologne récemment, mais aussi en Inde, Australie ou bien encore Israël… de partout, des taxes nationales émergent sur le numérique. Si les Etats-Unis enclenchent des rétorsions, cela leur fera beaucoup de monde à poursuivre. Les Américains ont plutôt intérêt à accélérer les travaux à l’OCDE ».
Des travaux pour lesquels Bruno Le Maire espère réussir à dégager une position commune au sein de l’Union européenne, pour aboutir à de premiers résultats dès la fin de l’année. Lorsque l’OCDE se sera mise d’accord, la taxe française disparaîtra, a-t-il promis. Était-ce dès lors nécessaire de créer autant de tensions pour une taxe aussi éphémère ?
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