Pourquoi l'heure d'été est mauvaise pour la santé
Les chronobiologistes considèrent que rester toute l'année à l'heure d'hiver serait un bien meilleur choix.
Ce week-end, nos montres seront remises à l'heure d'été. Dans la nuit de samedi à dimanche, l'Europe tout entière va perdre soixante minutes de sommeil (il sera 3 heures à 2 heures du matin), avant de gagner une heure de lumière en fin de journée. Et c'est ce qui plaît aux Français! Alors que la fin de ce changement biannuel est annoncée pour 2021, ils affichent leur préférence pour un calage définitif sur l'heure d'été, synonyme de soirées plus longues. L'option est privilégiée par 59 % des personnes qui ont répondu à la consultation lancée par l'Assemblée nationale en février.
Mais ce choix est-il le meilleur pour notre santé? Non, tranchent les chronobiologistes et médecins spécialistes du sommeil, qui insistent sur l'importance de rester le plus en phase possible avec le soleil. «Comme toute vie sur Terre, nous évoluons sous l'influence du cycle lumière/obscurité sur lequel se synchronise notre horloge biologique interne, explique le Dr Claude Gronfier, neurobiologiste à l'Inserm et vice-président de la Société française de chronobiologie. Toute notre physiologie (nos rythmes, notre sommeil, notre système cardiovasculaire, notre digestion, notre cognition, nos cellules…) est calée sur cette alternance.»
«Shoot lumineux»
Le réglage de notre horloge biologique se fait par exposition à la lumière. Celle-ci est particulièrement importante au réveil, moment où l'organisme réclame un «shoot lumineux» pour démarrer une nouvelle journée. Se lever alors qu'il fait encore nuit, comme c'est souvent le cas en hiver, est plus difficile. Et ce décalage s'accentuerait encore si on adoptait l'heure d'été tout au long de l'année. «En hiver, le lever du soleil deviendrait plus tardif encore, souligne le Dr Gronfier. Dans les villes de France les plus à l'ouest, à Noël, il n'apparaîtrait que vers dix heures du matin…»
La perturbation se ferait aussi sentir le soir par des couchers plus tardifs et des difficultés à s'endormir. «Il n'est pas raisonnable d'aggraver le déficit de sommeil des Français, qui dorment moins de sept heures par nuit», commente le Dr Sylvie Royant-Parola, présidente du Réseau Morphée. Elle ajoute: «Avec sa profusion d'écrans et d'activités, le mode de fonctionnement de notre société nous pousse déjà à aller au lit de plus en plus tard.»
Le décalage vers le soir de notre horloge biologique n'est pas sans conséquence pour la santé. On sait que ce dérèglement cause, chez les travailleurs de nuit, des troubles du sommeil et de la vigilance, eux-mêmes à l'origine d'accidents. Il augmente le risque de syndrome métabolique (des anomalies du tour de taille, de la pression artérielle, des triglycérides, du cholestérol et/ou de la glycémie). Il a des effets sur la santé psychique, les performances cognitives, l'obésité, le diabète de type 2 et les maladies coronariennes.
Et dans la population générale? L'effet est moins connu, mais il est probable, selon le Dr Gronfier. En 2017, des épidémiologistes américains ont comparé les taux de cancers diagnostiqués, sur un même fuseau horaire, chez les personnes vivant dans l'Est, où le soleil se lève jusqu'à une heure plus tôt, et chez celles de l'Ouest. Ils ont observé que le risque varie selon la position des individus sur le fuseau horaire, une moindre lumière du matin étant associée à un plus fort taux de certains cancers. «Plus généralement, ces études retrouvent aussi systématiquement plus d'obésité, de dépression, d'anxiété et de syndromes métaboliques, dont le diabète, dans l'Ouest», indique le neurobiologiste.
Performances à l'école
En cas d'adoption permanente de l'heure d'été, le décalage entre la position du Soleil et l'heure affichée sur nos montres atteindra deux heures (GMT + 2). Certes, une large majorité de la population s'adaptera finalement à la situation et absorbera plus ou moins ce décalage avec l'heure solaire. Mais les adolescents et les «couche-tard, lève-tard», dont l'horloge interne a naturellement tendance à prendre du retard, seront mis en difficulté durablement. On sait en effet, grâce à une étude allemande, que «ces oiseaux de nuit» dorment moins après le passage à l'heure d'été.
Les spécialistes sont formels: l'adoption de l'heure d'hiver, qui constituerait un retour à la situation française entre 1945 et 1976, serait le meilleur choix du point de vue de la santé publique. Le GMT + 1 «améliore la santé psychologique, les performances à l'école et au travail» et «diminue la consommation de tabac et d'alcool », assure ainsi la Société européenne des rythmes biologiques dans un communiqué. De nombreux pays ayant tenté de se caler sur l'heure d'été ont d'ailleurs fait marche arrière, à l'instar de la Russie en 2014 ou de certains États américains.
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