La lettre politique
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Gilets de sauvetage
Les gilets jaunes vont-ils sauver le quinquennat ? Question paradoxale, ironie de l’histoire sociale : les coups portés par les protestataires à la politique gouvernementale pourraient avoir pour résultat… de l’améliorer et de la rendre, par un contrecoup inattendu, moins impopulaire. Contraint de changer sa manière, largement jugée arrogante, le macronisme a dû ravaler sa superbe et adopter une posture plus humble, en organisant un «grand débat», en repartant en campagne, en écoutant un peu plus une opposition jusque-là jugée oiseuse. Aussitôt, les sondages de popularité, en chute libre depuis six mois, se sont légèrement redressés.
Mais il y a plus solide. Avant tout libérale, favorable au business, obsédée de «réformes de structure» qui étaient autant de faveurs dispensées aux classes supérieures, la politique économique du gouvernement Philippe a subi en 2018 un flop retentissant. De 2,3% en 2017, avec inversion de la courbe du chômage à la clé, la croissance est retombée depuis à 1,5%, dixit l’Insee, avec baisse des créations d’emplois et stagnation du nombre de chômeurs à un niveau élevé. Hollande taxé de «fainéantise» avait donc atteint son objectif – trop tard pour pouvoir se représenter. Macron le réformateur vif-argent a vu l’activité s’embourber et les «premiers de cordée» par lui choyés soudain ralentir leur marche. Réfutation spectaculaire du dogme en vigueur dans les hautes sphères, selon lequel c’est en enrichissant les riches qu’on vient au secours des pauvres. Arrive alors, non le «choc de confiance» espéré pour les entreprises, mais un «choc de défiance» dans les classes populaires, dont une fraction rebelle a occupé les ronds-points pendant un mois. Pour juguler ce début d’insurrection, il a fallu lâcher du lest sans trop barguigner, pour apaiser les gilets en colère, retourner sa veste. L’OFCE, institut économique d’orientation keynésienne, a chiffré les effets de ce virage sur l’aile. Il en ressort que, pour la première fois depuis des lustres, le pouvoir d’achat des classes moyennes et modestes va augmenter dans une proportion non négligeable en 2019. On peut en attendre un rebond de la consommation, qui accroîtra les débouchés des entreprises et devrait faciliter l’embauche. Selon le dicton bien connu, la prévision est un art difficile, surtout lorsqu’elle concerne l’avenir. Mais si le scénario se vérifie, le gouvernement pourra se targuer d’avoir soutenu la croissance. Il tirera ainsi un bénéfice du reniement que les gilets jaunes lui ont imposé. A quelque chose, malheur politique est bon… Certes tout cela se paiera d’une remontée du déficit public (un peu au-dessus de 3%), c’est-à-dire d’un endettement maintenu ou augmenté. La relance par le pouvoir d’achat a ses limites, tracées par la faible compétitivité d’une partie de l’appareil productif français et par les déséquilibres financiers massifs qui affectent la planète. Mais on pourra aussi tirer une leçon utile de tête-à-queue macrono-macro-économique : l’amélioration du sort des Français modestes n’est pas forcément nuisible à l’économie. Incroyable. | |
LAURENT JOFFRIN
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