Grand débat: les réponses de l’Opinion
Fiscalité, dépenses, action publique: effacer quarante ans de lâchetés
21 janvier 2019 à 06h00
En matière fiscale, il n’y a pas de contradiction entre justice et efficacité. Encore faut-il accepter les réalités économiques, ne pas céder à la démagogie – sur les dépenses publiques notamment – et accepter de refonder un Etat providence formaté pour une société du siècle dernier.
Comment pourrait-on rendre notre fiscalité plus juste et plus efficace ?
L’impôt poursuit trois finalités : un objectif de rendement budgétaire pour financer les dépenses publiques, la correction des inégalités par la redistribution et l’orientation des comportements par l’incitation (crédit d’impôt pour isoler sa maison par exemple) ou la désincitation fiscale (taxes sur l’alcool, le tabac ou le carbone). « Le problème, estime Daniel Gutmann, professeur de droit fiscal à la Sorbonne, c’est que la question de la justice fiscale est souvent examinée de façon parcellaire. On prend un impôt et on se demande s’il est juste ».
C’est au nom de cette approche que la TVA est souvent jugée comme un prélèvement injuste puisqu’il frappe indifféremment pauvres et riches (ce qui n’est pas tout à fait le cas puisqu’il existe quatre taux de TVA, avec un taux réduit de 5 % sur les produits de première nécessité). La même erreur est commise par ceux qui estiment être les seuls à payer des impôts parce qu’ils payent l’impôt sur le revenu, contrairement une majorité (57 %) de Français.
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« La justice fiscale ne peut s’apprécier qu’en prenant la totalité du système. Notre système est composé d’impôts de rendements payés par tout le monde (TVA, CSG) mais aussi d’autres impôts qui ont une fonction redistributive, comme l’impôt sur le revenu. Si on admet ce principe, le système tel qu’il est conçu n’est pas forcément injuste », résume Daniel Gutmann.
En effet, salariés, indépendants, chômeurs, retraités, titulaires de pensions d’invalidité, de minima sociaux, bénéficiaires de revenus du patrimoine ou de revenus de placements… Tout le monde paye des impôts sur ses revenus en France, par le biais de la CSG. C’est la deuxième ressource de l’Etat (plus de 100 milliards d’euros de recettes attendues en 2019), loin devant l’impôt sur le revenu (70 milliards). Tout le monde paye aussi de l’impôt au travers de la TVA, la première ressource de l’Etat avec près de 130 milliards d’euros de recettes nettes prévues cette année.
L’objectif de « justice fiscale » est en effet assuré par l’impôt sur le revenu, « le transfert le plus redistributif », selon l’Insee. A lui seul, il assure 29 % de la réduction des inégalités de niveau de vie entre Français. Cet impôt ne touche que 4 foyers sur dix, les plus aisés, et est extrêmement progressif. 10 % des Français les plus riches payent 70 % de l’IR (environ 50 milliards). Le pourcent le plus riche en paye un tiers (plus de 20 milliards d’euros).
Des milliards qui permettent, avec les aides sociales, de diviser par quatre les écarts de niveau de vie entre les 10 % les plus riches et les 10 % les plus pauvres. Avant redistribution, cet écart est de 22,4. Après redistribution, il tombe à 5,6. On peut donc en conclure que le système fiscal français est très redistributif.
Est-il pour autant efficace ? Pour le fiscaliste Michel Taly, ancien directeur de la direction de la législation fiscale, « il n’y a aucune contradiction entre justice et efficacité. Quand on croit faire juste mais que c’est inefficace économiquement, c’est que l’on s’est trompé. C’est parce que l’ISF n’a pas une assiette juste que cet impôt est inefficace ». Une position partagée par l’économiste Jean-Marc Daniel, professeur à l’ESCP. « L’impôt le plus efficace c’est celui qui rapporte sans peser sur la croissance, et qui est proportionnel, comme la CSG. Un impôt individuel proportionnel prélevé à la source ». Un impôt à base large et taux bas : la définition d’un bon impôt. Un principe qui est de plus en plus oublié en France.
Quels impôts faut-il à vos yeux baisser en priorité ?
La France étant championne du monde des prélèvements obligatoires, on serait tenté de répondre : «Tous !». Mais puisqu’il faut choisir, priorité devrait être donnée… aux entreprises, seul vecteur pérenne de création d’emplois et d’augmentation du pouvoir d’achat pour les ménages.
Priorité doit être donnée à la baisse des impôts de production : 72 milliards d’euros de prélèvements sur le chiffre d’affaires, le foncier ou divers coûts de production, qui pèsent sur les entreprises avant même que ces dernières ont réalisé leur premier euro de bénéfice. C’est deux fois plus (3 points de PIB) que la moyenne européenne.
Mais pour le président du Cercle des fiscalistes, Philippe Bruneau, «la réponse à la crise des Gilets jaunes ne peut pas être une baisse de la fiscalité des entreprises». Pour lui, «si le Président est cohérent avec lui-même, l’effort doit porter sur la fiscalité du travail». Deux types d’impôts sont dès lors concernés : l’impôt sur le revenu et la CSG. «Il faut donner la priorité à la CSG parce qu’elle touche tout le monde, et revenir sur la hausse de 1,7 % passée l’an dernier», estime Philippe Bruneau. Problème, cela coûterait 25 milliards d’euros. Dans un deuxième temps, une réflexion sur l’IR devrait être menée estime le président du Cercle des fiscalistes, avec une baisse des taux et assiette élargie pour que davantage de Français payent l’impôt.
La retraite est cependant le premier poste de dépense de l’Etat : quand il engage 1 000 euros, il en consacre 268 aux pensions !
Quelles sont les économies qui vous semblent prioritaires à faire ?
La question est clairement posée : «Faut-il selon vous reculer l’âge de la retraite ?». Le gouvernement aurait-il fait volte-face ? Jusqu’alors, Emmanuel Macron a toujours précisé que dans la grande réforme systémique des retraites qu’il entreprend pour la fin du quinquennat, il n’était pas question de revenir sur l’âge légal de départ, qui resterait fixé à 62 ans. La retraite est cependant le premier poste de dépense de l’Etat : quand il engage 1 000 euros, il en consacre 268 aux pensions ! Le gouvernement rappelle aussi que «l’âge moyen de départ est inférieur à celui des autres pays comparables». Il est de plus de 66 ans en Italie, de plus de 65 ans en Allemagne, de 65 ans en Belgique, au Danemark, au Luxembourg, au Royaume-Uni pour les hommes (64 ans pour les femmes), etc. A 62 ans, la France fait figure d’exception, alors même que l’espérance de vie continue de progresser. Alors faut-il mettre fin au tabou de l’âge légal de la retraite à 62 ans ? On imagine mal la population répondre par l’affirmative, et pourtant !
Dans un régime en répartition, il n’y a guère que trois leviers : augmenter les cotisations, baisser les pensions ou reculer l’âge légal. La première solution alourdirait le coût du travail, ce qui n’est pas dans l’air du temps. La deuxième solution est explosive. Enfin, le report de l’âge légal de la retraite serait la solution paradoxalement… la plus acceptable en termes de pouvoir d’achat ! Car si les Français partent plus tard à la retraite, ils cotisent aussi plus longtemps et perçoivent donc une pension améliorée. Le recul de l’âge de la retraite permet aussi de faire des économies rapides sur le budget de l’Etat. La réforme de 2010, qui a porté l’âge légal de 60 à 62 ans, permet d’économiser chaque année une dizaine de milliards d’euros, selon le Conseil d’orientation des retraites (COR)…
Autre mesure salutaire d’économies : aligner les règles des régimes spéciaux de retraite sur celles du régime des salariés. Les réformes engagées depuis 2008, s’appliquent progressivement aux régimes de la SNCF, de la RATP, etc. Mais avec un décalage dans le temps : la réforme de 2010 et le report de deux ans de l’âge de départ à la retraite par exemple ne seront pleinement effectifs qu’en 2024 dans tous les régimes spéciaux… De plus et malgré leur alignement progressif, ils conservent encore des règles avantageuses, qui coûtent cher à l’Etat. Outre cette spécificité, les personnels sédentaires vont partir à 62 ans à la RATP, mais toujours de 57 ans à la SNCF. La grande bascule vers un régime universel voulu par Emmanuel Macron, pourrait permettre de gommer toutes les spécificités quand elles sont injustifiées (toutes ne le sont pas), à condition que le gouvernement parvienne effectivement à la mettre en œuvre. Rien n’est moins sûr.
Les retraites sont le levier le plus puissant, mais il existe d’autres options, comme limiter la précarité des contrats de travail. Le nombre de CDD de moins d’un mois ont explosé ces dernières années. Et ils représentent 2,5 % de l’emploi salarié, contre moins de 1 % dans la zone euro, selon Eurostat (2017). Une particularité qui pèse sur l’assurance chômage, car notre système encourage la permittence, l’alternance entre période de chômage et période d’emploi. Coût de cette précarité : entre 4 et 7 milliards d’euros par an. D’où la promesse d’Emmanuel Macron de mettre en place un bonus-malus des cotisations. Le sujet est au menu de la négociation des partenaires sociaux. Le patronat n’en veut pas, arguant qu’une mesure de ce type freinerait les embauches. Au-delà du seul effet comptable, réduire la précarité du travail serait une façon de répondre au malaise exprimé par les Gilets jaunes.
Faut-il supprimer certains services publics qui seraient dépassés ou trop chers par rapport à leur utilité ? A l’inverse, voyez-vous des besoins nouveaux de services publics et comment les financer ?
L’urgence serait surtout de faire le grand ménage dans les services de l’Etat sur le territoire. Alors que de nombreuses compétences ont été transférées aux collectivités locales depuis le début des années 1980 et que de plus en plus de démarches administratives peuvent se faire par Internet, est-il normal que l’Etat dispose, par exemple, de six services déconcentrés différents pour gérer les questions de logement ? D’autant plus que la politique de l’habitat est largement décentralisée ! « L’État hésite encore entre une déconcentration territoriale reposant sur l’intervention de ses services déconcentrés, et une déconcentration fonctionnelle caractérisée par la création d’agences ou d’opérateurs nationaux toujours plus nombreux », analyse la Cour des comptes. Résultat, rien ou presque ne change et l’État se retrouve à gérer des petits bouts de compétences pour lesquels il n’apporte aucune plus-value par rapport aux départements ou aux régions. Ce qui est vrai pour le logement l’est aussi pour la gestion des routes ou le développement économique des territoires. L’Etat doit accepter d’abandonner certaines missions pour lesquelles il n’apporte aucune plus-value. Le pouvoir central pourra alors se concentrer davantage sur le régalien.
Comment mieux organiser notre pacte social ? Quels objectifs définir en priorité ?
L’égalité et la liberté sont pour Jean-Jacques Rousseau les deux piliers d’un juste contrat social. La passion dévorante des Français pour l’égalité a toujours primé sur les libertés. Résultat : si les écarts de richesse sont restés stables et à un niveau faible en France depuis des décennies, son corollaire – un niveau élevé de prélèvements – est devenu un frein à la liberté, d’entreprendre, de jouir du fruit de son travail. Une dynamique liberticide due à la fiscalité, mais aussi aux nombreuses lois, décrets et normes qui chaque jour viennent rogner un peu les libertés individuelles. Aucune démocratie n’est à l’abri d’un despotisme «doux et prévoyant» expliquait Tocqueville il y a 200 ans. L’égalitarisme a mené notre système à bout de souffle. Pour mieux organiser notre pacte social, réhabilitons les vertus de la liberté (et son corollaire la responsabilité individuelle).
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