Réformes fiscales: «Les classes moyennes supérieures ne doivent pas être les seules à éponger la crise!»
Par Virginie PRADEL
Virginie Pradel est fiscaliste et présidente de l’institut de recherche fiscale et économique Vauban. Elle a publié Impôts-mania (éd. de l’Observatoire, 2019).
Alors que le gouvernement s’est fermement engagé à ne pas augmenter les impôts des Français, les propositions fusent depuis plusieurs semaines pour augmenter ceux des «plus aisés». Richard Ferrand, quatrième personnage de l’État, a lui-même annoncé qu’il n’était pas opposé à l’idée de créer une énième «contribution» pour ces derniers. Cette annonce regrettable, autant que précipitée (elle intervient alors que nous ne sommes pas encore totalement déconfinés), appelle plusieurs remarques.
Le grand retour de la «fiscalité-spectacle» au détriment d’une fiscalité efficace
Il est tout d’abord désespérant de constater l’absence de «sens des priorités» dans un pays confronté à une crise sans précédent. Avant comme après celle-ci, de nombreux experts et politiques restent obnubilés par la taxation des «plus aisés», ce qui s’avère aberrant au regard des recettes fiscales escomptées et du risque d’exil fiscal associé. Mais on le sait, le débat fiscal français se nourrit plus d’irrationnel que de rationnel, de dogmatisme que de pragmatisme. Il est davantage dominé par l’égalitarisme et l’anticapitalisme, que par la quête de bon sens et de performance. Taxer les «plus aisés» qui, pour rappel, constituent une «catégorie fiscale non définie» (et donc potentiellement très large!) est une véritable lubie depuis plusieurs décennies: ISF, taxe à 75 %, contribution exceptionnelle sur la fortune, contribution exceptionnelle sur les hauts revenus, taxes sur les grosses cylindrées, taxes sur les yachts, et peut-être bientôt une contribution exceptionnelle Covid-19… Cette succession de mesures fiscales ostentatoires relève davantage d’une «fiscalité-spectacle» que d’une fiscalité efficace. Sa finalité est moins la réalisation d’objectifs budgétaires que l’affirmation d’options idéologiques funestes. Elle ne répond qu’à un seul mot d’ordre: faire sensation, quel que soit le degré de pertinence et de nuisance des annonces! Or les classes moyennes supérieures n’ont pas vocation à être les vaches à lait du monde d’après la crise
Les « plus aisés » sont déjà très lourdement taxés !
Il va sans dire que l’annonce par le président de l’Assemblée nationale d’une potentielle nouvelle contribution (donc d’un impôt) sur les «plus aisés» se révèle on ne peut plus nuisible. A fortiori au regard du climat fiscal actuel, de notre impérieux besoin d’investissements et du fait que les «plus aisés» sont déjà lourdement taxés. Rappelons en effet que, contrairement aux fantasmes souvent véhiculés, la France est déjà l’un des pays taxant le plus le capital et les hauts revenus au sein de l’UE. Selon l’OCDE, la part de la fiscalité du capital a représenté près de 9 % des recettes fiscales globales en 2018, contre à peine 1 % en Autriche et 2 % en Allemagne et en Suède, pays qui ne sont pourtant pas connus pour être des paradis fiscaux. Toujours selon l’OCDE, la France est également l’un des pays de l’UE ayant le taux d’imposition marginal (ou maximal) sur les revenus du travail les plus élevés: près de 56 % contre seulement 47 % en Allemagne et au Royaume-Uni, 43 % en Espagne et même 33 % en Hongrie. Peut-on encore se permettre de creuser l’écart avec nos voisins européens qui seront ravis (concurrence fiscale oblige!) d’accueillir nos contribuables les «plus aisés», chassés inlassablement en France comme du gibier dans une forêt? Avec la quasi-suppression en 2018 de notre taxe anti-exil fiscal («exit tax»), qui peut s’analyser comme une suppression de nos «frontières fiscales», la porte de sortie est désormais grande ouverte et «détaxée» pour les «plus aisés»! Aussi, persévérer à faire de la France un «enfer fiscal européen» pour ces derniers n’est-elle pas une idée très avisée…
La priorité: baisser la fiscalité pesant sur les entreprises pour réindustrialiser la France
L’obsession française pour la taxation des «plus aisés» et des entreprises est d’autant plus délétère qu’elle nous empêche d’aborder les véritables priorités fiscales auxquelles la France se trouve aujourd’hui confrontée: la crise du Covid-19 a mis en lumière les conséquences économiques et sanitaires désastreuses de la désindustrialisation française. Or, l’un des facteurs de celle-ci est assurément la taxation rédhibitoire de nos industriels plombés, entre autres choses, par une ribambelle de taxes sur la production. Dans ces circonstances, il pourrait être judicieux que nous nous focalisions (enfin!) sur la baisse de la fiscalité pesant sur nos industriels, laquelle recouvre des enjeux économiques et sociaux sans commune mesure avec ceux, purement idéologiques et politiques, de la hausse de la fiscalité des «plus aisés».
La France se distingue impose un taux de 60% de leur bénéfice brut aux petites et moyennes entreprises.
Plus généralement, une baisse des charges fiscales et sociales pesant sur les petites et moyennes entreprises s’impose pour relancer l’activité économique française. Le dernier rapport «Doing Business» de la Banque mondiale a une nouvelle fois mis en évidence le calvaire fiscal et social qu’elles subissent. Classée 61e, entre la Russie, le Botswana et le Kazakhstan, la France se distingue tout particulièrement par le taux moyen d’imposition global exorbitant qu’elle impose à ces dernières: plus de 60 % de leur bénéfice brut, contre seulement 30 % au Royaume-Uni, 26 % en Irlande et 23 % au Danemark. Comment peut-on espérer sortir la France du marasme économique et social dans lequel elle s’est enlisée avec un taux global d’imposition aussi élevé?
Un grand ménage des «niches» TVA coûteuses et inefficaces s’impose
Plutôt que nous focaliser encore et toujours sur le capital et les revenus des «plus aisés» pour remédier à la disette française, nous serions bien inspirés de nous pencher sur d’autres recettes fiscales potentielles. Que l’on songe par exemple à celles de la TVA. Cet impôt s’est transformé en véritable «gruyère» au cours des dernières années. À tel point d’ailleurs que la France est l’un des États de l’UE dont la part de TVA dans les recettes globales est la plus faible (15 % contre plus de 20 % en moyenne dans l’UE et 25 % dans les pays de l’Est selon l’OCDE). Selon un rapport du Conseil des prélèvements obligatoires de 2015, le potentiel de rendement de la TVA reste très insuffisamment exploité en raison de la prolifération de nombreuses «niches» (près de 150 ont été recensées), représentant un coût total annuel de près de 50 milliards d’euros. À ce montant s’ajoute celui de la fraude fiscale, estimé à au moins 10 milliards d’euros. Il n’est bien entendu pas question de toucher au taux réduit de TVA sur les produits de première nécessité (il serait même souhaitable d’abaisser ce dernier et de l’étendre à davantage de produits et services). Il est seulement proposé de reconsidérer certaines «niches» jugées inefficaces, sans que cela n’impacte les contribuables modestes ou n’obère la reprise économique française. Cela pourrait nous permettre de financer la baisse impérieuse des impôts grevant aujourd’hui lourdement l’industrie et l’emploi.
D’autres réformes fiscales sont également envisageables. Quoi qu’il en soit, il est urgent de cesser d’entretenir l’idée que l’on pourrait régler tous les maux de notre société par le biais d’une surtaxation des «plus aisés». La France n’est pas un îlot coupé du monde qui peut se permettre de faire fi de ce qui se passe à l’étranger. Confrontée à une concurrence fiscale européenne, et même mondiale, sans état d’âme, elle ne peut plus se permettre de renforcer la fiscalité sur les «plus aisés» qui sont aussi les plus mobiles et donc les plus susceptibles de décamper!