mardi 14 décembre 2021

CORONAVIRUS : NOSTRADAM, LES EPIDEMIES ET NOUS

 


Coronavirus : Nostradamus, les épidémies et nous

Pascal-Henri Poiget publie une version moderne des « Prophéties ». La « peste » y est omniprésente mais attention aux interprétations hâtives, prévient l'auteur. 

Portrait de Nostradamus.
Portrait de Nostradamus.© leemage via AFP
Par Nicolas Bastuck

Une succession de guerres et de massacres, d'inondations et d'incendies, de périls et de cataclysmes. Et la peste, omniprésente dans les 2 568 vers qui composent Les Prophéties. Ainsi, au quatrain 84 de la centurie 3 : « La grande cité sera bien désolée / Des habitants un seul n'y demeurera / Mur, sexe temple, et vierge violée / Par fer, feu, peste, canon peuple mourra. » Ou au 53, que bon nombre d'exégètes relient aujourd'hui au Covid-19 : « La grande peste de cité maritime / Ne cessera que mort ne soit vengée / Du juste sang par pris damne sans crime / De la grand dame par feinte n'outragée. » Un petit dernier ? Centurie 7, quatrain 6 : « Naples, Palerme, et toute la Sicile / Par main barbare sera inhabitée / Corse, Salerne et de Sardaigne l'île / Faim peste, guerre fin de maux intentée. »
Nostradamus ou la promesse du malheur. Du sang, des larmes, la mort qui rôde… « La lecture des Prophéties est assez terrifiante, il faut avoir le moral, surtout en ces temps incertains », admet Pascal-Henri Poiget, qui propose – aux éditions AlterPublishing –, alors que le monde se calfeutre,
une nouvelle version du fac-similé de l'édition originelle (1557). « Les épidémies – dont la "peste" semble être le terme générique – font partie des grands sujets du livre, avec les guerres et la famine. Il est vrai que Nostradamus a côtoyé la maladie de près, y compris dans sa propre famille », rappelle l'auteur.

Savant réputé, le médecin de Saint-Rémy avait été appelé à la rescousse en 1546 – soit onze ans avant la publication de ses Prophéties – pour soigner les pestiférés de la ville d'Aix, avec lesquels il n'a pas hésité à s'enfermer à l'hôpital pour étudier leur mal et mettre au point quelques remèdes. « Il décrit avec une précision chirurgicale les symptômes et les effets du mal. Nostradamus était loin d'être un charlatan. Cet esprit éclairé, fin lettré, était d'abord un scientifique reconnu. L'un des rares, dans sa corporation, à pouvoir proposer des solutions pour vaincre l'infection, en tout cas soulager les malades. »

« Aucun essai, aucune interprétation n'en remplacent la lecture »

Traducteur scrupuleux de ce texte difficile, mélange d'ancien français, de latin et d'occitan, Pascal-Henri Poiget se garde bien d'en faire l'exégèse. D'autres, avant lui, s'en sont chargés et s'en chargeront encore ! Les Prophéties nous sont parvenues grâce à des centaines d'éditions. La complexité de la langue de Nostradamus a conduit à toutes sortes de traductions, sans compter les interprétations plus ou moins hasardeuses, plus ou moins inspirées, qui en ont été tirées. Pour éviter de se laisser embarquer dans des « fake news » angoissantes, et pour bien comprendre les prédictions de l'auteur, le mieux est encore de revenir au texte authentique. « Aucun essai, aucune interprétation n'en remplacent la lecture », insiste cet amoureux de Chateaubriand, diplômé de lettres classiques et de l'Essec, consultant en ressources humaines le jour, écrivain la nuit.

Relier certains quatrains aux événements actuels relève, selon Pascal-Henri Poiget, de « l'interprétation pure ». « On peut toujours associer ces strophes poétiques à des prédictions annonciatrices du Covid… Ni plus ni moins, cependant, que le choléra, la grippe espagnole ou d'autres pandémies, passées ou à venir », estime-t-il. « Rien n'est daté et, si des pays et des villes d'Europe sont dûment mentionnés, tout est suffisamment ouvert pour laisser libre cours à la créativité des interprètes – il n'en manque pas », s'amuse l'auteur de cette traduction moderne, qui se définit plutôt comme un « retranscripteur ». « Ma démarche vise à mettre le texte originel à la disposition du lecteur contemporain, en respectant le plus possible le fond et la forme de l'œuvre. Ce qui me touche, chez Nostradamus, c'est la force poétique et la beauté littéraire de ses écrits. Ils s'inscrivent dans quelque chose de prophétique, mais j'y vois d'abord une chanson de geste. La langue est magnifique ; précis et rythmés, les quatrains sont extrêmement bien construits. Ils recèlent d'images et constituent de véritables énigmes. C'est assez fascinant. »

« Trompettes »

Les savants de l'époque avaient une approche beaucoup moins cartésienne qu'aujourd'hui. Médecin et apothicaire, Nostradamus était aussi poète et alchimiste. « Un esprit complet », résume Pascal-Henri Poiget. Vilipendé par l'académie, le médecin de Saint-Rémy craignait de faire l'objet d'un procès en sorcellerie et de finir au bûcher. « On sent chez lui une conscience, l'intention très forte de transmettre sa vision du monde aux générations futures et, en même temps, la volonté de ne pas apparaître comme un charlatan qui se contenterait de rapporter ses hallucinations. C'est pourquoi chaque vers est codé, inaccessible au commun des mortels. On n'est pas dans l'allégorie pure. Ses visions sont précises, ses centuries truffées de personnages et de localisations susceptibles d'être rattachées à des situations très concrètes ; mais rien n'est daté et les actions sont suffisamment énigmatiques pour pouvoir s'appliquer à n'importe quelle période, se prêter à quantité d'interprétations », se passionne Pascal-Henri Poiget.

Ainsi, il est souvent question de « trompettes », à un moment des Prophéties. La créativité des exégètes semblant ne connaître aucune limite, certains ont, aussitôt, fait le parallèle avec… Trump à l'ère du Covid-19 ! Pascal-Henri Poiget les écoute « avec intérêt, amusement et circonspection  ». « Avec Les Prophéties, le champ des possibles est infini. Cette intemporalité et cette modernité font la force du livre. La peste que Nostradamus décrit peut être rapportée à ce que nous vivons et ce que d'autres, avant nous, ont connu. Les événements qu'il annonce entrent en effet en résonance avec l'actualité mais ça dure depuis des siècles ! Avec ses écrits, on touche à l'universel. »

Ce n'est pas pour rien si le succès de Nostradamus ne s'est jamais démenti, depuis 500 ans. « Les Prophéties font partie des titres les plus vendus, depuis la guerre du Golfe », rappelle Pascal-Henri Poiget Que peut-il nous apprendre encore ? « Paradoxalement, à espérer », indique son traducteur. « Nostradamus n'est pas complètement noir, il nous livre aussi un message d'espoir. Si on le lit bien, on comprend qu'à la fin, ça va s'arrêter. Qu'on parviendra à surmonter le malheur, qu'on finira par s'en sortir. »

Ouf, on respire !

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