Les premiers chapitres du livre de la Genèse relatent que Dieu, excédé par la vilenie de l’humanité, décida de détruire ce qu’il avait créé. Seuls Noé et sa famille en réchapperaient. Dieu ordonna à son fidèle serviteur de construire une arche en bois et d’y faire entrer un couple de chaque espèce d’animaux. Après quarante jours et quarante nuits de Déluge, puis cent cinquante jours d’errance, les eaux se retirèrent et l’arche vint se poser « sur les monts Ararat ». Les passagers de l’arche repeuplèrent le monde.

Depuis des siècles, ce volcan auquel a été donné le nom d’Ararat est considéré comme le lieu où s’échoua l’arche de Noé. On a cherché plus particulièrement les traces de l’embarcation sur les glaciers proches du sommet, où des bois si anciens pouvaientavoir été conservés. On a identifié des formes évoquant un bateau, notamment « l’anomalie de l’Ararat », à 2,2 kilomètres à l’ouest du sommet, photographiée à maintes reprises depuis des avions, puis des satellites, depuis 1949. Aucun indice valable n’a été découvert au sol. En 2007, une mission d’exploration chrétienne évangélique affirma avoir découvert des bois fossilisés dans des cavités glaciaires sur les flancs de l’Ararat. Elle n’a guère convaincu. Les uns ont crié à la supercherie, les autres ont parlé de formations rocheuses ou glaciaires.

Ces spéculations n’enlèvent rien au caractère sacré du mont Ararat, que les Arméniens vénèrent par-dessus tout. Bien que ces derniers aient été les premiers à adopter le christianisme comme religion nationale, en 301, le mont Ararat demeure pour eux la demeure d’Ara, divinité suprême de leur panthéon préchrétien. Jadis, la montagne était comprise dans les frontières de la Grande Arménie. En 1921, elle fut incorporée à la Turquie ; son sommet s’élevait désormais à 32 kilomètres de la frontière. Toujours visible d’Erevan, la capitale arménienne, mais inaccessible, le mont Ararat en vint, pour les Arméniens, à symboliser le sort tragique de leur nation, victime, entre 1915 et 1923, des déportations et des massacres perpétrés par la Turquie ottomane. L’accès au volcan sacré demeura interdit jusqu’en 1990, pour des raisons stratégiques, la république d’Arménie étant sous domination soviétique ; il reste restreint. Les Arméniens n’en sont que plus attachés à cette montagne : elle figure sur le blason national, sur les billets de banque et les timbres, et peintures, poèmes et chansons la célèbrent.

Une des meilleures vues sur le sommet double s’offre depuis le monastère de Khor Virap, édifié sur une colline d’Artachat, ancienne capitale de l’Arménie. Les origines du complexe monastique, rattaché à l’Église apostolique arménienne, remontent au VIIe siècle : il fut bâti à l’endroit où saint Grégoire l’Illuminateur, saint patron du pays, fut emprisonné pendant treize ans. En ce lieu, l’histoire biblique se mêle intimement avec celle des chrétiens d’Arménie et de la nation arménienne. Mais quel que soit le prisme à travers lequel on le regarde, le mont Ararat, de l’autre côté de la frontière, impose sa majesté.