jeudi 3 mars 2022

UKRAINE: BRUITS DE TAMBOURS ET BRUITS DE BOTTES

 

Ukraine: Bruits de tambours et bruits de bottes

Par Jean-Paul Brighelli 

Il est fort étrange que face à un conflit, notre premier réflexe soit de prendre parti — ceux-ci sont les bons, ceux-là sont les méchants. Et si tous les conflits — et le dernier en date en est l’illustration parfaite — étaient à torts partagés ?

C’est entendu,

« Depuis six mille ans la guerre
Plaît aux peuples querelleurs,
Et Dieu perd son temps à faire
Les étoiles et les fleurs.
Les carnages, les victoires,
Voilà notre grand amour ;
Et les multitudes noire
Ont pour grelot le tambour.
La gloire, sous ses chimères
Et sous ses chars triomphants,
Met toutes les pauvres mères
Et tous les petits enfants… »

C’est dans les Chansons des rues et des bois, publiées par Hugo en 1865.

Donc, la Russie attaque l’Ukraine. C’est très mal. Un vieux réflexe nous fait croire que l’attaquant (rebaptisé « agresseur ») a toujours tort : cela remonte à l’époque où la République en danger était envahie à l’Est par des armées coalisées. Mais la vérité, c’est qu’au final celui qui a tort est celui qui perd, tant il est évident que, comme le claironnait Clausewitz, la guerre est une façon de continuer à faire de la politique par d’autres moyens.

Et à ce stade, il n’est pas évident de savoir qui perdra. La Russie l’emportera nécessairement au niveau militaire — mais les guerres ne se jouent pas uniquement sur les champs de bataille. L’Europe et les États-Unis prétendront avoir gagné, en soumettant les Russes au régime sec. Les Ukrainiens seuls seront les dindons de la farce, amputés de deux ou trois provinces qui, à la vérité, n’ont jamais été ukrainiennes : il est intéressant de voir les Occidentaux défendre bec et ongles des donations territoriales opérées par Lénine et ses successeurs. À strictement parler, l’Ukraine n’a jamais été qu’une principauté autour de Kiev. 

Sans compter qu’un pays sur lequel ont déferlé des armées met un certain temps à s’en remettre, et les promesses faites aujourd’hui n’engagent que les Ukrainiens qui y croient.

Ceux qui hier préconisaient d’attaquer la Serbie, allié historique de la France, parce que les Allemands désiraient renouer avec les gentils Oustachis, et pour permettre, à terme, tous les trafics d’armes, d’organes et d’hommes à partir de la Bosnie… Ou qui ont voulu attaquer la Libye, pour qu’un flot de jouets guerriers tombe entre les mains des islamistes africains… Ceux-là ont bonne mine à se draper dans les grands principes. Il en est qui demandent que Sarkozy soit le médiateur de la France dans le conflit russo-ukrainien. Ils ne manquent pas de culot, mais ils manquent de mémoire : n’est-ce pas le petit Nicolas qui nous a réalignés sur les ambitions américaines via l’OTAN, et a déstabilisé l’Afrique et une partie du Proche-Orient avec l’aventure libyenne ?

Cela fait plus de vingt ans que la CIA pousse à l’Est, en alignant sur l’OTAN les anciens pays du bloc communiste. En soi, c’est de bonne -guerre — parce que la guerre froide n’a jamais cessé. Les accords de 1991, qui stipulaient que l’on conserverait un glacis de pays neutres autour de la Russie, ont été violés avec bonne conscience, parce que tous les accords sont passés pour être violés. On a titillé Poutine durant tout ce temps, humilié les Russes, qui ont une longue mémoire : contrairement à nous, ils ont maintenu un enseignement de l’Histoire très complet. Ils se rappellent fort bien que les Ukrainiens furent volontiers les supplétifs des nazis, par exemple au sein de la division SS Galicie — et ils savent que les fascistes pullulent toujours en Ukraine, y compris au sein du gouvernement du fantoche et fantasque Zelensky. Faut-il rappeler que la « révolution de Maidan » fut un coup d’Etat perpétré par les services secrets américains s’appuyant sur des groupes néo-nazis style Azov, qui ont renversé un gouvernement tout aussi démocratiquement élu que les précédents et les suivants ?

D’aucuns concluent que Poutine est paranoïaque. Il a simplement une rationalité légèrement différente de la nôtre. Personne n’aime se sentir acculé.

À noter que l’Europe, qui se grise de sanctions, est en mauvaise posture. Le système bancaire international est intégré, les pétroliers profitent du bruit des tanks pour augmenter les tarifs sur des stocks constitués depuis des mois, et les Allemands, convaincus que plus c’est vert et meilleur c’est, ont renoncé à l’énergie atomique pour se fournir en gaz chez les Russes — bien conseillés par l’ancien chancelier Schroeder, qui en son temps avait initié cette dénucléarisation de son pays.

Pendant ce temps, l’Inde et la Chine refusent de condamner l’attaque russe au Conseil de sécurité de l’ONU. Cela nous promet des lendemains intéressants, quand la Russie, que nous aurions pu attirer à nous avec une politique moins arrogante, se tournera vers ses voisins de l’Est et fera cause commune avec Xi Jinping et les élus indiens du Bharatiya Janata Party, nationaliste jusqu’au bout des ongles. Presque trois milliards d’hommes face aux 447 millions de l’Union européenne et aux 330 millions d’Américains, qui, rappelons-le, tremblent les uns et les autres comme des feuilles depuis deux ans à cause d’une mauvaise grippe. Les médias n’ont plus le Covid à se mettre sous la dent, ils ont donc choisi d’en rajouter sur la guerre. Alors faisons la part, déjà, du spectacle qui prétend être une politique.

Les Chinois regardent et attendent. Ils ont tout le temps avant de se lancer à la reconquête de Taïwan, qui va infailliblement suivre. Ils regardent qui a envie de mourir pour l’Ukraine, dans les populations occidentales (demandez donc aux jeunes de la « génération Z » ce qu’ils en pensent). Ils en déduisent à juste titre que personne n’ira mourir pour Formose, comme on disait jadis, même si c’est une zone d’intérêts américains.

C’est une règle de cour de récréation — et je ne vois pas que le gouvernement des hommes soit très différent : à force de provocations, on finit par se prendre une mandale. Bien sûr, on punit celui qui a frappé — mais en attendant, le vrai coupable est chez le dentiste. Joe Biden, dont le fils a des intérêts en Ukraine, veut jouer avec le feu pour faire oublier sa déroute afghane. C’est dangereux, le jeu avec le feu. Et les Européens doivent se souvenir que depuis Obama, l’Europe est le cadet des soucis de l’Amérique.

Alors, retour à Hugo, en attendant que la situation s’éclaircisse :

« On pourrait boire aux fontaines,
Prier dans l’ombre à genoux,
Aimer, songer sous les chênes ;
Tuer son frère est plus doux.
On se hache, on se harponne,
On court par monts et par vaux ;
L’épouvante se cramponne
Du poing aux crins des chevaux.
Et l’aube est là sur la plaine !
Oh ! j’admire, en vérité,
Qu’on puisse avoir de la haine
Quand l’alouette a chanté. »

PS. J’adore les réactions des uns et des autres. Pornhub suspend sa diffusion en Russie ! Et le pays est exclu de l’Eurovision ! Sûr que Poutine va prendre peur.
Ce qui est franchement dégueulasse, en revanche, c’est la décision d’exclure les sportifs de toutes compétitions, et les chanteurs lyriques de toutes les scènes. Voilà des gens qui ont bossé dur pour atteindre l’excellence, et qui se retrouvent mis au ban d’un monde qui se fabrique une virginité sur leur dos. Et puis, exclure les patineuses russes (« Oui, mais elles sont dopées », disent les imbéciles qui ne connaissent rien à ce sport) donnera l’occasion aux laissées pour compte du monde entier de monter enfin sur le podium, n’est-ce pas… Même effet si les instances du tennis finissent par interdire Medvedev, le numéro 1 mondial — comme les Australiens ont exclu le Serbe Djokovic de leur tournoi. On s’assoit ainsi sur la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948. Bravo. Ce monde est vraiment fêlé.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire