jeudi 17 février 2022

LES PRESIDENTIELLES, QUEL ROMAN

 





Campagnes présidentielles

De rebondissement en rebondissement, la fin des partis


Scrutin phare de la Ve République, l’élection au suffrage universel du président de la République témoigne des évolutions politiques du pays. À commencer par la chute de la participation, fluctuante selon les enjeux et la personnalité des candidats, mais globalement réelle. C’est en 1974, lors du duel serré entre Mitterrand et Giscard d’Estaing que la mobilisation des citoyens a été la plus forte (87% des inscrits au deuxième tour) pour tomber à 74,5% en 2017.

L’effacement du Parti communiste peut se lire aussi à l’occasion des présidentielles. Si son déclin a commencé à la fin des années 1950, il fera encore illusion en 1969 en obtenant son meilleur score (21%) profitant de la faiblesse des socialistes mais il ne présentera pas systématiquement un candidat à chaque compétition élyséenne, s’enfonçant jusqu’à 1,9% en 2007.

En revanche, les écologistes, représentés depuis 1981, sauf en 2017, constituent une force qui ne parvient pas à percer au niveau national puisqu’ils n’ont jamais dépassé 5% alors que leurs thèses environnementales infusent dans le pays.

L’extrême-droite, inexistante pendant près de trente ans, a commencé à émerger en 1988, incarnée par Jean-Marie Le Pen (14,4%) avant qu’elle ne crée la surprise en se qualifiant pour le second tour en 2002 ; elle s’est enracinée dans le paysage politique au point d’être à nouveau au second tour en 2017 avec Marine Le Pen. Elle a conquis les classes populaires qui soutenaient majoritairement les partis de gauche et qui ne se sont pas réfugiées dans l’abstention.

Au-delà des rebondissements inhérents à chaque campagne, au fil de ces élections se manifeste le lent déclin des partis de gouvernement (gaulliste et centriste à droite, PS et PC à gauche) à des rythmes différents, mais dont on peut dater la première manifestation en 1988 (irruption de Le Pen, et PC à 6,8%).

Ces partis présentent depuis 2007 des candidatures d’une stature inférieure à celles des présidents qui ont dirigé le pays jusque-là. Ils sont aussi de plus en plus concurrencés par des forces politiques nouvelles portées par internet et les nouveaux médias. Cette tendance mortifère a atteint son paroxysme avec leur incapacité à se qualifier pour le deuxième tour en 2017. L’Histoire se répètera-t-elle en 2022 ?

1965 : la statue du Commandeur ébréchée

En 1965, la première élection du chef de l’État au suffrage universel incluant hommes et femmes est marquée par deux épisodes majeurs. D’abord, la découverte du pluralisme à la télévision. Contrôlée d’une main de fer par le gouvernement, l’ORTF (radio-télévision publique) est contrainte de faire de la place aux candidats de l’opposition, notamment Jean Lecanuet (MRP, centre), François Mitterrand (gauche) et Jean-Louis Tixier-Vignancour (extrême-droite) que découvrent les Français.

Ensuite se produit un coup de théâtre : le président sortant Charles de Gaulle, que l’on pensait intouchable est mis en ballottage par François Mitterrand et doit se dévoiler un peu plus à la télévision à son grand regret : « C’est cela que vous escomptez, que de Gaulle se mette en pyjama ? », s’insurge-t-il avant d’être finalement élu avec 55,2% des voix. Il s’agit d’un coup de semonce pour le chef de l’État après sept ans d’exercice du pouvoir : les Français ne sont plus rassemblés autour de la statue du Commandeur.

1969 : le PC à son zénith

En 1969, après la démission du général de Gaulle consécutive à son échec au référendum sur la régionalisation et la réforme du Sénat, intervient la première élection organisée par un pouvoir intérimaire incarné par Alain Poher, président du Sénat, et qui sera lui-même candidat contre Georges Pompidou.

Cas de figure original, ils sont tous deux favoris bien qu’issus du même camp, ce qui ne les empêche pas de se livrer un combat acharné. Mais l’événement de ce scrutin, c’est le score inattendu du communiste Jacques Duclos au premier tour : 21%. Le PC n’obtiendra plus jamais un tel résultat dans une présidentielle. Les socialistes (SFIO) sont représentés par le maire de Marseille Gaston Deferre, candidat par défaut. Au second tour qui met aux prises Pompidou et Poher, les communistes refusent de choisir et inventent la formule qui deviendra célèbre : « bonnet blanc et blanc bonnet »Pompidou est élu sans grand suspense (57,6%).

1974 : de nouvelles têtes

L’élection de 1974 est dominée par la bataille Mitterrand-Giscard d’Estaing. Le premier, à force de ténacité, a réussi à réunir la gauche non communiste au sein d'un Parti socialiste, héritier de la SFIO disqualifiée par son rôle dans la guerre d'Algérie. Le second, ministre rebelle des précédents présidents, se présente comme un candidat de centre-droit (Républicains indépendants). Il réussit à marginaliser le candidat gaulliste Jacques Chaban-Delmas grâce au ralliement de Jacques Chirac. Il l'emporte de justesse au second tour avec 50,8% des suffrages.

De nouvelles têtes apparaissent aussi aux extrêmes. Elles vont marquer durablement le paysage politique. Pour la première fois, un candidat écologiste, René Dumont ingénieur agronome, tire le signal d’alarme sur l’état et l’avenir de la planète. Il n’obtient que 1,3%. Mais il s’avère un précurseur car un candidat écologiste participera ensuite à chaque présidentielle.  Autre figure inédite, Arlette Laguiller (Lutte ouvrière). Avec son célèbre « Travailleuses, travailleurs », elle fait entendre avec ténacité le message de l’extrême-gauche puisqu’elle concourra à l’Élysée cinq autres fois jusqu’en 2007. Elle est la première femme à se présenter à la magistrature suprême (2,3%). À l’autre bout de l’échiquier politique, une personnalité appelée à un avenir inattendu fait entendre une partition totalement opposée : Jean-Marie Le Pen, président du Front national. Avec son score dérisoire de 0,74%, on ne prête alors guère attention à lui.

1981 : alternance et coups fourrés.

Coluche en campagne, automne 1980.C’est une date majeure dans l’histoire de la Vème République. Après 23 ans de règne, la droite laisse la place à la gauche incarnée par François Mitterrand qui prend sa revanche sur Giscard avec 51,76% des voix. Pour le « peuple de gauche », l’immense espérance qui se lève sera déçue deux ans plus tard avec le « tournant de la rigueur ».

Rien n'était gagné pourtant à l'automne précédent. Le président sortant faisait figure de grand favori au point que l'humoriste Coluche, qui avait le coeur à gauche, se dit que, perdu pour perdu, autant mettre les pieds dans le plat. Il se porte lui-même candidat pour finalement renoncer le 16 mars 1981, cinq semaines avant le premier tour de l'élection. 

Cette élection est aussi marquée en coulisses par des « petits meurtres entre (faux) amis ». Les battus du premier tour, Jacques Chirac (RPR) et Georges Marchais (PC) s’efforcent de faire échouer les candidats de leur camp respectif, en faisant passer des consignes discrètes de voter pour Mitterrand (Chirac) ou de ne pas se désister pour lui (Marchais) contrairement à leurs déclarations publiques. Mais le PS et le PC apparaissent comme des partis de gouvernement assurant une alternance qui durera jusqu’en 2017.  

1988 : duel au sommet de l’État

Cette élection intervient au terme de la première cohabitation qui a vu Jacques Chirac être nommé à Matignon après la victoire de la droite aux législatives de 1986.  Pendant deux ans, Mitterrand a été à la fois chef de l’État et premier opposant. Une position embarrassante pour son Premier ministre et adversaire lors de la présidentielle. C’est une partie tactique qui s’engage entre les deux hommes dans ce duel inédit qui met aux prises les deux têtes de l’exécutif : Chirac annonce le premier sa candidature le 16 janvier.

Mitterrand fait durer le faux suspense jusqu’au 22 mars tout en se préparant dans le plus grand secret. Avec placidité et sur le ton de l’évidence, il joue la carte de la « France unie » quand Chirac tente des coups d’éclat entre les deux tours en obtenant la libération de trois otages français au Liban et en faisant donner l’assaut de la grotte d’Ouvéa en Nouvelle-Calédonie au prix de 21 morts. Le socialiste sera réélu avec 54% des voix. Mais derrière cet affrontement entre deux fauves de la politique, perce l’un des futurs acteurs de la scène politique, Jean-Marie Le Pen (14,38%).

Cette élection commence à sonner le glas de la gauche qui perdra sévèrement les législatives cinq ans plus tard, occasionnant une nouvelle cohabitation au sein de l’exécutif avec  Édouard Balladur à Matignon (la résidence du Premier ministre).

1995 : retour de la droite

Au terme de deux mandats de François Mitterrand et de l’échec cuisant des socialistes aux législatives de 1993, la droite, sans grande surprise, revient à l’Élysée sous les traits de Jacques Chirac. Il gagne avec 52,64% des voix face à Lionel Jospin après avoir fait campagne sur le thème de la « fracture sociale ». Mais cette victoire a déjoué tous les pronostics puisque durant l’année 1994 les sondages faisaient d’Édouard Balladur, Premier ministre, l’archi favori de ce scrutin.

Grâce à une ténacité à toute épreuve, Chirac effectue une remontée spectaculaire et réussit à se qualifier pour le second tour (20,8%) derrière Jospin (23,3%) mais en éliminant Balladur (18,6). Cette présidentielle a donné lieu à une campagne à couteaux tirés au sein du RPR entre balladuriens et chiraquiens. Elle laissera des traces au sein du parti gaulliste et marque les débuts de son affaiblissement. Elle marque aussi un décrochage de la participation électorale qui perd près de cinq points par rapport à 1988 (79,66% contre 84%).

2002 : la gauche classique s'effondre

Nouvelle bataille entre les deux têtes de l’exécutif : le Président Chirac et le Premier ministre Jospin, au terme d’une nouvelle cohabitation provoquée par la malencontreuse dissolution décidée par le président Chirac en 1997 et qui a accouché d’une majorité de gauche à l’Assemblée, avec un Premier ministre socialiste à Matignon, Lionel Jospin. Mais la gauche se présente en ordre dispersé avec notamment trois candidats dans la mouvance socialiste : Lionel Jospin (PS), Jean-Pierre Chevènement (Pôle républicain), Christine Taubira (radicaux de gauche), auxquels s’ajoutent deux candidats d’extrême gauche, Olivier Besancenot et Arlette Laguiller, un communiste, Robert Hue, et un écologiste, Noël Mamère. 

Cet éparpillement est fatal à Jospin, auteur par ailleurs d’une fin de campagne de premier tour médiocre. Il se classe troisième (16,18%) derrière Chirac (19,88%) et Jean-Marie Le Pen (16,86%) en embuscade. Avec seulement 230 000 voix de plus qu'au scrutin de 1995, le leader d'extrême-droite accède ainsi au second tour d’une présidentielle. C’est un coup de tonnerre dans la vie politique. Certes, un front républicain se met en place et fait élire Chirac avec 82,21% des voix. Mais cette performance du FN confirme l’attrait des couches populaires pour le parti de Jean-Marie Le Pen et révèle surtout la fragilité de la gauche.

2007 : un homme, une femme...

Suite à la révision constitutionnelle de 2000, le mandat présidentiel a été ramené de sept ans à cinq. Il est renouvelable une seule fois. Le président Chirac ne se représentant pas, c'est son ministre de l'Intérieur Nicolas Sarkozy qui va porter les couleurs de la droite. Face à lui, une femme porte les couleurs socialistes : Ségolène Royal. Avec 60% dès le premier tour de la primaire du PS elle a écrasé Dominique Strauss-Kahn et Laurent Fabius.

Nicolas Sarkozy, qui  bénéficie de la machine électorale bien rôdée de l’UMP, fait une campagne bien campée à droite, visant à faire reculer le Front national, et y réussissant puisque Le Pen tombe à 10% . En recueillant 11 millions de voix dès le premier tour (31,2%), score que n’a jamais atteint Chirac, il s’ouvre la voie de l’Élysée sans grand risque d’être battu par une Ségolène Royal (25,9%) qui dispose de peu de réserves de voix. Après un débat tendu à la télévision et malgré un énorme meeting au stade Charléty aux accents parfois religieux surprenants (« Aimons-nous les uns les autres »), la socialiste doit s’incliner par 47% contre 53%.

Pour la première fois, il est vrai, le Parti socialiste n’a pas apporté un soutien enthousiaste et résolu à sa candidate, tendance qui s’accentuera en 2017 lorsqu’il sera représenté par Benoît Hamon, signe d’une crise plus ou moins larvée chez les socialistes, ouverte une dizaine d’années plus tôt lors de la succession de Mitterrand.

2012 : vote de rejet

On attendait Strauss-Kahn avant qu’il ne soit victime de ses déboires au Sofitel de New York, et c’est finalement le secrétaire national du parti, François Hollande, revenu des profondeurs des sondages qui représente les socialistes au terme de sa victoire dans la primaire du PS. Face à l’omniprésident Sarkozy, il joue la carte du « président normal » surfant sur l’antisarkozysme qu’avait suscité le successeur de Chirac par son arrogance, sa trivialité et finalement le peu de résultat de sa politique en matière de sécurité au regard de ses promesses. Cette campagne a été aussi perturbée par le terrorisme avec les assassinats commis par Mohamed Merah.

En réorientant sa campagne à gauche (« Mon ennemi c’est le monde de finance » et l’annonce de la création d’une tranche d’imposition à 75% pour les revenus de plus d’un million d’euros), Hollande a réussi à mobiliser son camp malgré une légère remontée de Sarkozy en fin de campagne. Il est enfin élu (51,64%).

2017 : la droite classique s'effondre

Défection d'Alain Juppé, éviction de François Fillon suite à la révélation par Le Canard Enchaîné de rémunérations indues de son épouse, effondrement du PS, surgissement d’un néophyte en politique, Emmanuel Macron, qualification de Marine Le Pen pour le second tour : la campagne de 2017 a été riche en rebondissements. Pour la première fois sous la Ve République, elle a balayé les partis de droite et de gauche qui se partageaient le pouvoir depuis cinquante ans au profit d'Emmanuel Macron.

L'ancien ministre de François Hollande a bénéficié du forfait de celui-ci, incapable de se présenter à nouveau en raison de son impopularité. En quelques mois, il a bâti un mouvement politique En Marche et mené une campagne tambour battant sur les thèmes du dépassement du clivage historique gauche-droite, de la modernité et de l’Europe. Il a profité de l’affaiblissement de François Fillon pour capter l'électorat de la droite modérée. En finale, il s’est assuré une victoire facile (66%) sur Marine Le Pen qui a manqué son débat télévisé d’entre les deux tours. Cet affrontement se reproduira-t-il en 2022 ?

Jean-Pierre Bédéï

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