dimanche 26 septembre 2021

LES CAMERAS DE SURVEILLANCE

 


Caméras de surveillance : un contrôle en trompe-l’œil

20 SEPTEMBRE 2021 PAR CLÉMENT LE FOLL ET CLÉMENT POURÉ



Censées contrôler l’installation de caméras sur la voie publique, les « commissions de vidéoprotection » des préfectures ont du mal à dire « non ». Mediapart s’est procuré les avis rendus dans l’Ain : sur plus de 700 demandes examinées en trois ans, une seule a été retoquée. Un laisser-faire inquiétant.

À l’angle d’une laverie, d’un restaurant, d’un assureur, devant la gare SNCF… À Bourg-en-Bresse, modeste préfecture de l’Ain, plus de 1 700 caméras de vidéosurveillance filment la rue ou des établissements ouverts au public, selon les informations de Mediapart. Pour une ville de 41 000 habitants, ce chiffre est impressionnant. Il reflète surtout le laxisme dont font preuve, ici comme ailleurs en France, les « commissions départementales de vidéoprotection », ces instances méconnues chargées d’évaluer, dans chaque département, la légalité des demandes d’installation de caméras et de donner leur avis – certes consultatif mais presque systématiquement suivi par les préfets.

Aucune de ces commissions, dont le travail est d’intérêt public, ne publie ses données. Une opacité dommageable. Surtout à l’heure où Emmanuel Macron encourage les collectivités locales, « en première ligne » face à l’insécurité, à « renforcer » leurs systèmes de « vidéoprotection », comme il l’a déclaré en clôture du « Beauvau de la sécurité ».

Pour jauger le sérieux de ces contrôles de légalité, Mediapart a décidé de zoomer sur un territoire, celui de l’Ain, plutôt rural et peu enclin a priori à la surveillance. Nous nous sommes procuré les avis rendus par la commission de vidéoprotection du département au fil des années 2018 à 2020, soit quatorze réunions.

Résultat : sur 796 demandes examinées (d’installation ou de renouvellement d’un système de vidéosurveillance filmant l’espace public ou un lieu fréquenté par le public), 792 ont reçu un avis favorable ; 3 ont fait l’objet d’un report de décision du fait de divergences au sein de la commission ; une seule a écopé d’un avis défavorable. Soit un taux d’acceptation de plus de 99 %.

Destruction d’une caméra de vidéosurveillance lors de la manifestation contre la loi sur la sécurité globale du 28 novembre 2020 à Paris. © Photo Olivier Marchesi / Hans Lucas via AFPDestruction d’une caméra de vidéosurveillance lors de la manifestation contre la loi sur la sécurité globale du 28 novembre 2020 à Paris. © Photo Olivier Marchesi / Hans Lucas via AFP

Plus largement, d’après des données préfectorales consultées par Mediapart, le préfet a autorisé le déploiement de 11 932 caméras entre 1995 (création de ces commissions de vidéoprotection) et juin 2021. Dans le détail : 8 894 caméras « intérieures » (installées dans un établissement ouvert au public), 2 314 « extérieures » (appartenant à un acteur privé mais filmant la voie publique), et 724 caméras sur la voie publique par une autorité publique.

Dit autrement : les résidents de 218 des 393 communes du département sont aujourd’hui vidéosurveillés par 54 caméras en moyenne. Un maillage spectaculaire pour ce territoire dont la majorité des communes n’excède pas le millier d’habitants.

« Le taux d’acceptation, ainsi que le nombre total de caméras, sont assez surprenants pour un département plutôt rural comme l’Ain », réagit Maryse Artiguelong, chargée du dossier « vidéosurveillance » à la Ligue des droits de l’homme (LDH), en questionnant aussitôt le caractère « pro-surveillance » des membres de la commission.

 

Les commissions nous semblent plus un outil de fausse régularisation

 

qu’un outil de contrôle.

 
Martin Drago, juriste à La Quadrature du Net

Rassemblant représentants du parquet, membres de la chambre de commerce et d’industrie, délégués de l’Association des maires de France et personnalités nommées par la préfecture, celle-ci ne compte pas de défenseurs des libertés publiques, ni de représentants d’associations spécialisées ou de la société civile en général. 

Pour valider un dossier, elle est censée examiner la légitimité des demandes des établissements souhaitant mettre en place un dispositif de surveillance , et s’assurer que le dispositif vidéo prévu est proportionné – un critère restant relativement flou.

Interrogée par Mediapart, la préfecture de l’Ain affirme de son côté que chaque validation de dossier se fait après l’audition du directeur départemental de la sécurité publique ou du commandant du groupement de gendarmerie départementale territorialement compétent. À l’entendre, le taux d’acceptation des dossiers des collectivités publiques serait juste une conséquence du bon travail des services étatiques.

Une analyse optimiste pas toujours partagée. « Les commissions nous semblent plus un outil de fausse régularisation qu’un outil de contrôle », tranche Martin Drago, juriste à La Quadrature du Net, association de défense et de promotion des droits et libertés.

Sous couvert d’anonymat, le responsable d’un cabinet de conseil en vidéosurveillance, auquel Mediapart a soumis ces documents, ne dit pas autre chose. « La situation est la même dans tous les départements : la commission se contente de vérifier que tous les papiers sont en ordre. Ce n’est pas étonnant que le taux d’acceptation soit proche des 100 % puisque le demandeur indique lui-même si son installation est conforme à la loi… »

« La multiplication des caméras est d’autant plus inquiétante que se développent les logiciels d’analyse d’images », complète Maryse Artiguelong, de la LDH, qui pointe un risque accru pour les libertés publiques en cas de généralisation de la reconnaissance faciale. 

« La reconnaissance faciale a posteriori est déjà largement utilisée par les forces de l’ordre, et ces caméras fournissent de fait des images aux forces de l’ordre », rappelle de son côté Martin Drago.

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