lundi 31 mai 2021

Macron: le cynisme tranquille

 



L’opération de communication à destination de la jeunesse sur YouTube d’Emmanuel Macron avec McFly et Carlito est un pas de plus dans la ridiculisation de la fonction présidentielle. Elle ne peut être excusée par les errements de ses prédécesseurs. Plutôt que de rendre la fonction “cool”, un peu de grandeur servirait plus à la France, selon Philippe Bilger.


Je n’ai pas l’intention de gloser à nouveau sur la pantalonnade élyséenne ayant réuni le Président, MacFly et Carlito. Si elle a peut-être amusé une certaine jeunesse de 15 à 23 ans, elle a certainement détourné encore davantage des citoyens de tous âges de la politique et de celui qui a été choisi en 2017 pour avoir l’honneur de nous représenter. Plus gravement, je me demande quel crédit des monstres sacrés de la vie internationale – par exemple Poutine, Erdogan, Khamenei – accorderont à un président capable de ruiner sa réputation et son influence dans les rapports de force avec de telles légèretés.

Je voudrais aborder autrement cet épisode et m’interroger sur les responsabilités présidentielles qui, après le mandat écourté de Georges Pompidou, ont peu ou prou banalisé, avec certains comportements pour le moins discutables, voire vulgaires, ce qu’on était en droit d’attendre de nos chefs d’État et de l’allure que leur fonction requérait. En effet, au cours des débats concernant cette péripétie qu’on croit excuser en la qualifiant de ludique, on m’a répliqué principalement que tous les présidents avaient commis des agissements similaires et que par conséquent il ne fallait pas s’indigner de ce présent à cause du passé et que la sagesse civique était de relativiser.

Concours des indécences

Je ne contesterai pas que, s’il y avait un concours des indécences, provocations, détournements et scandales présidentiels, aucun de ceux que je vais nommer n’aurait été mal placé dans des registres différents. Que ce soit François Mitterrand, Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy, François Hollande et notre président en lice pour 2022, je ne crois pas qu’il soit nécessaire de rappeler les hauts faits de ces messieurs, ils demeurent dans la mémoire collective. Emmanuel Macron pourrait ne pas être éloigné de la première place avec cette photographie aux Antilles où il est encadré, très souriant, par deux voyous torse nu et dont l’un fait un doigt d’honneur.

Ce qui est anormal, dans notre République, est qu’on considère ce délitement comme une fatalité, cette dégradation de la majesté du pouvoir comme une obligation pour “faire jeune”, favoriser le rapprochement avec les citoyens. Alors que le gouffre est aussi grand entre cette démagogie et la vraie simplicité qu’entre, par exemple, Jean-Marie Bigard et Alain Finkielkraut.

Les errements des prédécesseurs ne sont pas des justifications

Cette manière pour les présidents – chacun bénéficiant de l’indulgence ou du sourire tolérant accordé au prédécesseur – de s’inscrire, pour le pire, dans le fil du temps, révèle un aveuglement délibéré, un cynisme tranquille, une désinvolture royale pour continuer à profiter de dérives insupportables. Elles ne deviennent pas légitimes à force d’avoir été pratiquées contrairement à la justification paresseuse de chaque monarque républicain. Ce nouveau monde promis par Emmanuel Macron, le temps d’un verbe de candidat, n’aurait-il pas été bienvenu au cours de ces années ?

Était-il donc inconcevable qu’un président, saisi par l’abaissement structurel de la morale et de la dignité publiques, le culte des abus et privautés s’appropriant les droits en reléguant les devoirs, le mépris des apparences, et jugeant résistibles ces processus délétères, s’écriât un jour : “Un président ne devrait pas faire ça” et marquât un heureux et brutal coup d’arrêt dans le laxisme du pouvoir élyséen ?

Une nécessaire dignité

Je n’ai aucun moyen de démontrer la pertinence de mon intuition et je crains fort qu’elle relève de ces songes auxquels les sujets ont le droit de se livrer pour se consoler des maîtres, mais je suis persuadé que s’accorder avec la hauteur non seulement ne ferait rien perdre mais tout gagner. La tenue paie toujours. C’est mépriser le pays que de s’imaginer qu’il a besoin d’un “président cool” – Olivier Faure a raison sur ce plan – et qu’il aspire à des intervalles histrioniques non seulement médiocres mais, pire, contradictoires : quel rapport entre eux et la leçon justifiée donnée à un adolescent qui aurait dû l’appeler “monsieur le président”!

Un président ne devrait pas faire ça. C’est trop tard pour Emmanuel Macron mais le suivant peut-être, qui sait ?

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