vendredi 4 septembre 2020

DRAME FAMILIAL A VILLEQUIER

 



Charles Vacquerie, fils aîné d'un riche armateur du Havre, découvre la famille de Victor Hugo par l'intermédiaire de son frère Auguste, un admirateur du poète.

Il fait la connaissance de Léopoldine, sa fille. Les deux jeunes gens s'éprennent passionnément l'un de l'autre. Ils se marient au printemps 1843 malgré l'opposition de Victor Hugo. Léopoldine a alors 19 ans et Charles 27.

Le matin du 4 septembre 1843, le couple est à Villequier, sur une boucle de la Seine, dans la maison de vacances de la famille Vacquerie.

Charles doit rendre visite à son notaire, à Caudebec-en-Caux, à trois ou quatre kilomètres en amont, sur la même rive.

Comme le temps est au beau fixe, il emprunte le canot tout neuf que vient de recevoir la famille. Son oncle et le jeune fils de celui-ci l'accompagnent...

André Larané
Le drame

Léopoldine, encore à sa toilette, regrette de ne pouvoir les suivre. Là-dessus, à peine partis, les voyageurs reviennent à quai pour charger sur le canot à voile des pierres de lest. La jeune femme, qui s'est entre temps apprêtée, décide de les accompagner.

Le notaire de Caudebec fait remarquer à ses hôtes que le vent s'est levé sur la Seine.Il leur propose de les raccompagner dans sa voiture mais le petit groupe préfère les joies de la navigation.

Las, dans la boucle de la Seine, un coup de vent inattendu fait chavirer le canot. L'oncle et le neveu de Charles se noient. De la rive, des paysans distinguent un jeune homme qui, à plusieurs reprises, se hisse sur l'embarcation et replonge aussitôt. Ils diront plus tard avoir cru à un jeu.

Il s'agit en fait de Charles Vacquerie qui, une demi-douzaine de fois, tente de délivrer sa jeune épouse, piégée sous le canot par ses vêtements. N'y arrivant pas et la voyant mourir, cet excellent nageur se laisse à son tour couler.

Quelques heures plus tard, une charrette funèbre ramène à la maison quatre corps inanimés. La mère de Léopoldine, Adèle Hugo, est rapidement alertée. Il n'en va pas de même de son père, en voyage en Espagne avec sa maîtresse Juliette Drouet.

Le poète découvre le sort tragique de sa fille préférée à son arrivée à Rochefort, le 9 septembre 1843, en lisant dans Le Siècle le récit du drame par le journaliste Alphonse Karr. « On m'apporte de la bière et un journal, Le Siècle. J'ai lu. C'est ainsi que j'ai appris que la moitié de ma vie et de mon cœur était morte » écrira-t-il plus tard.

Ce drame va bouleverser la vie de Victor Hugo, chef de file de l'école romantique, pair de France, gloire du royaume. Mesurant la fragilité de la vie et du bonheur, l'écrivain mûrit très vite. Pendant plusieurs années, il s'abstient de toute publication. Il s'initie aussi au spiritisme et aux tables tournantes. Enfin, ce pilier de l'ordre monarchique et bourgeois se mue en héraut des humbles et de la République.

Auguste Vacquerie, le jeune frère de Charles, demeure l'ami de la famille et le confident de Madame Hugo. À Jersey et Guernesey, où le clan Hugo s'exile sous le Second Empire, il multiplie les reportages photographiques.

La maison Vacquerie

La maison Vacquerie, à Villequier (Seine-Maritime), abrite aujourd'hui un musée départemental dédié à Victor Hugo et à sa famille.

Son jardin et son décor intérieur nous offrent une plongée dans le XIXe siècle et l'époque romantique. Le musée évoque de façon émouvante le cadre de vie de la famille et le drame de septembre 1843.

Le souvenir

Du drame de Villequier, nous conservons un immortel poème :

Demain, dès l'aube, à l'heure où blanchit la campagne,
Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m'attends.
J'irai par la forêt, j'irai par la montagne.
Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps.

Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées,
Sans rien voir au-dehors, sans entendre aucun bruit,
Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées,
Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit.

Je ne regarderai ni l'or du soir qui tombe,
Ni les voiles au loin descendant vers Harfleur,

Et, quand j'arriverai, je mettrai sur ta tombe
Un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur.

3 septembre 1847 (Les Contemplations).

Ce poème évoque le pèlerinage périodique du poète, qui séjourne de temps à autre dans un hôtel de Caudebec-en-Caux, avec Juliette Drouet, et se rend au cimetière de Villequier par un sentier de 3 kilomètres qui existe encore, via la chapelle de Barre-y-va.

Un autre poème évoque avec une égale tendresse le sacrifice de Charles Vacquerie :

Il ne sera pas dit que ce jeune homme, ô deuil !
Se sera de ses mains ouvert l'affreux cercueil
Où séjourne l'ombre abhorrée,
Hélas ! et qu'il aura lui-même dans la mort
De ses jours généreux, encor pleins jusqu'au bord,
Renversé la coupe dorée,

.../...
N'ayant pu la sauver, il a voulu mourir.

Sois béni, toi qui, jeune, à l'âge où vient s'offrir
L'espérance joyeuse encore,
Pouvant rester, survivre, épuiser tes printemps,
Ayant devant les yeux l'azur de tes vingt ans
Et le sourire de l'aurore,
.../...

Et la table se mit à tourner...

Hugo ne se remettra jamais de la mort de sa fille. Lui qui avait été élevé sans religion se met à prier. Il va céder aussi à la superstition...

C'est alors, à Paris, la pleine mode des tables tournantes : les écrivains se pressent chez la vicomtesse de Saint-Mars, collaboratrice d'Alexandre Dumas, pour observer avec étonnement les séances de magnétisme. Établi à Jersey en 1852, Hugo accueille donc avec espoir Delphine de Girardin, spécialiste du dialogue avec les morts, qui l'initie à son art.

Le 11 septembre 1853, enfin, la table parle : c'est la regrettée Léopoldine ! Puis Napoléon Ier, Chateaubriand, Dante, Molière et d'autres viennent communiquer à leur tour au moyen de « la bouche d'ombre ». Confronté à ces visiteurs pendant près de deux années, Hugo se montre tour à tour méfiant et crédule. En 1855, un des participants fait une crise de démence, ce qui marque le coup d'arrêt de ces expériences.

Si ces contacts ont rassuré le petit groupe des émigrés, isolés et fragilisé, ils n'ont pas nourri l'œuvre du poète qui s'en détachera totalement après son retour à Paris : « Jamais je n'ai mêlé à mes vers un seul des vers venus du mystère, ni à mes idées une seule de ces idées. Je les ai toujours religieusement laissées à l'Inconnu, qui en est l'unique auteur » (Au Lion d'Androclès, 1854).

 

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