lundi 1 juin 2020

LE SOURIRE



Le sourire

Quel cachottier !

Vous nous ferez bien une petite risette, non ? Quoi de plus naturel ? Et pourtant, il semble que dans les siècles passés on ne souriait guère si l'on en croit la rareté des sourires de nos ancêtres dans l'Art. Impression fausse, bien sûr ! Mais il faut avouer qu'à part une célèbre Mona, italienne du XVIe siècle, rares sont les modèles à qui l'on a demandé de faire jouer leurs zygomatiques, du moins jusqu'au XXe siècle.
Pour essayer de lever ce mystère, partons à leur recherche et réchauffons-nous auprès des plus beaux sourires !
Isabelle Grégor

Attention, danger

Ce n'est pas aux vieux singes que l'on va apprendre à faire des grimaces... et encore moins à sourire !
Si l'on observe nos cousins, on se rend compte que cette mimique, vieux reste d'un rire primitif comme le reflète d'ailleurs l'étymologie du mot (du latin sub-ridere« sous-rire »), aurait pour but premier de rassurer en envoyant un signal de soumission.
Le « bouche ouverte, dents découvertes » signifierait un clair « Soyons copains ! », message que Bébé « volontaire » au bout de quelques semaines pour attirer l'attention.
commence à utiliser de manière 
Au fur et à mesure qu'il grandira et apprendra les codes de la société, il découvrira la richesse de la gamme des sourires, qui peuvent traduire la politesse, le plaisir, la séduction, le dépit ou même l'hypocrisie.
S'il est impossible de dire quand les premiers hominidés ont eux aussi adopté ce code inné, présent dans toutes les cultures, on peut s'étonner de l'absence de sourire dans les représentations humaines de la Préhistoire. D'ailleurs, elles n'ont même pas de bouche ! Simplification à l'extrême ou absence symbolique ? Ces visages incomplets risquent de garder longtemps leur mystère.

Restons sérieux

Au Moyen-Orient, on ne peut pas dire que les premières civilisations aient multiplié les figures rigolotes.
Statue d'Ebih-Il, Mari, XXIVe siècle av. J.-C., Paris, musée du Louvre. L'agrandissement présente la tête d'Akhenaton, XIVe siècle av. J.-C., Louxor, musée.Alors pourquoi tout-à-coup ce sourire béat sur le visage d'un dignitaire de Mari (Syrie - XXIVe siècle av. J.-C.) ? La réponse est dans son occupation : il est en pleine prière, ce qui lui apporte un ravissement communicatif.
Ce n'est pas le cas en Égypte où, qu'elles soient de face ou de profil, les représentations ne laissent deviner qu'un léger sourire, à peine esquissé mais plein de douceur, comme sur le visage du Scribe du Louvre ou les portraits de Ramsès II.
La même pudeur se retrouve dans ceux de l'époque d’Akhenaton (XIVe siècle av. J.-C.) malgré un style plus naturel qui n'hésite pas à reproduire les défauts des personnages. Pensons à la fascinante Néfertiti dont la beauté réside dans la sérénité des traits et du sourire, à peine esquissé.
Dès les premiers royaumes, il semble évident que les dirigeants n'ont pas le droit de montrer une quelconque exubérance dans leurs sentiments : retenue et contrôle de soi est une règle qui est encore respectée de nos jours dans les portraits officiels. Le pouvoir n'est pas un jeu : un peu de sérieux !

Archaïque mais plein de charme

Pour trouver un visage un peu plus enjoué, traversons la mer et allons du côté de la Grèce où, à partir du VIe siècle avant J.-C., les sculptures se parent d'un joli « sourire archaïque ». Il ne s'agit pas ici de montrer l'intériorité du personnage mais simplement de donner du bonheur à celui qui le regarde.
Tête d'homme barbu coiffé d'un turban, Chypre, Ve siècle av. J.-C., Paris, musée du Louvre. L'agrandissement montre le Cavalier Rampin, VIe siècle av. J.-C., Paris, musée du Louvre.Et comme le sourire est communicatif, cela marche ! En observant kouros et koré (dico) on ne peut, des siècles plus tard, qu'être persuadé qu'ils viennent d'une époque où régnait le bonheur de vivre et où chacun était en harmonie avec les dieux. C'est d'ailleurs pour honorer l'un d'eux, Dionysos, que furent organisées les premières comédies où les acteurs se cachaient derrière des masques aux sourires démesurés.
Dans les autres créations artistiques, interdit de se risquer à laisser apparaître une fossette s'il n'y a aucun motif de frivolité. Il faut être étrusque pour oser représenter ses défunts en plein banquet, avec un beau visage réjoui ! Mais en Grèce on préfère suivre les conseils du stoïcisme qui se méfie du rire, censé être préjudiciable à l'acquisition de la sagesse.
Pourtant c'est dans ce pays qu'est née la physiognomonie, méthode qui vise à faire le lien entre l'apparence et l'intériorité. Est-ce pour cette même raison que philosophes, hommes politiques et divinités affichent du côté d'Athènes comme de Rome une mine bien peu affable sur les portraits ? Quel dommage que la Vénus de Milo soit si sérieuse ! À moins que le sculpteur ait voulu que l'attention de ses admirateurs ne soit pas détournée de sa chute de reins...
Vénus de Milo, 150-130 av. J._C., Paris, musée du Louvre.

Ça sent le roussi

Et si c'était en effet les artistes qui boycottaient le sourire ? Son absence pendant l'Antiquité et le Moyen Âge peut avoir pour origine de simples raisons techniques : pas facile de reproduire une expression tellement fugace !
Ajoutons à cela en Occident une explication religieuse : la bouche, liée au péché originel et à la gourmandise, sexuelle ou pas, est d'emblée suspecte. Ceux qui arborent un sourire ne peuvent être que remplis de perfidie... Sus à la jouissance ! « Femme doit rire à bouche close » si elle ne veut pas passer pour légère, conseille Le Roman de la rose (XIIIe siècle).
L'Ange au sourire, 1240, cathédrale de Reims. L'agrandissment montre la Vierge blanche, XIVe siècle, cathédrale de Tolède.C'est ainsi que pendant tout le Moyen Âge la majorité des personnages représentés se contentent d'un léger plissement du coin des lèvres. Au milieu de cette sobriété, l'Ange au sourire (après 1250) de la cathédrale de Reims fait figure d'exception, affichant le ravissement de celui qui échappe au poids de la malédiction.
Il faut dire que nous sommes aussi au début du gothique, époque où les artistes cherchent à s'émanciper de l'influence byzantine et de son idéalisation du monde. On s'intéresse davantage aux expressions et les saints commencent à perdre cet aspect inexpressif qui les caractérisait. C'est le retour de la physiognomonie, le visage redevient miroir des sentiments.
Une fois de plus, la révolution vient d'Italie : sous le pinceau de Giotto on voit apparaître une légère, très légère décontraction du visage. C'est justement à cette époque qu'en France se diffuse le mot « sourire » dans le sens de « prendre une expression rieuse ». Le moment de sa réhabilitation est arrivé !

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire