mercredi 15 avril 2020

PLAIDOYER POUR NOTRE-DAME DE PARIS






Plaidoyer pour Notre-Dame de Paris

Restaurer à l'identique ou « moderniser » la flèche ?

L’incendie de Notre-Dame de Paris, le 15 avril 2019, a traumatisé tous ceux qui en furent témoins. Sur les berges de la Seine, la foule observait avec effroi les flammes et abordait d’emblée la réfection de la toiture et de sa flèche. Celle-ci ne faisait aucun doute, pour personne.
Rapidement, des promesses de dons affluèrent et de nombreuses personnalités s’exprimèrent.
Qui pensait alors que serait annoncé un concours international d’architecture pour la reconstruction d’une nouvelle flèche ?
Le sempiternel débat opposant les modernistes raisonnant au présent et les tenants d’une reconstruction s’ouvrait de nouveau avec, pour sujet, un des monuments les plus emblématiques de la planète.

Une restauration immédiatement évoquée

Les valeurs de mémoire de Notre-Dame de Paris, à la fois monument de l’histoire de France, symbole d’une ville et haut-lieu du culte catholique ne seront pas ici abordés, ces aspects ayant été suffisamment évoqués depuis l’incendie. En revanche, un rappel historique des toitures de la cathédrale est essentiel pour dépasser l’idée d’une flèche présentée comme un ajout circonstanciel du XIXe siècle.
Les flèches de croisée font partie de l’architecture des cathédrales. Elles abritaient les cloches propres aux cérémonies du chœur, qui étaient distinctes de celles des grands clochers, réservées aux cérémonies publiques. Toutes les cathédrales ou grandes abbatiales en étaient dotées. Sur Notre-Dame, une première flèche fut construite au milieu du XIIIe siècle et resta en place, un peu simplifiée, jusqu’à la fin du XVIIIe.
Soixante-dix ans après son démontage pour cause de vétusté, les architectes Jean-Baptiste Lassus et Eugène Viollet-le-Duc furent chargés de la restauration la cathédrale. Selon un raisonnement tenu sur l’ensemble du monument, ils proposèrent de rétablir la flèche qui manquait. Son dessin, mis au point par Viollet-le-Duc sans son confrère décédé, prit en compte de nombreuses représentations anciennes et fut considéré comme l’aboutissement de la restauration de l’édifice.
La flèche était un chef d’œuvre d’architecture et de charpenterie : elle transcenda les volumes un peu lourds de la cathédrale et offrit à Paris une de ses plus belles visions. Elle fut largement publiée et servit de modèle, notamment pour la construction de la flèche de la cathédrale de Prague.

L’idée d’un concours international d’architecture

L’idée d’une flèche moderne est arrivée étonnamment vite à l’esprit de nos responsables politiques et on peut suspecter, à tort espérons, leur volonté de marquer le monument et l’histoire par un nom, à l’instar de François Mitterrand associé à la pyramide du Louvre, de Georges Pompidou associé au centre Beaubourg, ou bien de Jacques Chirac associé au musée du Quai Branly.
Une telle volonté peut être légitime mais ne concernait jusqu’à présent que des bâtiments indépendants qui peuvent vivre et mourir sans affecter un monument qui a récemment fêté ses 850 ans.
Plusieurs architectes connus comme Jean-Michel Wilmotte se sont immédiatement proposés, un peu comme des cousins intéressés qui se précipitent chez le notaire alors que la grand-mère n’est pas encore enterrée. D’autres architectes, inconnus aux bataillons, ont saisi l’occasion pour tenter de se faire connaitre en publiant le plus rapidement possible des images sur les réseaux sociaux.
Voyons donc ce que donnera un concours et qui sera capable de proposer autrement que par des mots ou de belles images une œuvre susceptible de faire oublier le chef d’œuvre de Viollet-le-Duc. Cette mégalomanie n’est heureusement pas générale, puisqu’un architecte aussi brillant que Denis Valode prône « l’audace, l’humilité de réparer le bâtiment tel qu’il était avant le drame ».
Au-delà d’un dérisoire et usuel travers d’artiste, les propos de ces architectes qui se veulent créateurs ont de quoi interroger. Ils révèlent une profonde méconnaissance de l’architecture médiévale : prôner l’utilisation de techniques et de matériaux actuels pour alléger la toiture est un contresens structurel, car le poids de la toiture participe à la stabilité des édifices gothiques.
Ils trahissent surtout un raisonnement à court terme. Une couverture en plomb demande peu d’entretien et la cathédrale de Beauvais possède encore une large partie de sa toiture du XIIIe siècle. Bien que la pyramide du Louvre n’ait que trente ans, elle nécessite d’être nettoyée en permanence, les joints de sa verrière ont déjà été changés par des cordistes et sa restauration devra être prochainement envisagée.
Plus généralement, il faut sortir du primat de principe accordé à la modernité, indépendamment de toute compatibilité des formes. Notre-Dame de Paris s’est imposée dans son architecture gothique depuis presque neuf siècles. Dès le Moyen-Âge, son architecture a été respectée et suivie par tous ceux qui y sont intervenus, et c’est selon ses dispositions médiévales qu’elle a été restaurée aussi bien à la Renaissance que sous Louis XV.
Les monuments ont une cohérence qui fait leur grandeur. C’est dans ce sens que le XIXe siècle a terminé ou restauré de nombreuses cathédrales européennes et lorsqu’on a voulu faire une flèche simplifiée sur la croisée de la cathédrale de Cologne, on a fait une platitude qui a amoindri la grandiose silhouette du monument.

Reconstruire Notre-Dame « com’era, dov’era »

« L’histoire est un éternel recommencement » affirme un dicton qui peut faire sourire mais qui s’applique bien à la situation actuelle. Parmi les nombreux exemples analogues, abordons celui du campanile de la place Saint-Marc.
En 1902, il s’effondra en provoquant le désarroi des vénitiens privés d’un monument emblématique. Des fonds furent récoltés et un débat s’ouvrit entre amateurs de modernisme et partisans d’une reconstruction à l’identique « com’era, dov’era », « comme il était, où il était ».
La deuxième solution l’emporta par respect de la grandeur de Venise, par respect de l’avis de ses habitants et par respect des générations futures. Et un siècle plus tard, cette reconstruction du XXe siècle permet de jouir du campanile, de la place Saint-Marc et de l’ensemble du paysage vénitien en parfaite continuité des tableaux de Canaletto.
Une approche plus terre-à-terre oblige à évoquer les nombreux autres incendies de toitures de monuments, particulièrement sur les cathédrales. Les solutions architecturales apportées ont toujours maintenu l’aspect extérieur antérieur au traumatisme. Les architectes ont parfois modifié les charpentes pour les rendre incombustibles, en béton ou en acier, à des moments où ces matériaux audacieux étaient un défi pour les constructeurs.
La question peut donc être ouverte : doit-on refaire la charpente de Notre-Dame à l’identique ou peut-on envisager une structure plus moderne et peut-être plus sûre ? Sans les travaux de Rémi Fromont et de Cédric Trentesaux, la deuxième hypothèse s’imposerait vraisemblablement. Mais ces deux architectes ont étudié et dessiné la charpente de Notre-Dame dans tous ses détails.
L’ouvrage est donc parfaitement documenté et une restauration à l’identique est envisageable. Si la charpente est reconstruite selon ses dispositions anciennes, elle n’aura pas l’authenticité matérielle de bois médiévaux, mais elle respectera l’authenticité de sa forme et de son ambition technique, qui pourront être transmises aux générations futures.
Dans ce sens, il faut rappeler que l’attachement à l’authenticité matérielle est une pensée assez étroitement occidentale. Le sanctuaire d’Ise, au Japon, est un trésor national inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco. Il date du VIIe siècle mais il est reconstruit à l’identique tous les vingt ans. Cette tradition s’inscrit dans une démarche de transmission des formes et des savoir-faire, de génération en génération, qui s’inscrit dans la notion de patrimoine immatériel des connaissances.
Profitons de la reconstruction de la toiture de Notre-Dame pour renouveler et transmettre cette même connaissance sans laquelle il n’existe pas de continuité de civilisation. Un tel chantier permettra de former de nouveaux charpentiers et couvreurs, de redonner un souffle à des métiers et des mises en œuvre traditionnelles qui ont de plus en plus de mal à perdurer. Sans ces savoir-faire, tôt ou tard, c’est tout le patrimoine occidental qui sera appauvri.
Une intervention sur un monument n’est pas un acte anodin : elle peut être rapide mais doit s’inscrire dans une histoire longue et fortement structurée. Une intervention sur Notre-Dame de Paris est d’autant plus délicate qu’elle participe d’une architecture, d’un paysage urbain et d’une mémoire publique. Mettre en œuvre un projet contemporain, c’est prendre le risque d’un amoindrissement et de subir les reproches des générations futures.
Pourquoi ne pas se contenter, dans une vraie ambition de continuité historique, de reconstruire la toiture médiévale et la flèche de Viollet-le-Duc, qui sont parfaitement documentées et dont les principaux éléments décoratifs ont été épargnés par l’incendie ? Même si la cathédrale en était déjà partiellement pourvue, ce ne sont pas les équipements qui font défaut pour mieux la mettre en sécurité.
Enfin, prenons du recul : ce débat a-t-il vraiment un sens ? Notre-Dame est un monument mais aussi une œuvre d’art. Si la Piéta de Nicolas Coustou, placée dans le chœur de la cathédrale, avait perdu un bras lors de l’incendie, envisagerait-on de le remplacer par une pièce métallique ou en résine imaginée par Jeff Koons ?
Quand un malheur arrive à un tableau du Louvre, comble-t-on la lacune à la manière de Picasso ? Les caricatures de projets qui fleurissent actuellement sur internet montrent à quel point un débat qui n’avait pas lieu d’être sur un monument peut tourner au ridicule.
Alexis Muller




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