mardi 11 février 2020

L' ELOQUENTE BOULETTE DE PENICAUD



Laurent Joffrin
La lettre politique
de Laurent Joffrin

L'éloquente boulette de Pénicaud

«Il faut se défier du premier mouvement. Il est toujours généreux.» Cette maxime de Talleyrand – cynique, comme à son habitude –, les députés En marche l’ont comprise à l’envers. Ils ne se sont pas défiés de leur premier mouvement et celui-ci n’était pas généreux. Tout de spontanéité parcimonieuse, ces pingres macroniens ont en effet voté contre une proposition de loi présentée par leur collègue UDI Guy Bricout, qui souhaitait allonger de cinq à douze jours le congé consenti aux parents qui viennent de perdre un enfant, mesure de bon sens et de bon aloi.
Ils suivaient en cela la consigne de la ministre du Travail, Muriel Pénicaud, qui s’exprime souvent de manière quelque peu confuse, mais qui redoutait, très clairement cette fois, qu’on accroisse soudain les charges pesant sur les entreprises. Sic ! Ce réflexe libéral, fort heureusement, n’a pas duré longtemps. Invoquant l’humanité nécessaire en l’espèce (ce qui tend à prouver que libéralisme et humanité ne font pas bon ménage), le président Macron a désavoué sa ministre et demandé qu’on fît preuve de plus de compassion envers ces familles frappées par le malheur. Il faut dire que la décision avait aussitôt déclenché un tollé de l’opposition, et même de certains ministres, plus fins que leur collègue du Travail. Il faut dire aussi que le président du Medef, Geoffroy Roux de Bézieux, craignant d’être tenu pour responsable de cette cruelle décision, avait lui aussi contredit la ministre pour son manque de cœur. Laquelle s’est fendue rapidement d’un mea culpa sans ambages, ce qui tend à mettre en lumière l’influence du patronat auprès du gouvernement… Pour une fois, à l’inverse de la maxime de Talleyrand, c’est le second mouvement qui était le bon.
Bévue isolée ? Gaffe incongrue ? Boulette d’une ministre ancienne directrice des ressources humaines dont l'humanité n'est pas la principale ressource ? Il faut craindre que non. Quelques jours plus tôt, la ministre de la Justice réagissait au cas de la jeune lycéenne appelée Mila, qui avait posté une vidéo vengeresse et insultante contre les religions en général et la religion musulmane en particulier, attirant sur elle un tombereau d’injures et de menaces de mort émanant de milieux musulmans. Ministre de la Justice mal informée sur les principes de justice en France, Nicole Belloubet avait condamné «une atteinte à la liberté de conscience», semblant soudain introduire de son propre chef le délit de blasphème dans la législation française. Autre boulette. Comme on sait, il est interdit dans la République d’insulter les croyants pour leurs convictions. Mais il est licite – ce qui ne veut pas dire recommandé ou habile – de vitupérer telle ou telle croyance religieuse, ce qu’avait fait la jeune Mila exaspérée par les attaques homophobes qu’elle subissait sur les réseaux. Les hommes ou les femmes de religion sont protégées, mais pas les idées, dont le commentaire est libre, serait-il injurieux. La justice, que la ministre est pourtant censée diriger, incarner et garantir, ne s’est pas fait faute de le lui rappeler, en déclarant que cette provocation sur Instagram ne contrevenait à aucune loi, comme c’est le cas dans la plupart des démocraties, et même en Turquie musulmane. Belloubet, elle aussi, a dû faire amende honorable.
Il est vrai que l’exemple vient d’en haut : le Président lui-même, dans son premier mouvement, a commis un nombre remarquable de gaffes du même tonneau («ceux qui ne sont rien», «il suffit de traverser la rue pour trouver un emploi», «un pognon de dingue» pour le social, etc.) avant de faire laborieusement machine arrière. Ainsi, le «en même temps» cher à la macronie est réfuté dans la pratique. Il faut dire désormais «en deux temps». Un premier temps caricaturalement libéral, un second où l’on se rattrape aux branches par des protestations sociales. Lequel est le bon, comme se demandait Talleyrand ? Chacun jugera.
Laurent Joffrin

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