samedi 28 septembre 2019

CHIRAC, LA GAUCHE DANS LA DROITE





Laurent Joffrin
La lettre politique
de Laurent Joffrin

Chirac, la gauche dans la droite

En apparence, tout le monde connaissait Chirac. Personne en fait. L’homme politique le plus célèbre de France, qui recueille à sa mort des hommages émus, qui suscite, lui qui n’était pas un tendre, une sorte de tendresse nationale, restait un mystère pour l’opinion, pour ses pairs et pour les commentateurs.

C’était un lutteur aux failles secrètes, un élu cynique mais chaleureux, un sabreur pétri d’humanité, dont le masque rugueux de raide combattant cachait un détachement philosophique et une sollicitude que les Français avaient fini par comprendre, pour lui accorder, après la bataille, une popularité complice. Il y avait là une part de comédie. «On croit que c’est un homme gentil et pas très intelligent, disait un adversaire, en fait c’est tout le contraire.» Un oxymore sur longues jambes, avec sa part d’humanité qui a fini par dominer cette figure d’ambitieux sans état d’âme, de président énergique et aboulique à la fois.
Son bilan est mince en regard des enjeux du pays. Quelques réformes, une navigation à la godille pour faire franchir au pays le cap du millénaire, une présidence défensive, qui tente de maintenir l’unité française, qui voit le chômage progresser inexorablement, qui accompagne la lente désagrégation européenne et s’essaie à faire bonne figure sur la scène internationale. Le candidat infatigable dans l’assaut devient au pouvoir un chef d’Etat prudent, louvoyant, parfois léthargique, embringué dans les affaires et seulement protégé par son statut, qui se méfie par expérience des sautes d’humeur de l’opinion.

La clé de ce mystère est peut-être dans ses convictions politiques, parfaitement contradictoires, énigmatiques au bout du compte : il restera dans l’histoire comme un homme de droite dont les gestes les plus forts ont été ceux qui plaisaient à la gauche. Comme si ce conservateur souvent agressif trouvait sa vérité dans les symboles du camp adverse, comme si cet anti-soixante-huitard avait mieux compris que d’autres la mentalité progressiste.
A côté de mesures solidement de droite, Chirac a voté l’abolition de la peine de mort, soutenu Simone Veil dans la bataille de l’IVG, refusé toute alliance avec le FN, dénoncé l’intolérance et le racisme du parti d’extrême droite, reconnu la responsabilité de la France dans la déportation des Juifs, alerté l’opinion mondiale contre les dangers du réchauffement climatique, introduit dans la Constitution le principe de précaution, refusé au grand dam des Etats-Unis la folle guerre d’Irak. Chirac avait commencé sa vie de citoyen à gauche, quand il était étudiant. Il a suivi les rails du conservatisme le reste de sa vie, mais peut-être en gardait-il un regret intérieur. Ou encore, au-delà des calculs électoraux, son détachement de passionné d’antiquités l’a-t-il affranchi des conventions de son camp.
LAURENT JOFFRIN

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