mardi 26 février 2019

NUL N'EST PROPHÈTE EN SA PRAIRIE

Salon de l’agriculture: nul n’est prophète en sa prairie

Habituée à la dépréciation d’elle-même, la France n’épargne pas son agriculture. Pourtant, nos productions, leur sécurité, leur qualité et leurs variétés font rêver le monde entier, qui aimerait bien s’asseoir à notre table



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Le Salon de l’agriculture s’ouvre ce samedi à Paris, pour une semaine. Habituel moment où les citadins confrontent leur image de ferme de carte postale avec les innovations, la dimension internationale de l’agriculture française. Des Français qui, s’ils s’extasient au Salon, crachent volontiers dans la soupe pourtant saine, sûre et traçable qu’ils ont dans leur assiette. Un pas de côté s’impose.
En décembre 2018, une étude de référence menée tous les ans par The Economist Intelligence Unit et la fondation Barilla classe l’agriculture française au premier rang mondial de la durabilité, pour la deuxième année consécutive. L’étude explique que la politique offensive de la France pour réduire le gaspillage, promouvoir une alimentation saine et des méthodes respectueuses démontre que « la performance agricole peut aller de pair avec la protection de l’environnement et des conditions sociales ». Un adoubement commenté dans le monde entier. Les Français s’en seraient-ils réjouis ? Non : ceux qui, à ce moment-là, n’étaient pas dans la rue en gilet jaune ont jeté le classement aux orties. La France ? Ce pays où l’on empoisonne la population à grandes rasades de glyphosateoù l’on exploite d’atroces fermes usines, comme le clamait, au même moment, une étude de Greenpeace, meilleure agriculture du monde ?
Voilà le paradoxe français. Nous sommes des enfants gâtés de l’agriculture et nous ne connaissons pas notre chance. « La France reste la quatrième puissance agricole du monde, relève Lise Malbernard, experte des questions agricoles chez Accenture. Au-delà du blé, qui est une commodité, elle est réputée pour ses produits à forte valeur ajoutée, que l’on s’arrache en Europe, aux Etats-Unis, en Chine, en Russie, en Suisse ou au Japon. La France doit à ses vins et à ses spiritueux, à ses préparations culinaires, à ses fromages, une balance agricole commerciale positive et une image d’excellence quant à la qualité et à la traçabilité  ».
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Efficacité. Sébastien Abis, géographe, président du Club Demeter, dédié aux enjeux agricoles, propose de dessiner une représentation du monde à l’échelle des enjeux alimentaires. « Au regard de la taille du territoire, la représentation de la France dans ce paysage serait anormalement grande. Un demi-siècle de stabilité politique, institutionnelle, sanitaire et politique a permis de bâtir un système agricole et agroalimentaire efficace, qualitatif et varié qui fait des envieux. » Pourquoi les principaux concernés n’en ont-ils aucune conscience ? « La France a instauré un tel système de contrôles, de normes de production, de traçabilité que les exigences des consommateurs sont extrêmement hautes », constate Lise Malbernard.
On ne meurt plus de la nourriture en France. « La sécurité alimentaire est telle que le moindre pépin prend des proportions ahurissantes dans l’opinion publique. On a oublié que cela existe et que l’insécurité alimentaire est le quotidien dans la plupart des pays du monde. Le récent exemple de la viande polonaise impropre à la consommation est frappant. Il s’est écoulé moins de 72 heures entre la dénonciation de la fraude en Pologne et le retrait de tous les lots concernés. Il y a trente ans, on ne se serait même pas rendu compte du problème », ironise Sébastien Abis.
Une des forces du modèle est sa diversité. La taille moyenne d’une exploitation en France est de 50 hectares. « Cela reste très petit. Aux Etats-Unis, la moyenne est de 155 hectares. C’est plus au Brésil. Les fermes russes et australiennes sont dix fois plus grandes que les nôtres ! », rappelle Lise Malbernard. « L’agriculture française est composée de grandes exploitations, de petites, de fermes de montagne, d’agroalimentaire tertiarisé, de bio, de local. Il y en a absolument pour tous les choix, détaille le chercheur. La ferme des 1 000 vaches, il n’y en a qu’une. Or, je constate que la plupart des contestataires préfèrent se focaliser sur elle plutôt que de se féliciter qu’il soit aussi possible de n’avoir que trois vaches et de cultiver des légumes bios à côté ».
Et pourtant, le pape de l’agroécologie Pierre Rabhi souhaite « bonne chance » avant de passer à table ; l’écologiste Yannick Jadot clame qu’il a « peur en mangeant ». Sous prétexte que l’on n’est pas d’accord avec une partie du modèle, c’est tout un collectif gagnant que l’on conspue.
Notre propension à l’autoflagellation ne serait pas grave elle n’avait pas des conséquences. « Sous l’influence des contempteurs en tous genres de l’agriculture, les gouvernements successifs s’en sont désintéressés. Pourtant, les succès agricoles français ne se sont pas bâtis seuls. Quand Edgard Pisani, ministre de l’Agriculture entre 1961 et 1966, a demandé aux cultivateurs français de nourrir le pays, ils l’ont fait. La performance a été voulue, construite, accompagnée. Elle est devenue un vecteur d’influence de la France. Nous baissons la garde et c’est dangereux », constate Sébastien Abis. Ces cinq dernières années, la Chine, le Brésil et les États-Unis ont intensifié les investissements publics dans l’agriculture, de respectivement 120 %, 60 % et 40 %. En France, ils ont baissé de 25 % en quinze ans…
Un balcon sur le monde. « Notre propre dévaluation, au regard d’un monde qui nous envie, fait de notre agriculture une cible. Nous ne la protégeons pas comme l’actif stratégique qu’elle est, déplore Sébastien Abis. Les investissements belges et néerlandais dans nos fermes se multiplient ; les investissements chinois, aussi. » Après avoir investi dans la fabrication de lait infantile français, considéré comme très sûr, les acheteurs chinois accélèrent la mise en place d’autres circuits logistiques. « Des accords ont déjà été signés avec des producteurs laitiers et bovins pour exporter des produits frais en Chine, dévoile Sébastien Badault, le patron de l’Amazon chinois Ali Baba en France. Les tensions commerciales entre la Chine et les Etats Unis obligent la Chine, qui n’est pas autonome d’un point de vue alimentaire, à se tourner vers l’Europe et la France. Les produits français ont une très haute image de qualité dans le pays. Ce n’est pas anecdotique. La Chine va importer d’ici peu 200 milliards de dollars de biens européens, dont une grande partie de produits agricoles frais. » Il est temps d’en finir avec l’agro-bashing.

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