dimanche 27 janvier 2019

LA LETTRE DE LAURENT JOFFRIN

L'envers du gilet

Ironie de l’histoire sociale : après avoir précipité Emmanuel Macron dans les tréfonds de l’impopularité, les gilets jaunes risquent maintenant de lui servir de tremplin. C’est le propre des mouvements qui durent trop : ils lassent. Du coup, l’opinion se retourne lentement. Autant les revendications initiales – de la considération et un meilleur pouvoir d’achat – recueillaient une approbation massive et méritée, autant des extravagantes exigences formulées ensuite par un mouvement désormais très minoritaire (démission du Président, dissolution, nouvelle Constitution) alliées à un discours confus et outrancier, indisposent désormais une bonne partie des soutiens initiaux du mouvement.
Du coup, les critiques virulentes adressées au pouvoir ont l’effet d’un boomerang. On dénonce un débat confiné aux élus et on exige un «dialogue direct» avec les citoyens, sans voir qu’on légitime, par le fait même, la procédure lancée en panique par le gouvernement pour tenter de se tirer d’affaire. Emmanuel Macron l’a bien compris, qui mouille sa chemise dans l’opération et retrouve les accents qui lui avaient si bien réussi pendant la campagne présidentielle. On croit le mettre en difficulté en exigeant un contact direct avec les mécontents : on lui donne un fier coup de main.
De la même manière, en court-circuitant la classe politique, on croit œuvrer pour la démocratie directe, alors qu’on renforce en fait la monarchisation du régime. Tel un roi de l’ancien temps, le souverain déambule parmi ses sujets, écoute leurs doléances et promet d’entendre leurs humbles demandes. Ainsi Louis XI, Henri IV ou Napoléon voyageaient en France pour jouer les pères du peuple et conforter leur légitimité en octroyant tel ou tel avantage, telle ou telle franchise. Le roi Macron était nu. A la faveur de ce «grand débat» entre le monarque et ses sujets, le voici de nouveau revêtu de la cape royale et frotté de l’oint du seigneur. On voulait une VIe république. On conforte la Ve.
Les sondages le traduisent aussitôt : la cote de popularité d’Emmanuel Macron se redresse quelque peu ; les intentions de vote pour les européennes placent La République en marche, contre toute attente (y compris celle de l’auteur de cette lettre), en tête devant le Rassemblement national. On envoie au Président des tombereaux de tomates : il se refait la cerise. Au cœur de ce paradoxe, une bonne nouvelle : les leaders qui ont soutenu le mouvement jusqu’à la caricature, Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon, n’en profitent aucunement. La première plafonne à 20% dans toutes les enquêtes, tout le contraire de l’irrésistible ascension qu’on diagnostiquait jusque-là, le second stagne aux alentours de 10%, très au-dessous de son score de la présidentielle. Tel est pris qui croyait prendre.
LAURENT JOFFRIN

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